Peut-on espérer une fin aux problèmes du Nigeria ?

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Interview du Pere Godfrey Igwebuike Onah

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 ROME, Dimanche 29 novembre 2010 (ZENIT.org) – L’Eglise au Nigeria est confrontée à de nombreux et difficiles défis sur plusieurs fronts – corruption, violence, pauvreté – mais un défi n’exclut pas l’espérance, affirme le vice-recteur de l’université pontificale urbanienne de Rome.

Le père Godfrey Igwebuike Onah, un Nigérian vivant actuellement à Rome, a partagé ses réflexions avec l’AED (Aide à l’Eglise en détresse). « Les Nigérians ne renoncent pas facilement », a-t-il assuré. « Nous sommes un peuple très tenace ».

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », le père Noah donne un aperçu de la situation de l’Eglise au Nigeria.

Q : Père, le Nigeria compte une population d’environ 150 millions d’habitants et, dans l’ensemble, les musulmans sont au nord et les chrétiens au sud. Ces dernières années ont été marquées par de violents affrontements entre musulmans et chrétiens. Quelle est aujourd’hui la situation sur place dans la région nord du Nigeria ?

Père Noah : Eh bien, il faut remarquer tout d’abord que les statistiques, très tôt politisées au Nigeria, sont par là même difficiles à établir. Déjà à l’époque coloniale, du fait que l’attribution et la répartition des ressources s’opéraient toujours en fonction des chiffres, les gens ont essayé de manipuler les chiffres pour prétendre à des avantages, aussi est-il réellement difficile de parler de la répartition géographique des divers groupes au Nigeria. On dit généralement que les musulmans sont majoritaires au nord, et les chrétiens au sud, mais c’est oublier que beaucoup de gens du sud sont des travailleurs immigrés, commerçants et employés du public. On trouve donc au nord beaucoup de chrétiens du sud, tandis que bon nombre de gens du nord sont chrétiens. On l’oublie souvent ; en particulier dans la zone de Zaria et Kaduna : il y a beaucoup de chrétiens natifs de la région, pas seulement des immigrés. Cela dit, il faut aussi garder présent à l’esprit qu’il y a des musulmans dans le sud-ouest du Nigeria.

Le problème se situe, semble-t-il, au nord. Pourquoi, s’il y a également des musulmans au sud ?

Oui, la situation au nord a toujours été instable. Elle est liée à l’histoire du pays. Selon certains historiens, dès le 11e siècle, les rois et empereurs – nous avions des royaumes et des empereurs au nord du Nigeria – ont établi des contacts, à travers le commerce et les pèlerinages, avec des érudits musulmans. Certains d’entre eux sont devenus musulmans, allant jusqu’à construire des mosquées en Egypte et ailleurs, ainsi que des centres d’études.

Ce type d’échanges s’est poursuivi et, très vite, l’islam s’est propagé au nord du Nigeria, mais au 19e siècle il s’est produit un fait particulier : l’islam s’est répandu à travers la jihad inspirée par Uthman dan Folio, et depuis lors, l’islam a toujours été associé à des formes de violence, en particulier quand certaines personnes y trouvent un avantage politique.

Les Nigérians ordinaires, qu’ils soient musulmans, chrétiens ou fidèles traditionnels, ont appris à vivre ensemble. Récemment, les politiques ont exploité la désillusion de la population locale pour créer des problèmes.

[…]

Pouvez-vous dire aujourd’hui ce qui motive cette violence ?

Je pense qu’il serait présomptueux pour quiconque de le dire ; tout au plus peut-on énumérer un certain nombre de facteurs qui y contribuent. Il ne fait pas de doute que le premier facteur est historique ; historique, en ce sens que, quand est née l’idée de mélanger plus de 350 nationalités ethniques pour former, avec elles, un nouvel état moderne appelé Nigeria, on n’a pas cherché à créer aussi un seul peuple, une seule identité nationale. Que signifie être Nigérian pour un Nigérian typique d’aujourd’hui ? Voici la raison historique.

Vient s’ajouter le fait que l’éducation n’a pas été uniformément répartie parmi la population. Une large majorité de la jeunesse musulmane du nord n’a pas reçu d’éducation, si par éducation on entend l’éducation scolaire de type occidental. Ils possèdent une éducation islamique que, soit dit en passant, nombre d’entre eux considèrent comme la seule véritable forme d’éducation. De ce fait, une grande partie de la jeunesse, pas ou peu formée, dépendra complètement de ce que ses leaders religieux lui diront. D’autre part, le déclin économique du Nigeria a laissé certains dans une grande pauvreté, pas seulement au nord, mais partout au Nigeria. Il y a tant de jeunes qui sont mécontents et déçus, et les politiciens comme le gouvernement, qui s’enrichissent tous les jours, manipulent ces personnes quotidiennement.

Il existe également une lutte pour la suprématie entre les différentes mouvances musulmanes en Afrique. Je veux parler, par exemple, de l’influence de la Libye, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. Chacun de ces groupes cherche à dominer, parce que tous pensent que le Nigeria est un pays stratégique, pas seulement pour le pétrole, mais aussi pour la population en Afrique. Ils voudraient, autant que possible, financer des groupes, des mouvements d’inspiration islamique, mais nous savons aussi qu’au sein du monde musulman, il n’existe pas un groupe homogène, qu’il y a souvent des luttes internes entre musulmans, avant même qu’ils s’en prennent aux non musulmans.

De nombreux facteurs entrent donc en jeu : politiques, religieux, économiques et sociaux. Mais, si on ne connait pas la cause il est difficile de commencer à suggérer des solutions. Je pense que la raison de cette violence tient en partie aux programmes axés sur les jeunes, qui ne sont pas satisfaisants.

[…]

La charia a été introduite dans 12 des 36 Etats du Nigeria. Que signifie cette loi islamique et, plus particulièrement, que signifie-t-elle pour les chrétiens qui vivent dans ce contexte ?

C’est un autre exemple de manipulation politique d’un phénomène religieux. Dès 1946, quand la Constitution du Nigeria été élaborée, le pays a été divisé en trois régions et cette division régionale a été maintenue dans les Constitutions de 1954 et 1958. Qu’est-ce que cela signifie ? Que, en 1958, les gouvernements régionaux avaient déjà un peu d’autonomie régionale et qu’une partie de cette autonomie comportait notamment l’autonomie législative ; les gouvernements régionaux avaient déjà le pouvoir de promulguer les lois, et c’est ainsi que la charia (loi coranique) a été introduite dans les Etats du nord, et cela, j’imagine, dès l’époque pré-coloniale.

Je ne possède pas de documents pour le prouver mais, de toute façon, il était clair que cela a été fait pour les musulmans. A un certain moment, notamment durant la période militaire, il est devenu normal pour certains de chercher à se servir de la charia pour paraître représenter les intérêts musulmans. C’est alors que la charia est devenue un problème pour les chrétiens. N’oublions pas que beaucoup de problèmes ou les effets négatifs de la modernisation sont souvent, pour le musulman nigérian moyen, associés aux chrétiens parce que, pour lui, Europe est synonyme de chrétien.

[…]

Mgr Kagamé de Jos appelle au dialogue, le dialogue de la vie. Est-ce ce à quoi vous vous référez quand vous dites : nous devons trouver un terrain d’entente ?

Le dialogue de la vie est déjà en cours dans de nombreuses régions du Nigeria ; dans certaines familles cohabitent chrétiens et musulmans au sein d’une même famille et, d’ailleurs, l’islam et le christianisme ne sont pas les seules religions au Nigeria. Il y en a d’autres. Il y a les religions traditionnelles et parfois les rapports avec ces religions traditionnelles sont plus difficiles, notamment dans le sud, parce que la religion traditionnelle est imbriquée dans t
out le tissu culturel et ce n’est pas facile de dissocier la culture de la religion, alors c’est parfois une cause de tension. Mais en donnant du temps au temps, avec la patience, le dialogue et l’écoute…

Maintenant ce qui se passe au Nigeria entre les religions semble se situer à un échelon plus élevé, celui des leaders ; le sultan de Sokoto et l’archevêque de Abuja, le président de l’Association chrétienne du Nigeria sont de très bons amis et comprennent que ces affrontements ne mènent à rien, et ils vont de l’avant. Les gens du peuple donnent parfois l’impression de hurler les uns contre les autres, sans que personne n’écoute et, hélas, les chrétiens généralement s’en vont, mais parmi eux ont émergé des éléments plus radicaux, notamment parmi les pentecôtistes agressifs.

Avec tous ces courants : économiques, politiques, de corruption, d’intérêts, peut-on espérer une fin à tout cela ?

Si je n’espérais pas, je ne serais pas chrétien et, plus encore, si je n’espérais pas je ne serais pas un Nigérian typique. Les Nigérians ne renoncent pas facilement. Nous sommes un peuple très tenace ; autrement, nous nous serions rebellés depuis longtemps contre notre gouvernement. Je le répète, nous avons besoin d’une classe politique responsable.

L’absence totale de gouvernement est parfois responsable de cette violence dans laquelle les jeunes prennent la loi entre leurs mains. Si nous avons un responsable politique, avec un gouvernement prêt à faire son travail, et une élite religieuse responsable qui éduque les fidèles des différentes religions à respecter les principes de ces deux religions, les Nigérians pourront poursuivre leur processus par tâtonnements. Il n’est facile pour aucun groupe de personnes de sortir d’une crise qui résulte d’un malentendu religieux  ; ce n’est pas facile, mais ce n’est pas impossible non plus. Je crois donc que la route à suivre passe par l’éducation, même si ce terme revêt des significations différentes selon les différents groupes religieux.

Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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