Première prédication de l’Avent du père Cantalamessa au Vatican

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La foi en Jésus Christ aujourd’hui et au début de l’Eglise

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ROME, Vendredi 2 décembre 2005 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la première prédication de l’Avent prononcée ce vendredi au Vatican, en présence du pape et de ses collaborateurs de la curie romaine, par le prédicateur de la Maison Pontificale, le père Raniero Cantalamessa, OFMCap.

Première prédication de l’Avent à la Maison Pontificale

La foi en Jésus Christ aujourd’hui et au début de l’Eglise

Très Saint-Père, je ressens le besoin d’accomplir deux choses en cet instant : vous remercier pour la confiance que vous m’avez accordée en me demandant de conserver ma charge de Prédicateur de la Maison Pontificale et vous exprimer ma plus totale obéissance et fidélité, comme successeur de Pierre.

Je crois que la plus belle façon de saluer le début d’un nouveau pontificat est de rappeler à la mémoire et de tenter de reproduire l’acte sur lequel le Christ a fondé le primat de Pierre. Simon devient Képhas, Pierre, au moment où, grâce à la révélation du Père, il professe sa foi dans l’origine divine de Jésus. « Sur cette pierre – c’est ainsi que saint Augustin paraphrase les paroles du Christ – je bâtirai la foi que tu as professée. Je bâtirai mon Eglise sur le fait que tu as dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (1).

J’ai pensé choisir « la foi en Jésus Christ » comme thème de la prédication d’Avent. Dans cette première méditation je voudrais tenter de définir la situation qui semble être celle de notre société, dans le domaine de la foi en Jésus Christ et le remède que la Parole de Dieu nous propose pour y faire face. Lors des prochaines rencontres nous méditerons sur ce que nous dit aujourd’hui la foi en Jésus Christ de Jean, de Paul, du Concile de Nicée, et la foi vécue de Marie, sa mère.

1. Présence – absence du Christ

Quel rôle Jésus a-t-il dans notre société et dans notre culture ? Je pense que l’on peut parler, à cet égard, d’une présence-absence du Christ. A un certain niveau – celui des mass media en général – Jésus Christ est très présent, il est même une « superstar », si l’on en croit le titre d’une célèbre comédie musicale sur lui. Dans une série interminable de récits, de films et de livres, les écrivains manipulent la figure du Christ, utilisant parfois le prétexte de nouveaux documents historiques fantomatiques sur lui. Le Da Vinci Code est le dernier épisode, et le plus agressif, de cette longue série. C’est désormais devenu une mode, un genre littéraire. On spécule sur le grand retentissement du nom de Jésus et sur ce qu’il représente pour une large partie de l’humanité pour s’assurer une vaste publicité à bas prix. Et ceci est du parasitisme littéraire.

Dans un certain sens on peut donc dire que Jésus Christ est très présent dans notre culture. Mais si nous considérons le domaine de la foi, auquel il appartient en premier lieu, nous notons en revanche une absence inquiétante, voire même un refus de sa personne.

D’abord au niveau théologique. Un certain courant théologique soutient que le Christ ne serait pas venu pour le salut des Juifs (auxquels il suffirait de rester fidèles à l’Ancienne alliance), mais uniquement pour celui des gentils. Un autre courant soutient qu’il ne serait pas nécessaire non plus pour le salut des gentils, car ceux-ci ont, grâce à leur religion, un rapport direct avec le Logos éternel, et n’ont donc pas besoin de passer par le Verbe incarné et son mystère pascal. On finit par se demander pour qui le Christ est encore nécessaire !

Ce que l’on observe dans la société en général, y compris ceux qui se définissent comme des « croyants chrétiens », est encore plus préoccupant. En quoi croient-ils en réalité, ceux qui se définissent « croyants » en Europe et ailleurs ? Ils croient, le plus souvent, à l’existence d’un Etre suprême, d’un Créateur ; ils croient qu’il existe un « au-delà ». Mais il s’agit là d’une foi déiste, et pas encore d’une foi chrétienne. Si l’on tient compte de la fameuse distinction de Karl Barth, on parle là de religion et pas encore de foi. Diverses enquêtes sociologiques relèvent ce fait également dans des pays d’ancienne tradition chrétienne, comme la région d’où je suis originaire, les Marches. Jésus Christ est en pratique absent de ce type de religiosité.

Le dialogue entre science et foi, à nouveau particulièrement d’actualité, conduit aussi, involontairement, à mettre le Christ entre parenthèses. Il a en effet pour objet, Dieu, le Créateur. La personne historique de Jésus de Nazareth n’y a aucune place. Il se produit la même chose dans le dialogue avec la philosophie qui préfère aborder les concepts métaphysiques que la réalité historique.

Ce qui se passa dans l’Aréopage d’Athènes à l’occasion de la prédication de Paul est en fait en train de se répéter à l’échelle mondiale. Tant que l’Apôtre parlait du Dieu « qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve » … les savants athéniens l’écoutaient avec intérêt ; lorsqu’il commença à parler de Jésus Christ « ressuscité d’entre les morts », ils répondirent par un poli « nous t’entendrons là¬-dessus une autre fois » (Ac 17, 22-30).

Il suffit d’un simple coup d’oeil au Nouveau Testament pour comprendre combien nous sommes loin, dans ce cas, de la signification originelle du mot « foi » dans le Nouveau Testament. Pour Paul, la foi qui justifie les pécheurs et confère l’Esprit Saint (Ga 3, 2), en d’autres termes, la foi qui sauve, est la foi en Jésus Christ, dans son mystère pascal de mort et de résurrection. Pour Jean aussi, la foi « qui vainc le monde » est la foi en Jésus Christ. « Quel est le vainqueur du monde sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? » (1 Jn 5, 4-5).

Face à cette nouvelle situation, la première tâche pour nous est de faire, avant tout, un grand acte de foi. « Gardez courage. Moi, j’ai bel et bien vaincu le monde » (Jn 16, 33), nous a dit Jésus. Il n’a pas seulement vaincu le monde de l’époque mais le monde de toujours…. Il n’y a donc pas lieu d’avoir peur ou de se résigner. Elles me font sourire les éternelles prophéties sur la fin inévitable de l’Eglise et du christianisme dans la société technologique de l’avenir. Nous avons, nous, une prophétie bien plus crédible : « Ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point » (Mt 24, 35).

Mais nous ne pouvons pas rester inertes ; nous devons nous efforcer de répondre de manière appropriée aux défis auxquels la foi dans le Christ est confrontée à notre époque. Pour ré-évangéliser le monde post-chrétien, il est indispensable, je crois, de connaître la voie suivie par les apôtres pour évangéliser le monde pré-chrétien ! Il s’agit de deux situations qui ont beaucoup de points communs. Et c’est ce que j’aimerais maintenant essayer de mettre en lumière : comment se présente la première évangélisation ? Quel chemin a suivi la foi dans le Christ pour conquérir le monde ?

2. Kérygme et didaché

Tous les auteurs du Nouveau Testament présupposent l’existence et la connaissance, de la part des lecteurs, d’une tradition commune (paradosis) remontant au Jésus terrestre. Cette tradition présente deux aspects, ou deux composantes : une composante appelée « prédication », ou annonce (kérygme) qui proclame ce que Dieu a opéré en Jésus de Nazareth, et une composante appelée « enseignement » (didaché) qui présente des normes éthiques pour une juste manière d’agir de la part des croyants (2). Diverses épîtres de Paul reflètent cette répartition, car elles contiennent une première partie kérygmatique, de laquelle découle une seconde partie à caractère parénétique ou pratique.

La prédication, ou le kérygme, est appelée l’« evangelo » (3) ; l’enseignement, ou didaché, est en revanche appelé la « loi », ou le commandement, du Christ, qui se résume dans la charité (4). De ces deux choses, la première – le kérygme, ou évangile – est ce qui donne origine à l’Eglise ; la deuxième – la loi, ou la charité – qui jaillit de la première, est ce qui trace à l’Eglise un idéal de vie morale, qui « forme » la foi de l’Eglise. En ce sens, l’Apôtre distingue son œuvre de « père » dans la foi, à l’égard des Corinthiens, de celle des « pédagogues » venus après lui. Il dit : « C’est moi qui, par l’Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus » (1 Co 4, 15).

Par conséquent, la foi en tant que telle, ne naît qu’en présence du kérygme, ou de l’annonce. « Et comment croire – écrit l’Apôtre en parlant de la foi dans le Christ – sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans quelqu’un qui proclame ? » (Rm 10, 14). Littéralement : « Sans quelqu’un qui proclame le kérygme » (choris keryssontos). Et il conclut : « La foi naît de ce qu’on entend dire et ce qu’on entend dire vient de la parole du Christ » (Rm 10, 17), c’est-à-dire de « l’évangile » ou du kérygme.

Dans le livre Introduction au christianisme, le Saint-Père Benoît XVI, alors professeur de théologie, a mis en évidence les profondes implications de cela. Il écrit : « Dans la formule ‘la foi naît de l’écoute’…la distinction fondamentale entre foi et philosophie est clairement mise en lumière… Dans la foi il y a une priorité de la parole sur la pensée… Dans la philosophie la pensée précède la parole ; celle-ci est donc un produit de la réflexion, que l’on tente ensuite de traduire en paroles… La foi en revanche aborde toujours l’homme de l’extérieur… il ne s’agit pas d’un élément pensé par le sujet, mais qui lui a été dit, qui lui arrive sous forme de ‘non pensé’ et de ‘non pensable’, en le mettant directement en cause et en l’engageant » (5).

La foi vient donc de l’écoute de la prédication. Mais quel est, exactement, l’objet de la « prédication » ? On sait que sur les lèvres de Jésus, la grande nouvelle qui sert de toile de fond à ses paraboles et de laquelle sont issus tous ses enseignements est : « Le Royaume de Dieu est venu jusqu’à vous ! » Mais quel est le contenu de la prédication sur les lèvres des apôtres ? L’œuvre de Dieu en Jésus de Nazareth ! C’est vrai, mais il y a quelque chose d’encore plus petit, qui est le noyau germinatif de tout et qui, par rapport au reste, est comme le soc, cette espèce d’épée placée devant la charrue qui fend la première le sol et permet à la charrue de tracer le sillon et de retourner la terre.

Ce noyau plus restreint est l’exclamation : « Jésus est le Seigneur ! »… Le mystère de cette parole est tel que celle-ci ne peut être prononcée qu’« avec l’Esprit Saint » ( 1 Co 12, 3). A elle seule elle donne accès au salut à celui qui croit à sa résurrection : « En effet, si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton cœur croit que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé » (Rm 10, 9).

Comme le sillon d’un beau navire – dirait Charles Péguy – s’élargit pour finir par disparaître et se perdre, mais commence par une pointe qui est la pointe même du navire, de même – j’ajouterais – la prédication de l’Eglise va s’élargissant, jusqu’à constituer un immense édifice doctrinal, mais commence par une pointe et cette pointe est le kérygme : « Jésus est le Seigneur ! »

L’exclamation : « Le Royaume de Dieu est là ! », dans la prédication de Jésus, correspond donc, dans la prédication des apôtres, à l’exclamation : « Jésus est le Seigneur ! » Il n’y a toutefois aucune opposition, mais une continuité parfaite entre Jésus qui prêche et le Christ prêché, car dire : « Jésus est le Seigneur ! » est comme dire qu’en Jésus, crucifié et ressuscité, se sont finalement réalisés le règne et la souveraineté de Dieu sur le monde.

Nous devons nous mettre bien d’accord pour ne pas tomber dans une reconstruction irréelle de la prédication apostolique. Après la Pentecôte, les apôtres ne vont pas à travers le monde en répétant toujours et uniquement : « Jésus est le Seigneur ! ». Ce qu’ils faisaient, lorsqu’ils se retrouvaient dans la situation de devoir annoncer pour la première fois la foi dans un certain milieu, c’était plutôt aller droit au cœur de l’Evangile, en proclamant deux faits : Jésus est mort – Jésus est ressuscité, et le motif de ces deux faits : il est mort « pour nos péchés » ; il est ressuscité « pour notre justification » (cf. 1 Co 15, 4 ; Rm 4, 25). Dramatisant, Pierre dans les Actes des Apôtres ne fait que répéter à ceux qui l’écoutent : « vous avez fait mourir Jésus de Nazareth, Dieu l’a ressuscité, et l’a fait Seigneur et Christ » (6).

L’annonce : « Jésus est le Seigneur ! n’est donc que la conclusion, tantôt implicite tantôt explicite, de cette brève histoire, racontée sous forme toujours vivante et nouvelle, même si substantiellement identique, et, en même temps, ce en quoi cette histoire se résume et devient agissante pour celui qui l’écoute. Jésus Christ « s’est dépouillé… devenant obéissant jusqu’à la mort à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé… afin que toute langue proclame que le Seigneur c’est Jésus Christ » (Ph 2, 6-11).

La proclamation : « Jésus est le Seigneur ! » ne constitue donc pas à elle seule, toute la prédication mais elle en constitue d’une certaine manière, l’âme, elle est le soleil qui l’éclaire. Elle établit une sorte de communion avec l’histoire du Christ à travers « l’hostie » de la parole et fait penser, par analogie, à la communion qui se réalise avec le corps du Christ à travers l’hostie faite de pain dans l’Eucharistie.

Découvrir la foi c’est ouvrir les yeux de manière inattendue et étonnée, à cette lumière. Evoquant à nouveau le moment de sa conversion, Tertullien le décrit comme la sortie du grand utérus sombre de l’ignorance, en tressaillant à la lumière de la Vérité (7). C’était comme l’éclosion d’un monde nouveau ; la première épître de Pierre le définit comme un passage « des ténèbres à son admirable lumière » (1 P 2, 9 ; Co 1, 12 ss.).

Le kérygme, comme l’a bien expliqué l’exégète Heinrich Schlier, a un caractère assertif et autoritaire, et non discursif ou dialectique, c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin de se justifier avec des raisonnements philosophiques ou apologétiques : on l’accepte ou on ne l’accepte pas. Il ne s’agit pas de quelque chose dont on peut disposer, car c’est lui qui dispose de tout ; il ne peut être fondé par quelqu’un, car c’est Dieu lui-même qui le fonde et c’est lui qui constitue ensuite le fondement de l’existence. (8)

Au IIe siècle le [philosophe] païen Celse, écrit en effet indigné : « Les chrétiens se comportent comme ceux qui croient sans raison. Certains d’entre eux ne veulent même pas donner ou recevoir une raison autour de ce auquel ils croient et utilisent des formules comme celles-ci : ‘Ne discute pas mais crois ; la foi te sauvera. La sagesse de ce siècle est un mal et l’insanité est un bien » (9).

Celse (qui nous apparaît ici extraordinairement proche des partisans modernes de la pensée faible) voudrait en somme que les chrétiens présentent leur foi de manière dialectique, c’est-à-dire en la soumettant en tout et pour tout à la recherche et à la discussion, afin que celle-ci puisse entrer dans le cadre général, acceptable y compris sur le plan philosophique, d’un effort d’auto-compréhension de l’homme et du monde qui restera toujours provis
oire et ouverte.

Naturellement, le refus des chrétiens de donner des preuves et d’accepter des discussions ne concernait pas l’ensemble de l’itinéraire de la foi, mais uniquement son début. Les chrétiens ne fuyaient pas, même à cette époque, la confrontation et le fait de « donner raison de leur espérance » également aux Grecs (cf. 1 P 3, 15). (…) Ils pensaient seulement que la foi elle-même ne pouvait pas naître de cette confrontation, mais devait la précéder comme œuvre de l’Esprit et non de la raison. La confrontation pouvait, tout au plus, la préparer et, une fois accueillie, en montrer la « justesse ».

A l’origine, le kérygme se distinguait, nous l’avons vu, de l’enseignement (didaché), comme de la catéchèse. Ces derniers tendent à former la foi, ou a en préserver la pureté, alors que le kérygme tend à la susciter. Il a pour ainsi dire, un caractère explosif, ou germinatif ; il ressemble davantage à la graine qui fait naître l’arbre, qu’au fruit mûr au sommet de l’arbre qui, dans le christianisme est plutôt constitué par la charité. Le kérygme n’est absolument pas obtenu en concentrant ou en résumant, comme s’il était le cœur de la tradition ; il est à part, ou mieux, au tout début. C’est de là que se développe tout le reste, y compris les quatre Evangiles.

Sur ce point il y a eu une évolution due à la situation générale de l’Eglise. Dans la mesure où l’on va vers un régime chrétien, dans lequel tout ce qui nous entoure est chrétien, ou se considère chrétien, on ressent moins l’importance du choix initial par lequel on devient chrétien, d’autant plus que le baptême est désormais administré normalement aux enfants, qui ne sont pas en mesure de faire un tel choix. Ce qui est le plus accentué, de la foi, ce n’est pas tant le moment initial, le miracle de découvrir la foi, que l’exhaustivité et l’orthodoxie des contenus de la foi elle-même.

3. Redécouvrir le kérygme

Cette situation a aujourd’hui une forte influence sur l’évangélisation. Les Eglises possédant une forte tradition dogmatique et théologique (comme l’Eglise catholique, par excellence), risquent de se trouver désavantagées, si en dessous de l’immense patrimoine de doctrine, de lois et d’institutions, elles ne retrouvent pas ce noyau primordial capable de susciter en lui-même la foi.

Se présenter à l’homme d’aujourd’hui, qui souvent ne connaît pas le Christ, avec l’ampleur de cette doctrine, c’est comme mettre l’une de ces lourdes chapes de brocart que l’on utilisait jadis, sur les épaules d’un enfant. Nous sommes davantage préparés, par notre passé, à être des « pasteurs » qu’à être des « pêcheurs » d’hommes ; c’est-à-dire que nous sommes mieux préparés à nourrir les personnes qui viennent à l’église, qu’à porter de nouvelles personnes à l’église, ou repêcher celles qui se sont éloignées et vivent en marge de l’Eglise.

Et ceci est une des causes pour lesquelles, dans certaines parties du monde, tant de catholiques abandonnent l’Eglise catholique pour d’autres réalités chrétiennes ; ils sont attirés par une annonce simple et efficace qui les met directement en contact avec le Christ et leur fait expérimenter la puissance de son Esprit.

Il faut certes se réjouir du fait que ces personnes aient retrouvé une foi vécue, mais c’est triste qu’elles aient abandonné l’Eglise pour cela. Avec tout le respect et l’estime que nous devons avoir pour ces communautés chrétiennes qui ne sont pas toutes des sectes (avec certaines d’entre elles l’Eglise catholique entretient depuis des années un dialogue œcuménique, ce qu’elle ne ferait certes pas avec des sectes !), il faut reconnaître que celles-ci n’ont pas les moyens que possède l’Eglise catholique pour conduire les personnes à la perfection de la vie chrétienne.

Pour nombre d’entre eux tout continue à tourner, du début à la fin, autour de la première conversion, ce que l’on appelle la nouvelle naissance, alors que pour nous catholiques cela est seulement le début de la vie chrétienne. Après, doivent venir la catéchèse et le progrès spirituel qui passe à travers le renoncement de soi, la nuit de la foi, la croix, jusqu’à la résurrection. L’Eglise catholique possède une spiritualité extrêmement riche, un nombre incalculable de saints, le magistère et surtout les sacrements.

Il faut donc que l’annonce fondamentale, une fois au moins, nous soit proposée, claire et de manière essentielle, non seulement aux catéchumènes, mais à tous, puisque la majorité des croyants d’aujourd’hui n’est pas passée à travers le catéchuménat. Certains des nouveaux mouvements ecclésiaux constituent aujourd’hui une grâce pour l’Eglise précisément parce qu’ils sont le lieu où des adultes ont finalement l’occasion d’écouter le kérygme, de renouveler leur propre baptême, de choisir en conscience le Christ comme Seigneur et sauveur personnel et de s’engager activement dans la vie de leur Eglise.

La proclamation de Jésus comme Seigneur devrait trouver sa place d’honneur dans tous les moments forts de la vie chrétienne. Les occasions les plus propices sont peut-être les funérailles parce que face à la mort l’homme s’interroge, a le cœur ouvert, est moins distrait qu’en d’autres occasions. Le kérygme chrétien est le seul à pouvoir donner à l’homme une parole à la hauteur de la question de la mort.

Le kérygme retentit, il est vrai, au moment le plus solennel de chaque Messe : « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ». Mais, isolée, celle-ci demeure une simple forme d’acclamation. Il a été dit que « les évangiles sont des récits de la passion précédés d’une longue introduction » (M. Köhler). Mais, étrangement, la partie originelle et la plus importante de l’Evangile est celle qui est la moins lue et la moins écoutée au cours de l’année. On ne lit la Passion du Christ à l’église, en aucun jour de fête avec grande affluence de fidèles, excepté le Dimanche des Rameaux où, du fait de la longueur de la lecture et de la solennité des rites, il n’y a plus le temps de prononcer une homélie consistante.

Maintenant qu’il n’existe plus de missions populaires comme autrefois, il est possible qu’un chrétien n’entende jamais, au cours de sa vie, une prédication sur la passion. Et pourtant, c’est précisément cette prédication qui en général ouvre les cœurs endurcis. Nous en avons eu la démonstration à l’occasion de la projection du film de Mel Gibson « La passion du Christ ». Il y a eu des cas de détenus qui avaient toujours nié être coupables, et qui après avoir vu ce film ont spontanément confessé leur délit.

4. Choisir Jésus comme Seigneur

Nous sommes partis de la question : « Quelle place occupe le Christ dans la société d’aujourd’hui ? » mais nous ne pouvons pas conclure sans nous poser la question la plus importante dans un contexte comme celui-ci : « Quelle place occupe le Christ dans ma vie ? » Rappelons-nous du dialogue de Jésus avec les apôtres à Césarée de Philippe : « Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ?… Mais pour vous, qui suis-je ? (Mt 16, 13-15). Le plus important pour Jésus ne semble pas être ce que pense de lui les gens, mais ce que pensent de lui ses disciples les plus proches.

J’ai évoqué ci-dessus la raison objective qui explique l’importance de la proclamation du Christ comme Seigneur dans le Nouveau Testament : celle-ci rend les événements salvifiques dont elle fait mémoire, présents et agissants. Il existe cependant aussi une raison subjective, et existentielle. Dire « Jésus est le Seigneur » signifie prendre une décision de fait. C’est comme dire : Jésus Christ est « mon » Seigneur ; je lui reconnais tout
droit sur moi, je lui cède les rênes de ma vie ; je ne veux plus vivre « pour moi-même », mais « pour lui, qui est mort et ressuscité pour moi » (cf. 2 Co 5, 15).

Proclamer Jésus comme son propre Seigneur, signifie lui soumettre tout notre être, faire pénétrer l’évangile dans tout ce que nous faisons. Cela signifie, pour reprendre une phrase du vénéré Jean-Paul II, « ouvrir, ouvrir toutes grandes les portes au Christ ».

Il m’est arrivé d’être reçu dans des familles et j’ai vu ce qui se passe lorsque l’on sonne à la porte et qu’une visite inattendue est annoncée. La maîtresse de maison s’empresse de fermer les portes des chambres en désordre, avec le lit qui n’est pas fait, afin de conduire l’hôte dans la pièce la plus accueillante. Avec Jésus, il faut faire tout le contraire : ouvrir précisément « les pièces en désordre » de la vie, surtout la pièce chargée des intentions… pour qui travaillons-nous et pour quoi le faisons-nous ? Pour nous-mêmes ou pour le Christ, pour notre gloire ou pour celle du Christ ? En cette période d’Avent, c’est la meilleure manière de préparer un berceau accueillant pour le Christ qui vient à Noël.

NOTES
1. S. Augustin, Sermo 295, 1 (PL 38,1349).
2. Cf. C. H. Dodd, Storia ed Evangelo, Brescia, Paideia, 1976, pp. 42 ss.
3. Cf., par exemple, Mc 1, 1; Rm 15, 19; Ga 1, 7.
4. Cf. Ga 6, 2; 1 Co 7, 25; Jn 15, 12; 1 Jn 4, 21.
5. J. Ratzinger, Introduzione al cristianesimo, Brescia, Queriniana, 1969, pp. 56 s.
6. Cf. Ac 2, 22-36; 3, 14-19; 10, 39-42.
7. Tertullien, Apologeticum, 39, 9: “ad lucem expa¬vescentes véritatis” .
8. H. Schlier, Kerygma e sophia, in Il tempo della Chiesa, Bologna 1968, pp. 330-372.
9. In Origene, Contra Celsum, I, 9.

[Texte original : italien – Traduction réalisée par Zenit]

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ZENIT Staff

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