Pas de conflit entre la vérité et l'amour, par le card. Burke (II)

Congrès de la Société de droit canon du Kenya

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Traduction d’Hélène Ginabat

ROME, mardi 18 septembre (ZENIT.org) – Pour « servir la liberté », il faut reconnaître l’existence d’un « ordre moral objectif en droit » affirme le cardinal Burke qui dénonce les conséquences d’une pensée philosophique positiviste et utilitaire.

L’enseignement moral de l’Eglise est donc nécessaire pour éclairer les citoyens et tous « les hommes de bonne volonté », précise le préfet de la Signature apostolique, dans cette deuxième partie de son discours intitulé « Le droit au service de la justice et de la vérité », donné à l’Université Strathmore à Nairobi, le 27 août dernier.

(La première partie a été publiée par Zenit le mardi 4 septembre)

Droit et métaphysique

Le réalisme des lois, leur fondement sur le caractère objectif et la fin des choses, a été, pendant un certain temps, sérieusement remis en question ou rejeté par une philosophie positiviste et utilitaire. Le pape Benoît XVI a décrit succinctement la situation dans son discours au Bundestag en septembre 2011. Parlant de l’interdiction contemporaine de tout débat sur la loi morale naturelle dans le discours public, il déclarait : « Avant tout, la thèse selon laquelle entre l’être et le devoir être il y aurait un abîme insurmontable, est fondamentale. Du fait d’être ne pourrait pas découler un devoir, parce qu’il s’agirait de deux domaines absolument différents. La base de cette opinion est la conception positiviste, aujourd’hui presque généralement adoptée, de nature… Une conception positiviste de la nature, qui entend la nature de façon purement fonctionnelle, comme les sciences naturelles la reconnaissent, ne peut créer aucun pont vers l’ethos et le droit, mais susciter de nouveau seulement des réponses fonctionnelles.» [xvii].

De toute évidence, la vision positiviste dissocie le droit de ses fondements métaphysiques.

Manifestement, une telle conception exclut aussi de la raison tout ce qui n’est pas démontrable selon les critères positivistes. Le pape Benoît XVI, en concluait :
« Dans cette vision, ce qui n’est pas vérifiable ou falsifiable ne rentre pas dans le domaine de la raison au sens strict. C’est pourquoi l’ethos et la religion doivent être assignés au domaine du subjectif et tombent hors du domaine de la raison au sens strict du mot. Là où la domination exclusive de la raison positiviste est en vigueur – et cela est en grande partie le cas dans notre conscience publique – les sources classiques de connaissance de l’ethos et du droit sont mises hors jeu. » [xviii].

Dans son article publié en deux parties, “Law and Morality: Taking a Theoretical Break from the Norm,” (Le droit et la morale : Faire une pause théorique de la norme), le P. Edward J. Richard, missionnaire de La Salette et éminent théologien moraliste, décrit les fondements philosophiques de la théorie du positivisme juridique, parfois aussi appelé réalisme juridique. [xix] En même temps, il observe un développement parallèle parmi certains théologiens moralistes catholiques qui suivent une théorie morale qui est appelée conséquentialisme ou proportionnalisme.

La théorie morale en question juge de la bonté d’un acte, en fonction de l’intention d’une conséquence bonne, même si les moyens de réaliser le bien visé est mal en soi. La théorie juridique comme la théorie morale sont enracinées dans une vision instrumentaliste du monde. Richard fait le commentaire suivant : « Les normes étant considérées comme des moyens en vue d’une fin, le résultat juridique ou moral ne peut jamais être indiqué par la norme elle-même. En d’autres termes, agir contrairement à une norme ne doit pas, en soi, être considéré comme moralement ou légalement mauvais. Dans la théorie juridique et la théorie morale en question, la règle ou la norme est considérée comme un guide. Il faut tenir compte des circonstances pertinentes, y compris des buts et des fins des règles ainsi que des actions concernées, avant d’en arriver à une appréciation morale ou juridique. Des valeurs et des intérêts en opposition à la racine de la formulation de la règle peuvent, dans certains cas, donner lieu à un conflit. Ce n’est que lorsque ce conflit est résolu à la lumière des circonstances pertinentes et des résultats possibles que la légalité ou la moralité de l’acte est décidée » [xx].

 
Le développement parallèle parmi certains théologiens catholiques moralistes a ajouté à la confusion quant à la nature de la loi et de son service du bien commun. La théorie morale, déformée et trahie par les thèses conséquentialiste ou proportionnaliste, n’est pas en mesure de rendre son premier service qui est de montrer la vérité sur la loi ; elle participe, en fait, à la confusion mortifère du positivisme juridique.

Le pape Benoît XVI a fait référence aux graves dommages causés par cette pensée dans son discours de Noël à la curie romaine, en 2010. Faisant référence aux graves maux de notre temps, par exemple, la pédophilie, la pornographie impliquant des enfants et l’abus de drogues, il commentait ainsi : « Tout plaisir devient insuffisant et l’excès dans la tromperie de l’ivresse devient une violence qui déchire des régions entières, et cela au nom d’un malentendu fatal de la liberté, où justement la liberté de l’homme est minée et à la fin complètement anéantie. »[xxi]

Il observait aussi que, pour surmonter ces maux et leurs « fondements idéologiques », il fallait reconnaître « une perversion de fond du concept d’ethos ». [xxii]

 
 Fournissant ensuite une description des fondements idéologiques des maux moraux de notre temps, il disait : « On affirmait – jusque dans le cadre de la théologie catholique – que n’existerait ni le mal en soi, ni le bien en soi. Existerait seulement un « mieux que » et un « pire que ». Rien ne serait en soi-même bien ou mal. Tout dépendrait des circonstances et de la fin entendue. Selon les buts et les circonstances, tout pourrait être bien ou aussi mal. La morale est substituée par un calcul des conséquences et avec cela cesse d’exister. » [xxiii]

Une telle pensée est manifestement contraire à la pensée morale de l’Église qui considère que certaines actions sont bonnes en elles-mêmes, intrinsèquement bonnes, et certaines actions sont mauvaises en elles-mêmes, intrinsèquement mauvaises. [xxiv]

L’effet désastreux d’une pensée si erronée sur le concept du droit est évident.

Réfutant les erreurs graves du conséquentialisme et du proportionnalisme, le bienheureux pape Jean-Paul II a souligné, dans son encyclique Veritatis splendor, l’importance d’un l’enseignement moral solide pour l’ordre politique. Il a rappelé la raison de l’insistance de l’Eglise sur l’ordre moral objectif : « La fermeté de l’Eglise dans sa défense des normes morales universelles et immuables n’a rien d’humiliant. Elle ne fait que servir la vraie liberté de l’homme : du moment qu’il n’y a de liberté ni en dehors de la vérité ni contre elle, on doit considérer que la défense catégorique, c’est-à-dire sans édulcoration et sans compromis, des exigences de la dignité personnelle de l’homme auxquelles il est absolument impossible de renoncer est la condition et le moyen pour que la liberté existe. » [xxv]

La reconnaissance d’un ordre moral objectif en droit est donc nécessaire, si l’on veut servir la liberté. La clarté de l’Eglise lorsqu’elle enseigne la vérité morale et réfute  la faute morale est essentielle à un ordre politique sain. L’enseignement moral de l’Église forme le caractère des citoyens qui sont ses fidèles et aussi des hommes de bonne volonté qui reconnaissent la vérité de son
enseignement, en accord avec le bien commun. D’autre part, les moralistes dont les théories ne rendent pas correctement compte des normes morales universelles et immuables sapent la liberté humaine dans l’ordre politique.

Le Pape Jean-Paul II a poursuivi sa réflexion sur le danger d’une « conception totalitaire du monde » que les démocraties de l’Ouest ont déploré dans les gouvernements d’inspiration marxiste, tout en niant en même temps « les droits fondamentaux de la personne humaine » et en absorbant dans la politique « l’aspiration religieuse qui réside dans le cœur de tout être humain ». [xxvi]
« C’est le risque de l’alliance entre la démocratie et le relativisme éthique qui retire à la convivialité civile toute référence morale sûre et la prive, plus radicalement, de l’acceptation de la vérité », a-t-il fait remarquer [xxvii].

 
Le pape Jean-Paul II a ensuite cité une déclaration disant de sa Lettre encyclique Centesimus annus : « Comme le montre l’histoire, une démocratie sans principes se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois. » [xxviii]

La sagesse et la prudence du bienheureux pape Jean-Paul II sont malheureusement vérifiées, par exemple, dans le système juridique des États-Unis qui, en acceptant sans réserve la doctrine juridique positiviste, a placé le fondement du droit sur les sables mouvants du relativisme. Un exemple d’application montre que ce n’est pas une simple question de considérations théoriques. Dans une décision de la Cour suprême des États-Unis dans le cas Planned Parenthood of Southeastern Pennsylvania v. Casey, prise le 29 juin 1992, l’opinion majoritaire a déclaré :

 « Au cœur de la liberté réside le droit de définir sa propre conception de l’existence, du sens, de l’univers et du mystère de la vie humaine » [xxix].

 
Un tel langage révèle une compréhension de la loi qui est totalement séparée de toute réalité objective, de tout principe métaphysique. Selon la décision, la loi et son application doivent respecter le « concept » qu’a l’individu du monde et de la vie humaine. Le langage de cette décision tolère une forme d’individualisme et de poursuite de l’intérêt personnel qui est vraiment totalitaire. La clarification qu’a faite le pape Jean-Paul II sur la vérité morale qu’il faut enseigner dans l’Eglise et son avertissement contre le conséquentialisme et le proportionnalisme sont tout à fait opportuns pour le monde de la politique aussi.

 
Je tiens à faire remarquer que le terme de « valeurs », qui est couramment utilisé aujourd’hui dans le débat sur la relation entre la morale et le droit, peut être problématique, car il vient du monde économique et d’une évaluation relative de la valeur des choses. Je préfère le mot de « biens » ou de « vertus ». En d’autres termes, les valeurs peuvent changer, selon l’évaluation humaine, tandis que les biens ou les vertus, inhérentes à la nature donnée par Dieu et à la fin des personnes et des choses, demeure.

(à suivre)

Références:

[xvii] “Grundlegend is zunächst die These, dass zwischen Sein und Sollen ein unüberbrückbarer Grabe ist. Aus Sein könne kein Sollen folgen, weil es sich da um zwei völlig verschiedene Bereiche handle. Der grund dafür ist das inzwischen fast allegemein angenommene positivistische Verständnis von Natur…. Ein positivischer Naturbegriff, der nie Natur rein funktional versteht, so wie die Naturwissenschaft sie erkennt, kann kein Brücke zu Ethos und Recht herstellen, sondern widerum nur funktionale Antworten hervorrufen.” Benedictus PP. XVI, Allocutio “Iter apostolicum in Germaniam: ad Berolinensem foederatum coetum oratorum,” 22 Septembris 2011, Acta Apostolicae Sedis 103 (2011), p. 666. English translation: L’Osservatore Romano Weekly Edition in English, 28 September 2011, p. 7.

[xviii] “Was nicht verifizierbar oder falsifizierbar ist, gehört danach nicht in den Bereich der Vernunft im strengen Sinn. Deshalb müssen Ethos und Religion dem Raum des Subjektiven zugewiesen werden und fallen aus dem Bereich der Vernunft im strengen Sinn des Wortes heraus. Wo die alleinige Herrschaft der positivistischen Vernunft gilt – und das ist in unserem öffenlichen Bewußtsein weithin der Fall — , da sind die klassischen Erkenntnisquellen für Ethos und Recht außer Kraft gesetzt.“ Ibid., p. 667. English translation: Ibid., p. 7.

[xix] Edward J. Richard, M.S., “Law and Morality: Taking a Theoretical Break from the Norm,” Studia Moralia, 35 (1997), 427-443; and 36 (1998), 239-265.

[xx] Edward J. Richard, M.S., “Law and Morality: Taking a Theoretical Break from the Norm,” Studia Moralia, 36 (1998), 255.

[xxi] “Ogni piacere diventa insufficiente e l’eccesso nell’inganno dell’ebbrezza diventa una violenza che dilania intere regioni, e questo in nome di un fatale fraintendimento della libertà, in cui proprio la libertà dell’uomo viene minata e alla fine annullata del tutto.” Benedictus PP. XVI, Allocutio “Ad Curiam Romanam: Omina Nativitatis,” 20 Decembris 2010, p. 36. English translation: L’Osservatore Romano Weekly Edition in English, 22-29 December 2010, p. 13.

[xxii] “fondamenti ideologici.” “una perversione di fondo del concetto di ethos.” Ibid., p. 36. English translation: Ibid., p. 13.

[xxiii] “Si asseriva – persino nell’ambito della teologia cattolica – che non esisterebbero né il male in sé, né il bene in sé. Esisterebbe soltanto un «meglio di» e un «peggio di». Niente sarebbe in se stesso bene o male. Tutto dipenderebbe dalle circostanze e dal fine inteso. A seconda degli scopi e delle circostanze, tutto potrebbe essere bene o anche male. La morale viene sostituita da un calcolo delle conseguenze e con ciò cessa di esistere.” Ibid., p. 37. English translation: Ibid., p. 13.

[xxiv] Cf. Catechismus Catholicae Ecclesiae, Città del Vaticano: Libreria Editrice Vaticana, 1997, nn. 1753 et 1756. English translation: Catechism of the Catholic Church, 2nd ed., Città del Vaticano: Libreria Editrice Vaticana, 1997, nos. 1753 and 1756.

[xxv] “Ecclesiae firmitudo in moralibus normis universalibus immutabilibusque tuendis nihil habet contumeliosi; verae hominis libertati solummodo inservit: quandoquidem praeter vel contra veritatem nulla libertas habetur, absoluta defensio, nimirum laxamentis et accomodationibus amotis, earum rerum, quas omnino necessarioque hominis personalis dignitas postulat, via est dicenda et condicio ipsius exsistentiae libertatis.” Ioannes Paulus PP. II, Litterae encyclicae Veritatis splendor, “De quibusdam quaestionibus fundamentalibus doctrinae moralis Ecclesiae,” 6 Augusti 1993, Acta Apostolicae Sedis, 85 (1993), 1209, n. 96. English translation: Vatican City State: Libreria Editrice Vaticana, p. 145, no. 96.

[xxvi] “totalitaria mundi visione… ob repudiationem fundamentalium iurium personae humanae… religiosae postulationis quae exsistit in corde cuiusvis hominis….” Ibid., 1212, n. 101. English translation: Ibid., p. 151, no. 101.

[xxvii] “est discrimen foederis inter democratiam et ethicum relativismum, qui convictum civilem privat quavis tuta morali ratione eum efficiendo omnino veritatis agnitione nudatum.” Ibid., 1212, n. 101. English translation: Ibid., pp. 151-152, no. 101.

[xxviii] “Populare tandem regimen principiis carens, in totalitarismum manifestum occultumve prompte vertitur, ut hominum annales commonstrant.” Ioannes Paulus PP. II, Litterae encyclicae Centesimus annus, “Saeculo ipso Encyclicis ab editis litteris «Rerum novarum» transacto,” 1 Maii 1991, Acta Apostolicae Sedis, 83 (1991), 850, n. 46. English translation: Vatican City State: Libreria Ed
itrice Vaticana, p. 89, no. 46 (corrected by the author).

[xxix] Planned Parenthood v. Casey, 505 U.S. 833, 852 (1992).

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ZENIT Staff

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