Pour qu’il y ait la paix, il faut reconstruire la confiance, déclare le patriarche Twal

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Catherine Dupeyron et Jean-Marie Allafort, in Jérusalem & Religions

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ROME, Dimanche 20 décembre 2009 (ZENIT.org) – « Nous sommes condamnés à vivre ensemble », déclare le patriarche latin de Jérusalem, Mgr Fouad Twal, dans cet entretien avec Catherine Dupeyron et Jean-Marie Allafort, publié aujourd’hui par le site « Jérusalem & Religions ». Il souligne que la paix requiert le retour à la confiance : « Pourquoi ne pas essayer de créer un contexte de confiance et éviter tout ce qui ne participe pas à créer cette confiance ? »

« Jordanien d’origine, le Patriarche, tire les enseignements de la visite du pape, dénonce la « peur » comme principale obstacle à la paix, souligne la nécessité de « créer la confiance », refuse que l’accès aux lieux saints de Jérusalem soit limitée aux chrétiens comme aux musulmans « sous prétexte de la sécurité », rend hommage « à l’aide de la police israélienne » pour le bon déroulement des célébrations chrétiennes en Israël, et bien d’autres choses encore. Dans quelques jours, Mgr Twal prononcera ses vœux de noël devant la presse, comme le veut la tradition », indique la même source.

J&R- L’année 2009 a vu la visite du pape en Terre Sainte. Quel bilan en faîtes vous six mois après ? Quelles paroles, quels gestes en retenez-vous en tant que chef de l’Eglise catholique locale et en tant que simple chrétien ?

Mgr Fouad Twal – Il y a plusieurs aspects positifs à la visite du pape en Terre Sainte. Premièrement du point de vue pastoral, ces trente discours prononcés en Jordanie, en Israël et en Palestine sont pour moi, pour nous dans toutes nos paroisses locales un point de référence pour la paix, l’œcuménisme, le dialogue, la prière. Nous en avons fait un recueil. Ensuite, la nouvelle clinique pédiatrique pour les enfants – projet lancé par une organisation italienne à Beit Jala (NDLR : ville collée à Bethléem) que nous avons soutenu – porte le nom Benedictus XVI en hommage à la visite du Saint-Père. Et enfin, la chose la plus importante est sans doute que le pape a lancé un synode pour le Moyen-Orient. Il a pris cette décision après avoir vécu avec nous sur place nos joies et nos peines et l’a annoncée lors de la rencontre avec tous les patriarches catholiques du Moyen-Orient à Castelfgondolfo en septembre dernier (NDLR : le synode aura lieu en octobre 2010). Nous, l’Eglise de Jérusalem, avons un rôle important à jouer dans ce synode car que nous le voulions ou non, Jérusalem reste la clé d’une paix ou du conflit qui se poursuit.

J&R – Sur le plan politique la visite du pape a-t-elle porté ses fruits. Est-ce que vous pouvez donner des exemples concrets ?

Mgr Fouad Twal – Sur le terrain il y a quelques petites choses qui ont été faites mais nous attendions un peu plus. Les Israéliens ont levé une cinquantaine de barrages militaires (en Cisjordanie). C’est bien. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Je ne suis pas satisfait de ces petits gestes. Ce n’est pas la réponse à la situation que nous vivons. Il faut casser la peur. Il faut se concentrer sur les principes. La question est celle d’une paix et d’une sécurité définitives pour Israël, paix et sécurité définitive pour les Palestiniens, paix et sécurité définitive pour les chrétiens qui sont souvent entre les deux et en même temps nous faisons partie des deux groupes.

J&R – Les négociations entre Israël et le Vatican n’ont toujours pas abouti. La dernière réunion, qui a eu lieu à Rome début décembre, s’est achevée sur un nouvel échec. Pourtant, avant la visite de Benoît XVI, il semblait que les pourparlers avaient bien avancé. Pensez-vous qu’il y aura un accord en 2010 ?

Mgr Fouad Twal – Non, je ne vois rien à l’horizon. Cette histoire traîne toujours. Au printemps, lorsque le pape est venu en Terre Sainte, nous pensions vraiment que les choses allaient se faire. Et puis rien, même pas un geste ni sur cette question, ni même sur celle des visas. Ceci dit, la situation en Palestine ne se résume à une question de visa pour tel ou tel. Est-ce que si l’on obtient un visa, on est satisfait ? Bien sûr que non. C’est là une question mineure par rapport à ce que nous vivons. L’essentiel n’est pas là. L’important c’est de créer la confiance. Il faut que nos politiciens aient des gestes courageux même si cela doit entraîner une baisse de leur popularité dans leur propre camp. Même s’ils doivent perdre leur poste, il faut qu’ils fassent quelque chose pour la société, pour l’avenir. Cela c’est mon souhait.

J&R – Le rabbin Michaël Melchior a récemment écrit un texte où il explique qu’il n’a pas été assez tenu compte de la dimension religieuse du conflit par les négociateurs. Est-ce que vous pensez, comme lui, que les responsables religieux chrétiens, musulmans, juifs n’ont pas été assez entendus en vue d’une résolution du conflit ?

Mgr Fouad Twal – En effet, il est tout le temps question d’un conflit pour la terre mais la sainteté, la vocation, la mission spirituelle de cette terre-là est rarement évoquée. Cependant, le problème n’est pas seulement local, c’est la communauté internationale qui doit prendre conscience de cette dimension. Il me semble que certains ont commencé à en tenir un peu compte. Ainsi, lors de la dernière rencontre de notre conseil interreligieux sous le patronage du consulat des Etats-Unis, des experts américains juifs et musulmans étaient présents. Je pense que c’est positif. Ils ont décidé d’examiner les « catéchismes » juif et musulman, ce qui est très important. Si on veut traquer le fanatisme il faut aller à la racine. Que disent les livres religieux sur l’Autre ? Quelle culture donnons-nous à nos enfants ? Que leur enseignons-nous ? Au-delà des livres, je pense aussi à la vie quotidienne. Que voient nos enfants autour d’eux ? Qu’est-ce qui peut créer en eux la confiance, l’amitié voire l’amour. Peut-être que là je vais un peu loin ? (le Patriarche accompagne sa question d’un sourire) On doit voir dans l’Autre une image de Dieu, l’image d’un frère. Que puis-je faire pour donner aux Arabes plus de confiance ? Que puis-je faire pour que les juifs n’aient plus peur ? Pourquoi ont-ils peur ? Si nous tous rêvons de cette paix, nous devons payer le prix, nous devons semer quelque chose pour récolter.

J&R – Vous avez évoqué « la peur ». D’après vous le principal obstacle à la paix c’est la peur ?

Mgr Fouad Twal – Oui. Il y a un tel manque de confiance réciproque.

J&R – Dans un voyage que vous avez fait récemment en Angleterre, vous avez déclaré « la discrimination toujours présente en Israël, menace aussi bien les chrétiens que les musulmans ». Or, la liberté de culte existe en Israël. Il y a par exemple quelques 150 000 à 250 000 musulmans priant sur l’Esplanade des Mosquées pendant le Ramadan. Qu’entendiez-vous dire par ce propos ?

Mgr Fouad Twal – Les Arabes, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, ne peuvent pas venir dans les lieux saints. Les curés de Bethléem ou Ramallah ne peuvent pas venir prier au Saint-Sépulcre. Pourquoi ne pas donner un permis de passage à une sœur âgée de Bethléem qui veut prier à Jérusalem ? Nous, chrétiens, ne pouvons pas séparer les lieux saints, nous ne pouvons pas séparer Bethléem de Jérusalem, c’est un dogme, c’est notre foi, les deux villes font partie du même mystère de l’incarnation du salut. Un Etat comme Israël, qui se définit comme démocratique, doit comprendre cela. Pourquoi un curé de Jordanie ne peut-il pas venir prier à Jérusalem avec un groupe de pèlerins alors qu’il existe des relations diplomatiques entre les deux pays ? Pourquoi les Israéliens ont-ils peur des personnes qui veulent prier ? Vous appelez cela la liberté de culte ? Peut-être vos lecteurs ne seront-ils pas contents de mes propos mais c’est la réalité.

J&R – Il existe, en effet, des entraves à la liberté de circulation pour les Palestiniens des Territoires Palestiniens qui les empêche de prier à Jérusalem. La religion est-elle le critère de ces entraves à la liberté de circulation ?

Mgr Fouad Twal – Non.

J&R – Les obstacles à la liberté de culte sont donc liés à la sécurité ?

Mgr Fouad Twal – Oui. Mais la sécurité ne doit pas être un prétexte pour entraver la liberté de culte, cela est incompatible avec le principe d’un Etat démocratique. Si Israël est un Etat démocratique il doit respecter ce principe jusqu’au bout.

J&R – Avez-vous des chiffres sur l’émigration chrétienne pour 2009 ? Est-ce que c’est un phénomène qui s’accélère ou qui se stabilise ?

Mgr Fouad Twal – A Jérusalem, nous avons au maximum 10 000 chrétiens – toutes communautés confondues orthodoxes, catholiques, protestants, … – au milieu de 250 000 musulmans et 450 000 juifs pour tout Jérusalem. Nous ne sommes que 10 000 ici, c’est peu, mais nous avons toute l’Eglise catholique avec nous, toutes les Eglises. Or, l’Eglise est un élément de modération, un élément de réconciliation. Alors si l’Etat d’Israël pense sérieusement à la paix, nous constituons un élément qui peut les aider à y parvenir.

J&R – Que dites-vous aux chrétiens qui continuent de partir même si l’émigration s’est ralentie ces deux dernières années ?

Mgr Fouad Twal – Une chose que nous avons toujours dite : ils doivent être conscients que s’ils trouvent ailleurs la liberté de mouvement ainsi que du travail ils n’auront jamais une autre Terre Sainte, c’est seulement ici que nous avons une Terre Sainte. Ils n’auront jamais des racines ni en Amérique centrale, ni au Brésil. Les racines c’est ici. Soit ils ont conscience de cela, restent et acceptent les obstacles, acceptent la Croix, soit ils n’ont pas cette conscience et ils optent pour le départ. Dans ce cas, qu’ils aient au moins un sens d’appartenance à l’Eglise qui reste ici, au petit troupeau qui se maintient, qu’ils pensent à nous de là où ils sont en Amérique Latine ou en Europe.

J&R – Est-ce que vous avez des relations pastorales avec les communautés chrétiennes palestiniennes qui sont aux Etats-Unis ou au Chili ? Il y a au Chili une communauté très importante de quelques 10 000 personnes.

Mgr Fouad Twal – Ils sont même plus nombreux que cela. Nous avons des relations avec ces communautés mais elles sont insuffisantes. Dernièrement, nous avons eu la visite de quelques personnalités importantes du Chili qui sont originaires de Taybe, Ramallah et Beit Jala. Ils m’ont invité. Peut-être irai-je l’an prochain en Amérique Latine. Vous avez raison, nous avons besoin d’être en contact permanent avec la diaspora afin qu’ils gardent un sentiment d’appartenance et maintiennent un lien avec nous.

J&R – Pour les faire revenir ?

Mgr Fouad Twal – Je ne pense pas mais s’il y a une paix totale quelques uns reviendront volontiers.

J&R – Pouvez-vous nous parler de la situation des chrétiens en Jordanie, qui on l’oublie souvent, fait partie de la Terre Sainte. Qu’en est-il de l’émigration chrétienne en Jordanie ?

Mgr Fouad Twal – En effet, la Jordanie fait partie de la Terre Sainte et d’ailleurs tous les papes ont commencé leur voyage par la Jordanie. La majorité des prêtres et séminaristes du Patriarcat Latin de Jérusalem sont Jordaniens. Il existe en Jordanie plus de stabilité politique ce qui créé une stabilité psychologique pour les familles chrétiennes qui ont plus d’enfants qu’ici. La situation est plutôt tranquille pour les chrétiens de Jordanie mais l’émigration, même si elle est moins forte qu’ici, les a également touchés. Précisons que les chrétiens d’Amman sont en majorité d’origine palestinienne. Les habitants de Jordanie-Palestine sont des poumons qui respirent le même air.

J&R – Quelle est la situation des chrétiens en Israël, quelle est leur spécificité ?

Mgr Fouad Twal – Ils ne savent pas où ils sont ! Ils ont, je pense, un vrai problème d’identité. Ils sont une minorité dans une minorité. Est-ce qu’ils sont Israéliens, est-ce qu’ils sont Arabes, est-ce qu’ils sont chrétiens ? Ils sont un cocktail de tout cela.

J&R – Percevez un problème d’assimilation de ces chrétiens qui, peu à peu, finissent par perdre leur identité chrétienne que ce soit en Galilée ou à Jaffa ?

Mgr Fouad Twal – Non je ne crois pas.

J&R – Les chrétiens en Israël rencontrent-ils des problèmes particuliers en tant que croyants ?

Mgr Fouad Twal – Non. Par exemple, quand je fais la procession à Haïfa pour Notre Dame du Carmel, je suis entouré de milliers de chrétiens. Et la police israélienne fait en sorte que tout se déroule bien. Il faut voir les choses telles qu’elles sont y compris celles qui sont positives. Dans le message de Noël qui est un peu l’inventaire de toute l’année, il y a les « plus » et les « moins » ; pour les belles choses nous en remercions le Seigneur. Nous remercions la solidarité de tous, du gouvernement, de la police et des amis qui sont à l’étranger.

J&R – Parmi les choses positives, peut-on signaler le retour en masse des pèlerins comme quelque chose d’important ?

Mgr Fouad Twal – Certainement. Et la police israélienne fait tout son possible pour que tout se passe bien. C’est un fait pour lequel nous sommes reconnaissants. Maintenant que nous approchons de Noël, j’espère que les policiers seront à mes côtés pour m’aider à ce que les cérémonies se déroulent le mieux possible, à donner une bonne image de la société, de la liberté, de la démocratie.

J&R – Vous avez dit récemment en Angleterre : « Si en 61 ans nous n’avons pas réussi à obtenir la paix, cela veut dire que les méthodes que nous avons utilisées n’étaient pas les bonnes ». Quelles sont les erreurs commises ? Que faut-il faire ?

Mgr Fouad Twal – Nous sommes opposés à toute option militaire. Nous sommes opposés à toute utilisation de la violence des deux côtés, à toute discrimination, à toute occupation militaire. Pourquoi ne pas essayer de créer un contexte de confiance et éviter tout ce qui ne participe pas à créer cette confiance ? Je ne pense pas que les roquettes lancées de Gaza sur Israël ou qu’une attaque militaire à Gaza créent la confiance. Quel avenir sommes-nous en train de préparer à nos enfants ? Comment la violence et la peur peuvent-elle leur apprendre à être de bons enfants de Dieu, tous créés par Dieu, tous à l’image de Dieu, à être de bons voisins, de bons citoyens ? Que sommes-nous en train de semer pour dans quinze ou vingt ans ? Nous sommes condamnés à vivre ensemble. Condamnés. Nous n’avons pas le choix. Nous ne pourrons jamais mettre cinq millions d’Israéliens à la mer, ni mettre cinq millions de Palestiniens au désert. Nous sommes condamnés à vivre ensemble.

Propos recueillis par Catherine Dupeyron et Jean-Marie Allafort.

Voir le portrait du Patriarche Latin, « Profession Patriarche », à l’adresse en ligne : http://www.jerusalem-religions.net/spip.php?article27

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ZENIT Staff

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