Pologne : Les services secrets communistes et l’Eglise (II)

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Entretien avec l’historien Peter Raina

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ROME, Dimanche 14 janvier 2007 (ZENIT.org) – Dans une longue interview accordée à Zenit en juin dernier, l’historien Peter Raina proposait un éclairage sur les conditions auxquelles le clergé polonais était soumis sous le régime communiste. Il expliquait de quelle manière a été orchestrée la campagne de calomnies déchaînée contre les prêtres après la mort du pape Jean Paul II.

Nous publions ci-dessous la deuxième partie de cet entretien. Pour la première partie, cf. Zenit, 12 janvier.

Zenit : Après la chute du communisme, les membres du vieil appareil de répression ont-ils été jugés pour leurs crimes ?

P. Raina : Hélas non. Quelques criminels de la période stalinienne (années 50) ont été condamnés, mais pratiquement personne de la période successive (entre les années 60 et les années 80). Cette faute est imputable aux gouvernements qui se sont succédé au cours de la période postcommuniste.

Zenit : Qu’est-il advenu des archives immenses des Services de sécurité communistes ?

P. Raina : Tout ce qui se produisait et se produit dans les vieilles archives des Services communistes est une chose étrange et hors de toute règle. Je vous donne un exemple, en commençant par le premier gouvernement postcommuniste de Tadeusz Mazowiecki. Le premier ministre avait nommé son confrère Krzysztof Kozlowski au poste de ministre de l’intérieur, à la place du rédacteur en chef de l’hebdomadaire Tygodnik Powszechny de Cracovie. Munies d’une autorisation du ministre Kozlowski, quatre personnes dont deux activistes de la vieille opposition politique, un historien et un journaliste, fouillèrent dans les archives pendant six semaines. Le seul fait que M. Kozlowski ait permis à des étrangers d’avoir accès aux archives contenant des secrets d’Etat est un geste illégal qui, dans un Etat de droit, aurait été puni. Officiellement ces personnes « mettaient de l’ordre » dans les archives du Ministère de l’Intérieur, mais un officiel du ministère, a dit que « certaines personnes » avaient détruit des dossiers. En plus, l’historien lui-même a admis récemment avoir collaborer avec les Services Secrets dans les années 70. C’était lors de son séjour d’études en Allemagne fédérale.

On ignore en revanche ce que le journaliste faisait dans ces archives. Le fait est qu’entre temps on a découvert que des personnes de la rédaction de Tygodnik Powszechny collaboraient avec les Services. La chose est d’autant plus répugnante qu’il s’agit d’un milieu qui se targue, aujourd’hui, d’être la « voix libre » de la nation. Les gens ont le droit de connaître la vérité sur ces personnes. Selon la décision du Parlement polonais (Sejm) les archives des Services Secrets auraient déjà du être, depuis longtemps, entreposées dans les bureaux dudit Institut de la Mémoire nationale (en polonais Instytut Pamięci Narodowej – IPN), ce qui n’est pas le cas. Une partie des archives a été retenue au Ministère et, paradoxalement, pour mettre de l’ordre dans celles-ci, ils ont fait appel à des anciens employés des Services. Nous pouvons donc imaginer les résultats d’un tel travail !

Zenit : Quelles forces et quelles raisons sont derrière ce lynchage médiatique du clergé en Pologne ?

P. Raina : Je n’ai aucun doute : derrière se lynchage se cachent une frange d’ex-communistes et un groupe cosmopolite de politiciens libéraux qui, ensemble, veulent compromettre l’Eglise aux yeux des citoyens. Ce n’est pas un hasard s’ils ont choisi des personnes jouissant d’un certain prestige moral dans la société. Et le moment choisi bien sûr n’est pas non plus fruit du hasard : ces milieux dont je vous parle ont attendu la mort du pape, qu’ils craignaient, pour déchaîner une attaque frontale contre l’Eglise catholique.

Zenit : Les accusations portées contre les prêtres se basent sur des rapports écrits par les membres des Services de Sécurité. Quelle est la valeur de ces documents ?

P. Raina : Les documents des Services, que j’ai pu consulter personnellement, sont crédibles, mais chaque document demande une lecture attentive et une bonne capacité de discernement. Il ne faut pas oublier comment ces rapports ont été rédigés. Souvent, les fonctionnaires, dans leurs rapports, ajoutaient quelque chose pour faire voir qu’ils travaillaient bien. Il arrivait que les fonctionnaires déclarent avoir payé un agent, mais ce n’était pas vrai car l’argent finissait dans leurs poches. Il faut noter qu’avoir des rencontres avec les fonctionnaires des Services ne veut pas dire collaborer avec eux; ainsi, avant d’accuser quelqu’un, il faut être sûr que cette personne ait bien signé le document de collaboration ou qu’elle ait reçu de l’argent. On ne peut déclarer publiquement que quelqu’un est un agent, un espion, sur le simple fait d’avoir rencontré des fonctionnaires des Services de sécurité. C’est du dénigrement à l’égard de la personne.

Zenit : Depuis que le cardinal Stanislaw Dziwisz est devenu archevêque de Cracovie, on a commencé là-bas aussi à accuser les prêtres de collaboration avec les Services Secrets communistes. Ces accusations sont également parties d’un prêtre, le père Isakowski-Zalewski qui, sans la permission de l’archevêque et sans aucune préparation scientifique, a commencé à fouiller dans les documents des Services. Ce prêtre a ensuite convoqué une conférence de presse pour distribuer la liste des présumés « espions ». Le cardinal Dziwisz s’y était opposé pour éviter de dénigrer des prêtres. La décision du cardinal a été très sévèrement critiquée par certains médias, y compris les médias italiens. Que pensez-vous de la décision du cardinal Dziwisz ?

P. Raina : La décision du cardinal Dziwisz est très juste, car le père Isakowski-Zalewski ne s’est pas comporté correctement et selon la loi. S’il a réussi à obtenir son dossier de l’Institut de la Mémoire nationale, il est libre d’en diffuser son contenu. Mais pourquoi menace-t-il de publier les noms d’autres prêtres ? Selon la loi, l’Institut ne peut remettre ces dossiers qu’aux historiens dans le cadre de leurs recherches. Le père Zalewski, lui, ne conduit aucune recherche historique, il tente plutôt de susciter des rumeurs autour de son cas. Le contrôle des citoyens pour vérifier s’ils collaboraient ou non avec le régime communiste doit être fait de manière responsable. L’initiative du cardinal Dziwisz de mettre sur pied une commission diocésaine spéciale chargée d’étudier le phénomène de collaborationnisme parmi les prêtres est donc important et louable.

Zenit : La plupart des Polonais sont déçus de voir que dans leur Pologne démocratique, on n’a pas encore réussi à traîner en justice les criminels du passé communiste, les organisateurs et les exécutants du système de terreur. Sans compter que les victimes, c’est-à-dire les prêtres, sont soumis à une condamnation publique par les moyens de communication, les rendant doublement victimes. Et fait encore plus étrange, on n’a pas réussi à porter en justice les journalistes et les juges qui, fidèlement, servaient l’Etat dictatorial communiste. Pourquoi ?

P. Raina : Il est vrai que les institutions polonaises sont des institutions démocratiques, mais les conditions ne sont pas encore réunies pour qu’existe un véritable Etat de droit dans le pays. Hélas, la lutte politique est une lutte de fauteuil et d’intérêts personnels. L’intérêt et le bien de la nation ne comptent pas. C’est l’opportunisme qui est roi. Les médias sont connus pour leur extrémisme et non pour leur impartialité. Je dirais que c’est une nouvelle forme
de totalitarisme et, dans ce climat, un double lynchage pour les victimes du totalitarisme communiste.

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ZENIT Staff

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