Points-Coeur : Une présence maternelle auprès des enfants abandonnés

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Entretien avec le fondateur de l’œuvre, le père Thierry de Roucy

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ROME, dimanche 4 avril 2004 (ZENIT.org) – Dans son message de Carême le pape demande cette année aux chrétiens d’être particulièrement attentifs à la situation des enfants dans le monde. Zenit a rencontré le fondateur de Points-Cœur, une œuvre née pour venir en aide aux enfants en difficulté, pour être une « présence maternelle auprès des enfants », comme le souligne le père Thierry de Roucy. Nous publions ici la première partie de cet entretien.

Zenit : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez fondé Points-Cœur et quel est le but de cette œuvre ?

Père T. de Roucy : Depuis 1975, j’appartiens à la congrégation des Serviteurs de Jésus et Marie fondée en 1930 par le Père Lamy pour s’occuper de la vie spirituelle des enfants et des jeunes, et parmi eux des plus pauvres. Pendant dix ans je me suis préparé à être prêtre tout en m’intéressant aux jeunes, et en organisant pour eux des retraites, des pèlerinages, etc. En 1988, j’ai été élu supérieur général de la Congrégation.
En janvier 1990 alors que j’étais en train de dire le chapelet avec mes frères, j’ai reçu soudain l’appel à fonder une œuvre de compassion et de consolation, une œuvre plutôt contemplative dans sa façon de concevoir la réalité et l’aide à apporter, une œuvre un peu différente de beaucoup des ONG qui existent actuellement. Dans cette lumière, plusieurs éléments me sont apparus, à savoir que cette Œuvre ne serait pas une congrégation religieuse « classique », mais plutôt une association qui enverrait des jeunes pour une ou deux années dans un lieu où les enfants auraient besoin d’un soutien spirituel, affectif, psychologique… ou pour résumer d’un soutien « maternel ». J’ai senti aussi que la mission de cette œuvre serait vraiment fondée sur la vie de prière et d’adoration des jeunes qui y participeraient et que le séjour à Points-Cœur serait pour eux comme une longue retraite d’une ou deux années. En résumé, il m’a semblé que nos volontaires auraient un peu la place de Marie au pied de tous les crucifiés d’aujourd’hui et auraient à les regarder, à les aimer, à les encourager dans leur épreuve et à donner sens à leur vie. Une mission peut-être peu efficace aux yeux du monde, mais la mission de Marie auprès de Jésus…

Zenit: Comment réagissent les jeunes après avoir passé quelque temps dans un Point-Cœur ?

Père T. de Roucy : Au bout de deux ou trois mois, beaucoup m’écrivent en me disant : « Père Thierry, je crois que je me suis trompé. Je pensais, en effet, apporter plus que je ne recevrais à nos voisins et c’est le contraire : nos amis m’apportent énormément. Cette expérience m’enrichit comme jamais je ne l’aurais imaginé. »
Un des grands principes de Points-Cœur, c’est la phrase de saint Vincent de Paul qui dit que « les pauvres sont nos maîtres ». Dans la civilisation contemporaine les pauvres nous rappellent que l’essentiel de la vie humaine, ce sont les relations, que la foi n’est pas seulement une espèce de croyance en un principe abstrait mais qu’elle est une vie quotidienne avec Dieu, qui se manifeste dans une confiance de tout instant et nous invite à marcher sur l’eau sans crainte aucune. Je me souviens d’une pauvre femme au Brésil qui chantait dans la rue : « Merci mon Dieu, tu m’as donné le pain de ce jour (elle revenait avec un pain dans la main), et demain tu me le donneras aussi… » Dans ces quartiers où les souffrances sont nombreuses, on perçoit de façon presque sensible que la grâce est donnée à tout instant aux gens pour les soutenir. Vraiment pendant ces quinze ans j’ai expérimenté d’une façon étonnante la présence de la grâce divine ! Vivre ce que vivent nos amis dans les bidonvilles où ils sont, si Quelqu’un ne les fortifie pas heure après heure, jour après jour, et ne leur permet pas de dépasser toutes les épreuves qui les affligent, comme la mort successive de leurs enfants pour les mamans, la violence omniprésente, l’insécurité, la peur du lendemain… c’est impossible. Si Dieu n’était pas là pour donner à tant de gens blessés par la vie la grâce de sourire, la force de l’espérance, je ne sais comment ils tiendraient… Par ailleurs, plus d’une fois, j’ai eu la bienheureuse opportunité de rencontrer des gens incarcérés longuement à cause de leur foi et qui m’ont confié : « Les années que j’ai passées en prison sont indiscutablement les meilleures de ma vie ». Sans Dieu, comment expliquer de tels témoignages ?

Zenit : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un Point-Cœur ?

Père T. de Roucy : Un Point-Cœur, c’est une petite maison toute simple dans laquelle vit une communauté d’ « Amis des enfants » (nom donné aux volontaires de l’Œuvre). Dans chacune d’elle se trouve une petite chapelle avec la présence du Saint Sacrement. Même dans les pays où l’habitude n’était guère de confier la Présence réelle à de jeunes chrétiens, toujours l’évêque nous a donné son autorisation. Il y a également une chambre ou deux pour les filles et aussi, dans une autre partie, une chambre ou deux pour les garçons. Enfin chaque Point-Cœur possède une pièce où nous accueillons très simplement les gens qui viennent nous voir. La matinée est plus spécialement occupée par la vie de la maison (les courses, la préparation des repas, le linge…), la prière et l’étude. L’après-midi quelques jeunes sortent pour rencontrer les gens du quartier et d’autres restent au Point-Cœur pour accueillir ceux qui viennent.

Zenit : Les communautés Points-Cœur ont-t-elles des temps de prière particuliers ?

Père T. de Roucy : Oui. Le matin, les Amis des enfants chantent les Laudes, en fin d’après-midi les Vêpres, et le soir les Complies au cours desquelles ils se demandent pardon pour les fautes de la journée. Ils participent également à la messe dans leur église paroissiale. Tour à tour, ils passent également chaque matin une heure d’adoration devant le Saint-Sacrement. De temps à autre des gens du quartier viennent prier avec eux. En début d’après-midi, ils disent le chapelet. C’est la prière à laquelle participent le plus les personnes du quartier. Les Amis des enfants en profitent parfois pour faire une petite catéchèse à nos voisins sur les mystères du rosaire.

Zenit : Comment les Points-Cœur viennent-ils concrètement en aide aux personnes ?

Père T. de Roucy : La plupart des services qu’ils rendent sont, je vous disais, de type « maternel ». Dans les quartiers où nous nous trouvons les pères de famille sont généralement très absents. Quant aux mamans, elles sont souvent bien dépassées par leur mission. Elles s’occupent surtout du dernier-né ou des deux derniers et les autres sont livrés à eux-mêmes. Aussi, il n’y a personne pour les inscrire à l’école. Il n’y a personne pour s’occuper de leurs vêtements ou de leur état de santé. Il n’y a personne pour les écouter. Alors s’ils ont par trop faim, ils viennent chez nous. S’ils sont malades, de même. S’ils ont leur chemise déchirée, aussi. Au Liban des enfants viennent souvent chez nous pour faire leur travail scolaire, parce qu’ils n’ont pas de table pour travailler chez eux ou personne pour les aider. Et puis tout simplement les enfants viennent pour nous raconter leur vie. On prend les plus petits sur nos genoux et ils nous disent ce qu’ils ont vécu dans la journée, comme aiment à le faire tous les enfants du monde. Beaucoup d’événements tragiques surviennent aussi dans nos quartiers qui nous provoquent à nous investir. Des enfants qui meurent très jeunes, brutalement : il y a à consoler leur famille et leurs amis. Des mamans qui accouchent toutes seules. Des vieillards qui agonisent. Des bagarres. Un jour, des parents se battaient. Ils s’étaient lancés la télévision l’un sur l’autre et
un enfant était resté coincé dessous. Appelé par son frère aîné, nous sommes allés le délivrer. Ce sont mille petits services… Et puis nous essayons de mettre en relation nos amis avec les autres ONG pour qu’ils puissent bénéficier de l’aide qu’elles offrent.

Zenit : Vous n’avez pas peur d’envoyer des jeunes dans ces quartiers parfois dangereux ?

Père T. de Roucy : Si, bien sûr, j’ai parfois très peur, d’autant que nous sommes très attachés à chacun des Amis des enfants que nous envoyons. Mais je me suis rendu compte à maintes reprises que ces jeunes, placés dans une situation particulière, ont vraiment une grâce d’état pour accomplir leur mission. Ils sont mystérieusement protégés. Les parents les considèrent parfois encore comme de grands enfants – et c’est un peu normal ! – mais nous, nous les considérons vraiment comme des adultes parce que nous les voyons affronter les situations avec une sagesse et une générosité qui nous émerveillent. D’autre part, il y a aussi une chose incroyable : c’est que la population protège les jeunes. Elle aime tant les Amis des enfants ! Plusieurs fois nos voisins m’ont dit : « Ne vous souciez absolument pas de vos jeunes. On s’en occupe ! » Le monde à l’envers !… A Haïti, par exemple, lors des derniers événements, les gens de Cap-Haïtien étaient très attentifs à ce qui se passait au Point-Cœur. Quand nous avons décidé de partir nos amis étaient comme soulagés. Ils avaient trop peur qu’il nous arrive quelque chose.

Zenit : Quand vous arrivez quelque part, comment vous présentez-vous à la population ?

Père T. de Roucy : A vrai dire, nous ne nous présentons pas beaucoup. Dans les pays d’Amérique Latine, où l’on vit principalement dehors, les gens découvrent très vite la raison de notre présence. A l’origine d’un Point-Cœur, il y a la plupart du temps un évêque, un missionnaire, un diplomate qui nous appelle – et il faut choisir car des appels nous en recevons au moins un par mois ! Si nous pensons pouvoir répondre à l’appel qui nous est lancé, moi-même ou un membre de l’œuvre allons passer un séjour sur place. La personne qui nous a invités nous met alors en contact avec quelques paroisses où l’implantation pourrait se faire et nous essayons de trouver une maison dans le quartier qui semble le plus approprié. Plus tard, une petite équipe de jeunes arrive avec une personne de l’Œuvre plus expérimentée. Et le curé qui souvent déjà a mis au courant ses paroissiens de notre arrivée, ne tarde pas à nous présenter. Je pense par exemple à ce qui s’est passé au Liban. Notre curé, abbouna Samir, avait organisé une procession de l’église jusqu’à notre maison, avec une grande icône de la Vierge, les quelques jeunes du Point-Cœur derrière, puis toute la population qui nous a accompagnés jusqu’à chez nous. Tous les gens du quartier ont vu que nous faisions partie de l’église catholique et le curé a expliqué pourquoi nous étions là.

[La deuxième partie de cet entretien sera publiée dans le bulletin de demain lundi 5 avril]

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ZENIT Staff

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