Paul-Samuel Auszenkier s’est éteint, sous le signe de Kippour

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Le destin exceptionnel d’un ami du card. Lustiger

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A. Bourdin

ROME, vendredi 28 septembre 2012 (ZENIT.org) – Le regard bleu de « Samy », Paul-Samuel Auszenkier, juif polonais, ancien combattant de la libération de Paris, ami du cardinal Lustiger, qui avait découvert Jésus de Nazareth pendant la seconde Guerre mondiale, s’est éteint, entouré de l’amour des siens, ce vendredi 28 septembre à Paris, juste après Kippour, fêté le 26 septembre : il a en quelque sorte fait son grand passage « sous le signe de Kippour », à l’âge de 88 ans. C’était aussi le lendemain de l’anniversaire de son baptême. Il était depuis quelques jours hospitalisé en soins palliatifs.

Son livre-entretien passionnant avec Christine Rater-Garcette, « Faire Mémoire » (Cerf, 2009), témoigne d’un itinéraire incroyable. Juif polonais né en 1924, Paul-Samuel Auszenkier est arrivé avec sa famille à Paris en 1934. Mais peu à peu la famille éclate : des sœurs en Palestine, son frère prisonnier, une autre sœur déportée à Auschwitz, pendant que lui-même gagne la zone libre, avec ses tefillins et son voile de prière dans son maigre bagage.

Puis survient sa lecture de l’Evangile – « J’ai deux mille ans de retard » pense-t-il alors –  à l’occasion d’une hospitalisation et de la sollicitude d’une Fille de Saint-Vincent de Paul – que  l’Eglise fêtait hier. Il est baptisé – une expérience mystique fondatrice – par Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban de 1940 à 1947, passe en Espagne, est fait prisonnier – ce qui lui permet d’apprendre l’anglais – puis libéré, il rejoint l’Afrique du Nord, s’embarque pour Glasgow, débarque en France en août 44 et libère Paris dans la 2eDB, descend les Champs-Elysées avec de Gaulle, avec les Américains traque les nazis.

Puis il demeure une dizaine d’années auprès du P. Jean-Pierre Altermann, prêtre catholique, juif lui aussi, à Paris, à la « Maison d’Ananie » – il rencontrera les Maritain à cette occasion – puis il part pour Israël où il rejoint sa mère et ses sœurs. Il a le coup de foudre pour Rachel : ils se marient. Ils participent à la vie des communautés catholiques hébréophones en Israël (auxquelles il a offert les bénéfices de son livre), puis, avec leurs enfants, ils reviennent en France. Le Concile, Nostra Aetate, l’amitié avec Jean-Marie Aron Lustiger : un tournant. Et, récemment, l’association diocésaine « Marie fille de Sion » dont il a été le modérateur : enfin, il avait trouvé sa place dans l’Eglise.

Il a souvent confié que pendant longtemps il n’osait pas parler, en milieu catholique, de sa judéité, et en milieu juif de sa catholicité : son livre a libéré, unifié son cœur. Et à la question : « Pourquoi ce livre ? », il répondait : « J’ai aujourd’hui quatre-vingt trois ans. Je suis arrivé à une étape de ma vie où je souhaite pouvoir dire quelle a été ma vie, qui je suis en vérité (…). Mais il n’est pas facile de parler en vérité, sans crainte d’être incompris ou de blesser soit ma famille, soit mes amis juifs » (« Faire mémoire », p. 17).

Souvent, il s’interrogeait: « S’il n’y avait pas eu Nostra Aetate, serais-je resté dans l’Eglise ? » Mais il y a eu Nostra Aetate et Lustiger. La nomination de Mgr Lustiger comme archevêque de Paris, par Jean-Paul II, en 1981 lui avait donné une nouvelle espérance. Il voulait que la porte du dialogue avec le judaïsme ne se referme jamais, avec cette image du « pied dans la porte », quoi qu’il arrive. Le 10 août 2007, j’ai vécu à ses côtés, par un de ces « hasards » qui ne s’oublient pas, les funérailles de l’archevêque de Paris, à Notre-Dame, du Kaddish à l’Eucharistie.

En Israël, Samy avait fondé la communauté catholique hébréophone de Jaffa. La vie dans les communautés catholiques hébréophones à la fin des années 1950 n’était pas sans difficulté : « Nous n’étions pas beaucoup et nous étions très isolés. La communauté hébréophone n’en était qu’à ses débuts, elle n’était pas encore reconnue officiellement, et nous avions le sentiment « d’essuyer les plâtres ». En France, avec la guerre, j’étais le juif qu’il fallait éliminer. En Israël, j’étais le juif baptisé qui n’était pas admis. A cette époque, en Israël on pouvait être bouddhiste, communiste, n’importe quoi, mais pas catholique. C’était trop près de la Shoah », explique-t-il (Ibid. p. 91).

L’hébreu est très important: « Quand je prie en hébreu, je me sens plus proche des premières communautés chrétiennes, j’essaie de prier les psaumes en hébreu, comme le faisait Jésus. On dit souvent que la langue est une constituante importante de l’identité: pour moi, parler l’hébreu m’a fait prendre plus conscience de mon identité juive (…). C’est une grâce de prier la Bible en hébreu, cela explique aussi pourquoi beaucoup de chrétiens aujourd’hui désirent l’apprendre » (Ibid. p. 134).

« En relisant ma vie, confie-t-il, je ne sais à quelle vocation j’étais vraiment appelé. J’ai le sentiment d’avoir vécu plusieurs vies avec cependant « le fil rouge » de la main de Dieu qui, sans que je le réalise toujours, m’a fait avancer au travers d’événements et de rencontres » (Ibid. p. 139).

J’ai connu « Samy » en mars 1999, à l’occasion d’une hospitalisation : il était venu me rendre visite. Je lui ai dit au-revoir la semaine passée, à l’occasion de sa dernière hospitalisation. Déjà, ses yeux s’étaient fermés sur une intériorité que seul Dieu connaît. Pendant 13 ans, il n’a pas cessé – c’était ainsi qu’il faisait pour tous – de se soucier de ce que je devenais. Il partageait ses joies, comme celle que lui procurait la clarinette de Rose Bacot et la musique klezmer, ou sa rencontre avec Jacinta et la joie de chanter en yiddish. Il avait tenu à me guider dans le Mémorial de la Shoah de Paris. Cet été, il m’avait confié son désir de « rencontrer Jésus » : il lui semblait ne pas l’avoir encore rencontré comme il l’aurait souhaité profondément.

La grande fête Kippour de Kippour, le « Jour des expiations », « Yom hakkipourim » ou, plus simplement « Yom kippour », souvent traduit en français par « le Grand Pardon », est une journée de jeûne et de pénitence.

Dans les rues de Jérusalem, le matin, on entend s’élever les chants des demandes de pardon de toutes les synagogues. La liturgie est en effet nourrie de longues litanies pénitentielles, et de chants liturgiques propres. « Au terme de la journée, lorsque retentit la sonnerie du shofar, il est d’usage de s’adresser mutuellement le vœu de « hatima tova », par lequel on souhaite que le sort de chacun soit scellé pour le meilleur dans l’année qui commence », souligne le P. Michel Remaud.

Paul-Samuel est « entré dans la Vie », là où le sort des amis de Dieu est scellé « pour le meilleur ».

On peut retrouver Paul-Samuel Auszenkier dans cette belle vidéo de Kto :

http://www.ktotv.com/videos-chretiennes/emissions/nouveautes/un-coeur-qui-ecoute-memoire-paul-samuel-auszenkier/00053018

« Faire mémoire », Paul-Samuel Auszenkier, entretiens avec Christine Rater-Garcette (éd. du Cerf, 2009). La préface est de Sr Cécile Rastoin, ocd, spécialiste d’Edith Stein.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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