Prêtres et laïcs dans la mission, par le cardinal Rylko

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Président du Conseil pontifical pour les laïcs

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ROME, Lundi 8 février 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’intervention du cardinal Stanislaw Rylko, président du Conseil pontifical pour les laïcs, le 26 janvier dernier, au cinquième colloque de Rome organisé par la Communauté de l’Emmanuel sur le thème « prêtres et laïcs dans la mission ».

« Prêtres et laïcs dans la mission »

Ve Colloque de Rome

(26 janvier 2010)

Le « nouveau style de collaboration » entre prêtres et laïcs

dans les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles :

quel bénéfice pour l’Eglise ?

 

1. Parmi les nombreux fruits générés par le Concile Vatican II dans la vie des fidèles laïcs, l’Exhortation apostolique Christifideles laici (Les fidèles laïcs) inclut le « nouveau style » de collaboration entre laïcs et prêtres au service de la mission de l’Eglise1. En quoi consiste ce « nouveau style » ? Dans le cadre de l’Année sacerdotale inaugurée par le Saint-Père Benoît XVI, la question est plus que jamais d’actualité et mérite d’être étudiée de façon approfondie. Il ne s’agit certes pas d’un nouveau « manuel du savoir-vivre ecclésiastique » à usage des prêtres et laïcs. La question doit être prise beaucoup plus au sérieux  : elle plonge ses racines dans l’ecclésiologie conciliaire, qui présente l’Eglise comme mystère de communion missionnaire dans lequel vaut le principe de la diversité des vocations, des offices et ministères, et de l’unité qui découle de la dignité baptismale et de la mission confiée par le Seigneur à tout le peuple de Dieu : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Evangile à toute la création » (Mc 16, 15).

« La communion ecclésiale – explique Christifideles laici– se présente, pour être plus précis, comme une communion « organique », analogue à celle d’un corps vivant et agissant : elle se caractérise, en effet, par la présence simultanée de la diversité et de la complémentarité des vocations et conditions de vie, des ministères, des charismes et des responsabilités. Grâce à cette diversité et complémentarité, chacun des fidèles laïcs se trouve en relation avec le corps tout entier et, au corps, il apporte sa propre contribution »2. De cette ecclésiologie est née la théologie conciliaire du laïcat. Selon le Concile, la vocation du fidèle laïc est une véritable vocation qui découle du Baptême, grâce auquel il participe, pour sa part, à la triple mission de Jésus-Christ  : sacerdotale, prophétique et royale. La théologie du laïcat, développée par le Concile Vatican II, est déterminante pour le « nouveau style » des relations entre prêtres et fidèles laïcs : ces derniers, en effet, ne se présentent plus uniquement comme de simples destinataires du soin pastoral des prêtres, mais aussi comme leurs précieux et indispensables collaborateurs au service de la mission évangélisatrice de l’Eglise dans le monde. Le Concile énonce : « L’apostolat des laïcs et le ministère pastoral se complètent mutuellement »3. Ce rapport dynamique entre sacerdoce ministériel et sacerdoce commun des fidèles – qui, comme le souligne Vatican II, « ont entre eux une différence essentielle, et non simplement de degré, et sont cependant ordonnés l’un à l’autre »4 -, a porté des fruits en abondance dans la vie de l’Eglise de notre époque, façonnant une nouvelle génération de laïcs dotés d’une conscience forte de sa propre vocation et de sa mission, caractérisée par trois dimensions clés : communion – co-responsabilité – participation. D’où le vibrant appel de Christifideles laici : « Les pasteurs […] sont exhortés, en conséquence, à reconnaître et promouvoir les ministères, les offices et les fonctions des fidèles laïcs, offices et fonctions qui ont leur fondement sacramentel dans le Baptême, la Confirmation, et de plus, pour beaucoup d’entre eux, dans le Mariage »5. En outre, lorsque la nécessité l’exige, les prêtres peuvent même, selon les normes établies par le droit canon, confier aux fidèles laïcs dans les paroisses, certaines fonctions qui, tout en étant liées à leur propre ministère de pasteur, n’exigent pas cependant le caractère de l’Ordre : par exemple, exercer le ministère de la parole, présider aux prières liturgiques ou distribuer la sainte Communion. Le Vénérable Serviteur de Dieu, Jean-Paul II fait remarquer toutefois, que « l’exercice de telles fonctions ne fait pas du fidèle laïc un pasteur : en réalité, ce qui constitue le ministère, ce n’est pas l’activité en elle-même, mais l’ordination sacramentelle »6. Les abus, hélas nombreux, qui ont été constatés dans l’après Concile, également dans ce domaine particulièrement délicat, ont conduit le Saint-Siège à publier l’Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres, dans laquelle on demande à tous « un zèle particulier, afin de bien préserver tant la nature et la mission du ministère sacré que la vocation et le caractère séculier des fidèles laïcs. En effet, collaborer ne signifie pas se substituer »7.

Le « nouveau style » de collaboration entre prêtres et laïcs implique donc que les prêtres reconnaissent l’identité propre des fidèles laïcs et valorisent de fait leur mission dans l’Eglise et dans le monde, en se gardant d’une part d’entretenir de la méfiance à leur égard et d’adopter des attitudes paternalistes et autoritaires dans la gérance des communautés paroissiales et, de l’autre, de favoriser une équivoque promotion du laïcat qui, ne respectant pas la vocation laïque spécifique, risque alors de devenir pour eux un alibi pour se désengager et renoncer à leurs propres devoirs pastoraux envers la communauté chrétienne. Ce « nouveau style » demande aux laïcs, pour leur part, un sens vif d’appartenance ecclésiale ainsi que la conscience de leur propre co-responsabilité et de leur participation nécessaire à la vie et à la mission de l’Eglise ; et pour cela, de sortir de leur indifférence, en évitant, toutefois, ou un repliement excessif sur les affaires intra ecclésiales au détriment de la mission, ou le piège dangereux d’une certaine mentalité hostile à l’institution ecclésiale et contaminée par la logique du monde de la lutte pour le pouvoir, ou encore un corporatisme agressif et contestataire vis-à-vis du Magistère ecclésial. Facteur décisif pour le réveil missionnaire de tout le peuple de Dieu dans un monde où se propagent laïcisme et néo-paganisme et où Dieu est chaque jour davantage le Grand Exclu, le « nouveau style » de collaboration entre Pasteurs et laïcs inauguré par le Concile Vatican II se présente toujours comme un but à atteindre et vers lequel tendre ensemble, et souvent comme un véritable défi à saisir. Mais « il n’est permis à personne de rester sans rien faire »,8 écrivait Jean-Paul II. Chacun doit jouer son rôle : prêtres et laïcs.

2. De nos jours, la surprenante floraison de mouvements ecclésiaux et de communautés nouvelles, fruit également du Concile, suscite une grande espérance dans l’Eglise. Selon le Magistère pontifical, ces nouvelles réalités associatives des fidèles représentent une réponse, suscitée par l’Esprit Saint au bon moment, aux défis que le monde lance à la mission de l’Eglise. Leurs charismes génèrent des itinéraires pédagogiques de formation chrétienne d’une extraordinaire efficacité et suscitent chez les personnes qui y adhèrent un grand élan missionnaire, une étonnante « créativité » missionnaire. En outre, ils possèdent une valeur « universelle » en ve
rtu de leur capacité à s’enraciner – en tant que solide aliment spirituel – non seulement parmi les personnes de races et de cultures très éloignées entre elles, mais aussi dans les différents états de vie. Bien que ces nouvelles associations soient à caractère surtout laïque, on compte en effet parmi leurs membres de nombreux prêtres, religieux et religieuses, qui trouvent dans ces charismes un soutien valable pour leur propre spiritualité et pour vivre leur propre vocation. D’ailleurs, même parmi leurs fondateurs figurent aussi bien des laïcs (hommes et femmes) que des prêtres, des religieux et religieuses. Ce sont en somme de véritables « écoles de communion ecclésiale » entre les états de vie (« communion entre charismes » ou charisme « communional »).

Les liens créés entre les personnes par l’adhésion à un mouvement ne peuvent être ramenés à des convenances, à une gratification émotive. Dans Christifideles laici, Jean-Paul II l’explique très bien, quand il affirme que les charismes qui jaillissent dans les mouvements et communautés engendrent une « affinité spirituelle particulière entre de nombreuses personnes »,9 c’est-à-dire qu’ils insufflent un sens d’appartenance et de communion assez fort et profond pour embrasser toutes les dimensions de l’existence, « totalisant ». Et cette affinité spirituelle ne réunit pas seulement les individus, mais également les différents états de vie (laïc, sacerdotal, religieux). C’est ainsi que prend forme un « nous » communautaire qui rend l’itinéraire éducatif particulièrement efficace, et la formation reçue particulièrement durable. Il s’agit, en effet, d’un itinéraire pédagogique accompli « ensemble » et dans lequel on se sent tous impliqués et interpellés, y compris les prêtres. Voilà pourquoi les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles sont devenus de véritables pépinières du « nouveau style » de collaboration entre Pasteurs et laïcs au service de la mission évangélisatrice de l’Eglise. Cela vaut donc la peine d’analyser leur prérogative.

L' »affinité spirituelle » engendrée par les charismes qui jaillissent dans les mouvements favorise surtout une connaissance mutuelle plus profonde entre laïcs et prêtres, condition indispensable pour une collaboration fructueuse. Ce processus est facilité par l’élément que représente la « petite communauté » – il s’agit d’une structure portante de la vie et de la mission des mouvements ecclésiaux – au sein de laquelle les laïcs sont aidés à approfondir le sens de leur propre vocation et mission dans l’Eglise et dans le monde, comme aussi de la vocation et de la mission des prêtres qui les accompagnent. Et ceci dans un climat d’amitié, de partage de vie et de collaboration dans l’apostolat. De leur côté, les prêtres trouvent là l’occasion de connaître les nombreux aspects concrets de la vie des fidèles laïcs, de leurs problèmes familiaux, des difficultés qu’ils rencontrent sur leur lieu de travail ou dans le cadre de leur engagement social ; ils apprennent à mettre en valeur et promouvoir leurs talents et charismes, ainsi que les manifestations authentiques de sainteté, selon l’encouragement du Concile Vatican II qui affirme : « Eprouvant les esprits pour savoir s’ils sont de Dieu, [les prêtres] découvriront et discerneront dans la foi les charismes des laïcs sous toutes leurs formes, des plus modestes aux plus élevées, ils les reconnaîtront avec joie et les développeront avec ardeur.. Ils n’hésiteront pas à confier aux laïcs des charges au service de l’Eglise, leur laissant la liberté et la marge d’action, bien plus, en les invitant, quand l’occasion se présente, à prendre d’eux-mêmes des initiatives ».10 Les prêtres trouvent ainsi dans les laïcs de véritables frères et sœurs dans la foi, des amis dans le Christ, de précieux collaborateurs dans la vigne du Seigneur, desquels ils peuvent eux-mêmes apprendre les façons et les méthodes de l’évangélisation.

Ce que disait saint Augustin peut sûrement aider les prêtres à se situer au sein des communautés dans lesquelles s’articulent les mouvements ecclésiaux : « Ce que je suis pour vous me terrifie, mais ce que je suis avec vous me console : car pour vous je suis évêque, avec vous, je suis chrétien. Le premier titre [évêque] est celui d’une charge, le second [chrétien], d’une grâce. Celui-là désigne le péril, celui-ci, le salut.11 Pour le prêtre, les nouvelles communautés sont des lieux privilégiés pour vivre concrètement ces deux dimensions essentielles de sa vocation : « pour vous » et « avec vous « , autrement dit la dimension pastorale (donc, la paternité spirituelle) et la dimension fraternelle. D’une manière particulière, le charisme du mouvement aide les prêtres à mieux saisir le sens de leur vocation baptismale chrétienne, qui va souvent de concert avec une profonde conversion du cœur et une redécouverte du radicalisme évangélique. Cependant, la dimension fraternelle ne les dispense pas de la responsabilité découlant de leur mission propre de prêtre (« pour vous » !), autrement dit la responsabilité de pasteur, de guide, de serviteur de la parole de Dieu et d’administrateur des sacrements (en particulier de l’Eucharistie et de la Réconciliation). Tout en respectant la légitime gouvernance d’un mouvement et d’une nouvelle communauté, exercée par les fidèles laïcs et définie par les dispositions statutaires approuvées par l’autorité ecclésiastique compétente, aucun prêtre, au sein de sa propre communauté, ne peut éluder cet engagement ni pour des raisons de commodité, ni par crainte de perdre des amitiés, ni en raison d’un concept erroné de la promotion du laïcat. Le prêtre doit savoir être un véritable ami dans le Christ, c’est-à-dire un ami exigeant qui non seulement encourage, valorise et complimente, mais qui, le cas échéant, n’hésite pas à réprimander et corriger, au nom de l’Eglise toujours dans la vérité et dans la charité, ses frères et sœurs dans la foi.

3. Les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés sont porteurs d’un grand potentiel d’évangélisation dont l’Eglise a grand besoin. Ils représentent une richesse encore inconnue et non complètement évaluée de nos jours. Jean-Paul II disait : « Dans notre monde… dominé par une culture sécularisée qui crée et promeut des modèles de vie sans Dieu, la foi de tant de personnes est mise à dure épreuve, et même étouffée ou éteinte. On ressent donc avec urgence la nécessité d’une annonce forte et d’une formation chrétienne solide et approfondie. Comme on a besoin aujourd’hui de personnalités chrétiennes mûres, conscientes de leur identité de baptisés, de leur vocation et mission dans l’Eglise et dans le monde ! Nous avons besoin de communautés ecclésiales vivantes ! Voici qu’arrivent les mouvements et les nouvelles communautés ecclésiales : elles sont la réponse, suscitée par l’Esprit Saint, à ce défi dramatique ».12 Mais où donc réside le « secret » de leur force éducative ? Eh bien, ce secret se trouve justement dans leurs charismes et dans les nombreuses communautés chrétiennes qu’ils génèrent. Combien de laïcs – hommes et femmes, jeunes et adultes – ont découvert la beauté d’être chrétiens, baptisés, grâce aux mouvements ! Comme point de départ du processus pédagogique qu’ils proposent, il y a toujours la conversion du coeur suscitée par la rencontre personnelle avec le Christ. Benoît XVI écrit : « à la base du fait d’être chrétien il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec la Personne de Jésus Christ, qui donne à la vie un nouvel horizon et, par là, son orientation décisive ».13 Une rencontre favorisée par des témoins crédibles, qui ont vécu dans le mouvement l’expérience des premiers disciples : « Venez et voyez » (Jn 1, 46). La pédagogie des mouvements est
une pédagogie qui ne dilue pas l’évangile, mais qui exige et établit le but de la sainteté comme « mesure élevée de la vie chrétienne ordinaire  » (Jean-Paul II). Le procédé éducatif qu’ils proposent s’établit à l’intérieur de ces petites communautés chrétiennes de baptisés qui – surtout dans une société « atomisée », où règnent la solitude et la dépersonnalisation des relations humaines- arrivent à constituer un point de référence et d’appui indispensable. Ce sont, donc, de vraies écoles de formation de chrétiens adultes, qui témoignent à la face du monde qu’être disciples du Christ représente une aventure pour laquelle il vaut la peine de risquer sa vie. Et ces mouvements engendrent chez les baptisés un sentiment d’appartenance à l’Eglise profond et animé d’un authentique amour. Comme le reconnaissait il y a quelques années le cardinal Ratzinger, « ce sont des façons puissantes de vivre la foi, qui stimulent les gens et leur donnent vitalité et joie ; une présence de foi, donc, qui a un sens pour le monde ».14

La formation chrétienne au sein des mouvements et des nouvelles communautés se caractérise par un fort élan missionnaire. Ces mouvements répondent donc à une autre urgence que l’on constate dans la vie de l’Eglise d’aujourd’hui. La mission aide à découvrir en plénitude l’essence même de la vocation baptismale, préserve de la tentation d’un repli égoïste sur soi-même, protège du risque de considérer sa propre communauté d’appartenance comme une sorte de refuge où trouver un remède aux problèmes du monde. Les mouvements ecclésiaux possèdent une capacité indiscutable à réveiller chez les fidèles laïcs l’enthousiasme apostolique et le courage missionnaire. Ils aident à dépasser les barrières de la timidité, de la peur et des faux complexes d’infériorité que la culture laïque développe chez tant de chrétiens. Ils encouragent les individus, les couples mariés et des familles entières à tout abandonner pour partir en mission, même vers des destinations lointaines. Ils rompent souvent avec les schémas habituels de l’apostolat, en repensent les formes et méthodes, qu’ils reproposent sous un aspect nouveau. Ils se dirigent avec naturel et courage vers les frontières des aréopages modernes de la culture, des médias, de l’économie et de la politique. Combien d’œuvres sociales sont-elles née par leur initiative ! Ils n’attendent pas passivement que ceux qui se sont éloignés de la foi reviennent à l’Eglise, ils vont les chercher. Pour annoncer le Christ, ils n’hésitent pas à aller par les rues et les places des villes. Il est surprenant de voir l’imagination missionnaire que les nouveaux charismes enflamment chez tant de baptisés de notre temps. Les projets d’évangélisation de ces mouvements ne sont pas des projets qui restent lettre morte, mais des projets « vivants », expérimentés dans beaucoup d’histoires personnelles concrètes et dans la vie de tant de communautés chrétiennes. Projets, pour ainsi dire, « prêts à l’emploi ». Voilà la grande richesse de l’Eglise d’aujourd’hui qui fait refleurir l’espérance.

4. Dans le contexte d’une espérance ecclésiale intense et profonde comme celle des mouvements et des nouvelles communautés, le prêtre, en tant que pasteur, est appelé non seulement à servir avec générosité ses frères laïcs (« pour vous »), mais aussi à s’ouvrir pour recevoir d’eux (« avec vous »). Il s’agit donc d’un rapport de réciprocité, d’un ‘donner’ et d’un ‘avoir’, qui s’établit dans le climat de cette « affinité spirituelle » générée par les charismes qui jaillissent des nouvelles réalités associatives entre fidèles laïcs et pasteurs. Il ne faut donc pas s’étonner si, pour beaucoup de ceux-ci, ces charismes représentent une richesse spirituelle puissante pour vivre leur propre vocation sacerdotale et pour l’accomplissement de leur ministère sacerdotal. D’ailleurs, ils ne sont pas rares les cas de prêtres, pour lesquels la rencontre avec un mouvement ecclésial a été décisive pour surmonter de graves crises de vocation, et retrouver ainsi la fidélité inconditionnelle au Christ et l’amour de l’Eglise. Jean-Paul II écrivait : « Le prêtre doit […] donc trouver, dans un mouvement, la lumière et la chaleur qui le rendent capable de fidélité à son évêque, qui le disposent à remplir les obligations de l’institution et à être attentif à la discipline ecclésiastique, en sorte que l’élan de sa foi et le goût de sa fidélité soient plus intenses » ».15 Pour les prêtres aussi – et pas seulement pour les laïcs -les mouvements et les nouvelles communautés sont donc des écoles de prière et de contemplation. Et ce n’est pas un hasard si nombre d’entre eux ont retrouvé le goût de la prière personnelle et communautaire grâce à ces communautés, authentiques écoles de sainteté dans lesquelles l’exemple de tant de laïcs, hommes et femmes, consacrés à l’évangile malgré le poids de lourdes responsabilités familiales et professionnelles, est pour les prêtres un rappel constant à la fidélité au Christ. Les mouvements ecclésiaux sont des écoles de communion qui aident les prêtres à surmonter les effets de la solitude et de l’isolement. Ils trouvent dans le mouvement une communauté chrétienne constituée par des frères et sœurs laïcs, mais aussi par d’autres prêtres- une communauté qui les soutient, les encourage dans leur ministère et, le cas échéant, les corrige (correctio fraterna). Enfin, les mouvements constituent pour les prêtres de véritables écoles d’évangélisation dans lesquelles ils puisent détermination et élan missionnaire, et empruntent des méthodes efficaces d’annonce, dont la force persuasive est corroborée par un charisme particulier.

C’est précisément pour ces raisons que les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles se révèlent de véritables pépinières de vocations au sacerdoce. Au point que, dans certains pays, une partie non négligeable des séminaristes et des jeunes prêtres proviennent de ces réalités associatives et groupements. Leur surprenante efficacité dans le réveil des vocations réside dans le radicalisme évangélique qui les anime et dans la vie chrétienne intense qu’ils proposent. Les mouvements ecclésiaux constituent un espace qui favorise la rencontre personnelle avec le Christ ; ce sont des lieux d’initiation chrétienne renouvelée et de redécouverte de la beauté de la vocation baptismale, qui est à la racine de toutes les vocations spécifiques dans l’Eglise ; ils alimentent l’amour pour l’Eglise, pour le Pape et pour les évêques ; constituent des communautés de personnes unies dans l’amitié et prêtes à s’entraider et à s’encourager mutuellement dans le discernement des vocations. Pour beaucoup de jeunes, ils sont donc une sorte de pre-séminaire. Mais ce soutien ne finit pas avec l’entrée au séminaire. Cette influence salutaire continue, bien que sous une forme différente. Dans l’exhortation apostolique Pastores dabo vobis, nous lisons : « Les jeunes qui ont reçu leur formation de base dans de telles associations [associations et mouvements ecclésiaux] et qui s’y réfèrent pour leur expérience d’Eglise, ne devront pas se sentir invités à se déraciner de leur passé et à interrompre les relations avec le milieu qui a contribué à leur faire répondre à leur vocation. Ils ne devront pas effacer les traits caractéristiques de la spiritualité qu’ils y ont reçue et vécue, en tout ce qu’ils contiennent de bon, d’édifiant et d’enrichissant. Pour eux aussi, ce milieu d’origine continue à être source d’aide et de soutien sur le chemin de la formation au sacerdoce ».16 Les communautés de provenance contribuent donc au processus éducatif du candidat au sacerdoce, pour lequel elles restent des espaces de vérification continue des fruits de la formation reçue au séminaire et une sorte de « centres d’entraînement  » pour « acquérir l’expérie
nce  » de l’apostolat et de la pastorale. Et, après l’ordination presbytérale, le rapport avec le mouvement devient l’instrument d’une formation permanente organique et naturelle, dans laquelle un rôle particulier incombe aux fidèles laïcs.

Etant donné que la règlementation actuelle de l’Eglise n’autorise pas que les prêtres soient incardinés aux mouvements ecclésiaux et aux nouvelles communautés17 juridiquement reconnus comme associations de fidèles de droit privé ou public, les prêtres qui en vivent le charisme restent prêtres diocésains ou membres des diverses congrégations religieuses. Par conséquent, l’appartenance à tel ou tel mouvement doit être en profonde syntonie avec leur vocation spécifique et avec la mission qui leur a été confiée par les Ordinaires respectifs (l’évêque diocésain ou le supérieur religieux). En particulier, cette appartenance ne doit jamais se transformer – sur le plan pastoral – en un exclusivisme ou une fermeture qui conduit à mépriser, voire à rejeter d’autres expériences ecclésiales dans le cadre de la paroisse, au sein de laquelle le prêtre doit exercer sa paternité à l’égard de tous, sans exclusion d’aucune sorte. Et la paroisse ne doit jamais perdre sa caractéristique de maison commune de tous les baptisés, de toutes les communautés et de tous les charismes que l’Esprit Saint suscite en abondance dans l’Eglise d’aujourd’hui. En d’autres termes, chaque Pasteur doit vivre intensément cette spiritualité de communion dont parle saint Bernard de Clairvaux (Chiaravalle) à propos de son ordre et du rapport avec les divers autres ordres : « Je les admire tous…J’appartiens à l’un d’eux par l’obédience, mais à tous par la charité. Nous avons tous besoin les uns des autres ; le bien spirituel que je n’ai pas et que je ne possède pas, je le reçois des autres ».18

5. Ces propos sur les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés concernent de près tous les Pasteurs, indépendamment de leur implication dans la vie de certains de ces mouvements. Le prêtre, le premier, doit savoir saisir et interpréter la nouveauté de ces « dons charismatiques » en prêtant l’oreille à ce que l’Esprit dit à l’Eglise d’aujourd’hui (cf. Ap 2, 8). Il ne faut pas considérer ces mouvements comme un « problème pastoral », mais comme un grande opportunité, une ressource précieuse de renouvellement de nos communautés paroissiales. Associations et mouvements ecclésiaux peuvent constituer un noyau vital des paroisses où ils opèrent. Cela est particulièrement vrai pour les paroisses, assez souvent étendues sur des territoires très vastes et courant de ce fait le risque d’un anonymat qui peut être efficacement contrecarré par une mini-structure de petites communautés chrétiennes vivant intensément leur foi. Elles ne font pas concurrence à la paroisse, peu s’en faut, elles constituent une alternative à la paroisse. Elles représentant au contraire une grande chance pastorale à saisir. Car tout milieu dans lequel se forment des chrétiens « adultes », conscients de leur vocation et de leur mission propres, sert la cause de l’Eglise et de la paroisse.

De ses ministres, l’Eglise attend donc sensibilité, ouverture et accueil cordial de ces nouvelles réalités qui portent dans la vie de tant de communautés chrétiennes des fruits véritablement bénis de conversion, sainteté et mission. Elle attend qu’ils reconnaissent avec joie leur charisme respectif et les accompagnent avec sollicitude.19 D’un autre côté, le caractère essentiellement laïc des mouvements ecclésiaux ne supprime pas le besoin qu’ils ont d’une présence sacerdotale. Loin de signifier leur cléricalisation, cette présence -toujours animée par une sincère charité pastorale -est plutôt un service fourni dans le plein respect de la liberté associative des fidèles laïcs20 et du charisme de chaque réalité associative. Les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés nécessitent l’accompagnement sage, attentif et paternel des Pasteurs. Il s’agit d’une mission qui engage, une mission très délicate, à laquelle chaque prêtre doit se préparer de façon adéquate, indépendamment de son appartenance effective à l’un ou l’autre. Chaque mouvement ou nouvelle communauté a sa propre histoire, son propre charisme d’origine reçu en la personne de son fondateur (ou ses fondateurs), sa propre structure d’organisation, sa propre pédagogie éducative, ses propres méthodes d’évangélisation, sa propre spiritualité. Pour les accompagner pastoralement, il faut en connaître à fond la nature ecclésiologique et charismatique, il faut en respecter la spécificité. Parce que, sans une connaissance appropriée, le risque devient réel d’interventions qui, au lieu d’aider, peuvent causer de graves préjudices à des personnes et à des communautés entières. A ce propos, le pape Benoît XVI donne une directive fondamentale : « La première règle nous a été donnée par saint Paul dans la Première Lettre aux Thessaloniciens : ne pas étouffer les charismes. Si le Seigneur nous donne de nouveaux dons, nous devons être reconnaissants, même s’ils sont parfois gênants. Et c’est une belle chose que, sans initiative de la hiérarchie, à partir d’une initiative d’en bas, comme on dit, mais une initiative qui est aussi réellement d’en Haut, c’est-à-dire comme un don de l’Esprit Saint, naissent de nouvelles formes de vie dans l’Eglise, qui du reste sont nées tout au long des siècles ».21

Les pasteurs doivent éviter à tout prix le piège insidieux des préjugés et des méfiances découlant de l’absence d’une connaissance approfondie de ces réalités ou d’expériences individuelles négatives que l’on généralise à tort. Les projets pastoraux paroissiaux et diocésains doivent aujourd’hui accorder un plus large espace aux mouvements ecclésiaux, et cela dans le plein respect de la spécificité de leurs charismes. En effet, pour servir la mission de l’Eglise et pour se développer, chaque charisme a besoin d’un espace de liberté nécessaire, sous peine d’asphyxie. Il faut, en particulier, éviter de se laisser entraîner, ce qui est hélas trop souvent le cas, dans une vision réductrice de la communion ecclésiale. Communion ecclésiale ne signifie pas uniformité, mais plutôt unité organique dans la diversité. A ce propos, celui qui était alors le cardinal Ratzinger, a eu des paroles très fortes : « Il faut aussi que l’on dise clairement aux Eglises locales, et même aux évêques, qu’il ne leur est pas permis de prétendre de quelque manière à l’uniformité absolue dans l’organisation et les programmes pastoraux. Ils ne devraient pas mettre leurs propres projets pastoraux à un niveau supérieur à celui des oeuvres de l’Esprit Saint : devant de simples projets humains, il peut arriver que les Eglises se rendent impénétrables à l’Esprit de Dieu, énergie qui les fait vivre. Il n’est pas légitime de prétendre que tout doit s’insérer dans une organisation unique : il vaut mieux moins d’organisation et plus d’Esprit Saint ! ».22 Devenu pape, Benoît XVI a demandé expressément aux évêques « d’aller à la rencontre des mouvements avec beaucoup d’amour. Ici et là -disait-il- [ceux-ci] doivent se montrer corrects, s’insérer dans l’ensemble de la paroisse et du diocèse. Mais nous devons respecter le caractère spécifique de leurs charismes et nous réjouir que naissent des formes communautaires de foi dans lesquelles la Parole de Dieu devient vie ».23

Je suis sincèrement convaincu que l’Année sacerdotale que nous vivons actuellement dans l’Eglise constituera une excellente opportunité offerte aux Pasteurs pour se mettre à l’écoute attentive de ce que l’Esprit Saint dit à l’Eglise par ces dons charismatiques. Et c’est aussi en réponse au vibrant appel que le Saint-Père Benoît XVI a a
dressé à tous les prêtres dans la Lettre pour l’indiction de cette année spéciale : « Je tiens à adresser aux prêtres, en cette Année qui leur est consacrée, une invitation cordiale, celle de savoir accueillir le nouveau printemps que l’Esprit suscite de nos jours dans l’Église, en particulier grâce aux mouvements ecclésiaux et aux nouvelles communautés « « L’Esprit dans ses dons prend de multiples formes… Il souffle où il veut. Il le fait de manière inattendue, dans des lieux inattendus et sous des formes qu’on ne peut imaginer à l’avance… Il nous démontre également qu’il œuvre en vue de l’unique corps et dans l’unité de l’unique corps ».24

Aux chrétiens fatigués et découragés et aux nombreuses communautés chrétiennes désormais trop « autoréférentielles » et repliées sur elles-mêmes, les mouvements lancent le défi d’une Eglise qui se projette courageusement vers de nouvelles frontières. Ils aident la pastorale paroissiale et diocésaine à récupérer la combativité prophétique et l’élan missionnaire, en donnant vie à de nouvelles générations de laïcs et de prêtres qui se dépensent avec passion pour l’Evangile, soutenus mutuellement par le « nouveau style » de collaboration que les nouvelles réalités associatives contribuent à susciter et alimenter parmi eux. « Voici que je vais faire une chose nouvelle : déjà, elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ? » (Is 43, 19). A notre époque, l’Eglise a vraiment besoin de s’ouvrir à cette nouveauté générée par l’Esprit.

Traduit de l’italien par E. de Lavigne

1 Cf. Jean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici, n. 2.

2 Ibid., n. 20.

3 Concile oecuménique Vatican II, Décret sur l’apostolat des laïcs, Apostolicam actuositatem, n. 6.

4 Concile oecuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen gentium, n. 10.

5 Jean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici, n. 23.

6 Ibid.

7 Istruzione su alcune questioni circa la collaborazione dei fedeli laici al ministero dei sacerdoti, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano 1997, p. 7.

8 Jean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici, n. 3.

9 Ibid., n. 24.

10 Concile œcuménique Vatican II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis, n. 9.

11 Augustin d’Hippone, Discours 340

12 Jean-Paul II, Discorso all’incontro con i movimenti ecclesiali e le nuove comunità, « Insegnamenti » XXI, 1 (1998), p. 1123.

13 Benoît XVI, Lettre encyclique Deus caritas est, n. 1.

14 J. Ratzinger, Il sale della terra. Cristianesimo e Chiesa cattolica nella svolta del millennio, Edizioni San Paolo, Milano 1997, p. 18.

15 Jean-Paul II, Exhortation apostolique Pastores dabo vobis, n. 68.

16 Ibid.

17 Cf. CIC, can. 265.

18 Apologie de Guillaume de Saint-Thierry, cité dans : Jean-Paul II, Exhortation apostolique La Vie consacrée (Vita consacrata), n. 52.

19 Cf. Concile oecuménique Vatican, Décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis, n. 9.

20 Cf. Jean-Paul II, Exhortation apostolique Christifideles laici, n. 2.

21 Benedetto XVI, Incontro con i parroci ed il clero della diocesi di Roma, « L’Osservatore Romano », 24 febbraio 2007, p. 7.

22 J. Ratzinger, I movimenti ecclesiali e la loro collocazione teologica, in : Pontificium Consilium pro Laicis (a cura di), I movimenti nella Chiesa, Città del Vaticano 1999, p. 50.

23 Benedetto XVI, Discorso ai vescovi della Conferenza episcopale della Repubblica Federale di Germania, in visita « ad limina », « L’Osservatore Romano », 19 novembre 2006, p. 5.

24 Lettre du Souverain Pontife Benoît XVI pour l’indiction d’une Année à l’occasion du 150̊ anniversaire du « dies natalis » du saint curé d’Ars Jean-Marie Vianney, 16 juin 2009.

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ZENIT Staff

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