Pédophilie : Inciter les victimes à « dénoncer leurs bourreaux »

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Les normes établies à l’époque du cardinal Ratzinger

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ROME, Dimanche 14 mars 2010 (ZENIT.org) – Les trois cents cas de pédophilie parvenus en neuf ans à la Congrégation pour la doctrine de la foi ont été traités avec rigueur en tenant compte d’abord de l’intérêt des victimes, ce qui signifie aussi « inciter les victimes à dénoncer leur bourreaux », indique le Vatican.

C’est en effet un des points révélés par le « procureur » du tribunal de la congrégation pour la Doctrine de la Foi, Mgr Charles J. Scicluna, qui sort de sa réserve dans une interview accordée au quotidien catholique italien « Avvenire », publiée le 13 mars 2010. La traduction intégrale, en français et dans d’autres langues, a été publiée par le Service d’Information du Vatican (VIS) de ce même 13 mars (cf. ci-dessous, in « Entretien », la traduction intégrale). Le « Promoteur de Justice », comme on appelle le « Ministère public », explique les rouages d’un tribunal ecclésiastique traitant de ces cas.

Tout d’abord, depuis le motu proprio de Jean-Paul II, en 2001, le crime pédophilie relève, rappelle Mgr Sicluna, de la compétence exclusive de la Doctrine de la Foi, et il témoigne qu’en tant que préfet de ce dicastère, « le cardinal Ratzinger a géré ces affaires avec fermeté ».

Il dénonce donc comme une « calomnie » toute accusation d’avoir tenté de cacher les délits, au contraire, dit-il, le cardinal Ratzinger a voulu la transparence : « Le cardinal Ratzinger a fait preuve de courage dans le traitement de cas extrêmement délicats. Accuser le Pape actuel d’avoir occulté la question est pure calomnie ».

En cas de dénonciation d’un de ses prêtres, voici la ligne que doit suivre un évêque : « Si l’accusation est vraisemblable, son évêque est contraint d’enquêter tant sur l’objet de la démarche que sur sa validité. Si l’enquête préliminaire confirme l’accusation, il n’a plus le pouvoir d’agir et doit transmettre le dossier au Bureau disciplinaire de notre congrégation ».

Mgr Scicluna précise aussi les chiffres : 3000 cas traités par la congrégation en neuf ans. Dans 60 % des cas, il s’agit « d’actes d’ « éphébophilie », c’est-à-dire d’attraction physique pour des adolescents de même sexe ». Dans 30 % des cas, il s’agit « d’attirance hétérosexuelle », et pour les 10 % restant, il s’agit de « véritable attraction physique pour des garçons impubères », donc de pédophilie, soit environ 300 cas. « Trop certes, mais il faut constater que le phénomène n’est pas étendu comme on veut le faire croire », souligne le procureur.

Pour ce qui est des origines géographiques des faits, Mgr Sicluna indique que la majorité des 3000 cas signalés viennent des Etats Unis, soit 80 % des cas entre 2003 et 2004. Mais, en 2009, la proportion était tombée à 25 % des 223 nouveaux dossiers, du monde entier. Et entre 2007 et 2009, environ 250 cas ont été signalés, par an, à la congrégation romaine.

Mgr Sicluna indique également le lieu des procès « Dans 20 % des cas, le procès, pénal ou administratif, s’est déroulé sous notre supervision dans le diocèse de compétence. Très rarement il y a un procès au Vatican, ce qui permet aussi d’accélérer l’iter ».

Parfois, le procès n’a pas lieu et la sanction tombe automatiquement : « Dans 60 % des cas, principalement à cause de l’âge avancé des accusés, on n’engage pas de procès, mais des mesures disciplinaires sont prises à leur encontre, comme l’interdiction de célébrer la messe en public et de confesser, ou l’obligation de conduire une vie retirée et de pénitence ».

Il fait observer que « même s’il n’y a pas eu de condamnation formelle, la réduction au silence et l’obligation de prière a tout son sens », par conséquent, il ne s’agit « absolument pas d’une absolution ».

Il précise quelles sont les autres sanctions infligées: « Pour une moitié des autres cas, particulièrement graves, avec des preuves indubitables, le Pape a pris la douloureuse responsabilité de la réduction à l’état laïc. Il s’agit d’une mesure extrême mais inévitable. L’autre moitié, ce sont les prêtres qui ont demandé à être relevés de leurs devoirs sacerdotaux. On compte parmi eux des prêtres trouvés en possession de matériel pédo-pornographique, condamnés pour ce délit par la justice civile ».

Et dans certains cas, ajoute le procureur, le prêtre a été « innocenté », ou bien « les accusations n’ont pu être suffisamment démontrée ». Mais, insiste Mgr Scicluna, « dans chaque cas, on évalue la culpabilité de l’accusé, mais aussi sa capacité à exercer son ministère ».

Une autre question se pose : quelle relation avec les tribunaux civils ? Il répond : « Dans les pays de culture juridique anglo-saxonne, mais aussi en France, les évêques prennent généralement connaissance des crimes commis par leurs prêtres hors confession, ce qui les oblige à recourir à l’autorité judiciaire (…). Nous recommandons de respecter la loi civile ».

Surtout, révèle Mgr Scicluna, la congrégation « encourage les évêques à inviter les victimes à dénoncer leur bourreaux », et « à fournir à ces victimes toute l’assistance nécessaire, et pas uniquement spirituelle ».

« Dans le cas récent d’un prêtre condamné par un tribunal civil italien, c’est la congrégation qui a suggéré aux dénonciateurs réclamant une procédure canonique d’alerter la justice civile. Ceci dans l’intérêt des victimes et pour éviter de nouveaux actes délictueux », indique le procureur.

Une autre révélation : Mgr Scicluna souhaite « l’imprescriptibilité » de tels crimes. La prescription a en effet été fixée à dix ans par le motu proprio de 2001, à partir de la 18e année de la victime. Or, explique Mgr Scicluna, « la pratique a monté que ce terme décennal n’est pas adapté à ce type d’affaires ». Il préconise le retour « au système précédent fixant l’imprescriptibilité de ces « delicta graviora ». »

De fait, tenant compte de l’expérience du tribunal, dès « le 7 novembre 2002, Jean-Paul II a donné à la congrégation pour la Doctrine de la Foi une faculté de dérogation au cas par cas, sur demande motivée de l’évêque intéressé », une possibilité « généralement accordée ». Car, a-t-il précisé, « avant 1989, le principe de la prescription pénale était étranger au droit de l’Eglise ».

Anita S. Bourdin

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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