« Parole de Dieu et unité de l'Église », par le cardinal Walter Kasper

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ROME, Jeudi 20 janvier 2005 (ZENIT.org) – A l’occasion de la Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, l’évêque de Nanterre (http://catholique-nanterre.cef.fr), dans les Hauts de Seine, en région parisienne, Mgr Gérard Daucourt, a invité le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens. Le cardinal Kasper a concélébré l’eucharistie, lundi dernier, 17 janvier, en la cathédrale de Paris, aux côtés du cardinal Jean-Marie Lustiger.

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Le cardinal Kasper a ensuite donné une conférence à l’Espace Saint-Pierre de Neuilly sur Seine, sur le thème : « Parole de Dieu et unité de l’Église ». En effet, au moment où l’Eglise célèbre l’année de l’Eucharistie, Mgr Daucourt a aussi lancé dans le diocèse une « Année de la Parole de Dieu ». Le cardinal Kasper a insisté sur l’unité des deux « tables » de la Parole et de l’Eucharistie.

Le cardinal Kasper a structuré son exposé en six parties (ci-dessous), en remontant au Concile Vatican II, et il a achevé par une considération sur l’œcuménisme spirituel, à partir du renouveau de la tradition de la « Lectio divina ».

Nous publierons chaque jour une partie de cet exposé à l’occasion de la semaine de prière pour l’Unité : I et II le 20 janvier, III, le 21 janvier, IV, le 23 janvier, V, le 24 janvier, et VI le 25 janvier).

I. Un énoncé programmatique du Concile
II. Lumières et ombres dans la situation post-conciliaire
III. Parole de Dieu comme parole de salut
IV. L’Église maison de la Parole de Dieu
V. Écoute ecclésiale de la Parole de Dieu
VI. Renouvellement de la Lectio divina

Parole de Dieu et unité de l’Église
Cardinal Walter Kasper

I.-Un énoncé programmatique du Concile

En cette année 2005 qui vient de commencer, nous pouvons jeter un regard rétrospectif sur les quarante ans qui se sont écoulés depuis la fin du Concile Vatican II. Ce sera le 40ème anniversaire de toute une série d’importants documents du Concile. Parmi ceux-ci, le plus important et d’une portée fondamentale, bien qu’il n’ait pas nécessairement retenu le plus l’attention du public, est la Constitution dogmatique sur la Révélation divine « Dei Verbum ». Elle débute par une déclaration magistrale, avec laquelle le Concile est parvenu à s’exprimer de manière vraiment géniale et à frapper un grand coup : « Quand il [le Concile] écoute religieusement et proclame hardiment la Parole de Dieu… ».

Avec cette remarquable déclaration, le Concile n’entend certes pas la Parole de Dieu comme un livre ni comme une collection de livres canoniques. Le christianisme n’est pas une religion du livre, encore qu’actuellement, pour des raisons facilement compréhensibles, il soit souvent considéré comme telle dans le dialogue interreligieux. La Parole de Dieu est un discours et un événement ; elle advient, elle oriente, elle dispense la grâce. C’est cela la Parole de Dieu vivante, proclamée et écoutée avec foi.

Ainsi compris, le préambule de la Constitution sur la Révélation divine contient une auto-définition de l’Église à laquelle on était très peu accoutumé jusqu’à présent et qui est pourtant profondément enracinée dans la Tradition. L’Église s’y définit comme Église humblement à l’écoute et se considère en même temps comme Église envoyée dans le monde, précisément pour annoncer cette Parole de Dieu avec hardiesse – qui ne veut rien dire d’autre que : avec « parrèsia », en toute franchise. L’Église existe par la Parole de Dieu et pour la Parole de Dieu. Par sa nature elle est une Église à l’écoute et une Église missionnaire (AG 2).

Le passage de la première Épître de Jean, qui suit immédiatement le préambule dans la Constitution sur la Révélation divine, montre clairement de quoi il est question dans cette écoute et cette proclamation : « Nous vous annonçons la vie » (1 Jn 1,2). La Parole de Dieu est Parole de vie, une Parole qui éclaire la vie et qui est une lumière pour les pas sur le chemin souvent sombre de la vie (Ps 119, 105), une Parole qui est vie et qui donne la vie. L’Épître de Jean nous dit en quoi consiste cette vie qui vient de la Parole, et précisément en la communion (koinônia) avec Dieu et les uns avec les autres. En même temps, la Parole de Dieu pousse l’Église au-delà de ses limites du moment. L’Église a pour mission d’annoncer le message de salut (salutis praeconium) partout dans le monde – et le préambule continue avec les paroles de saint Augustin – « pour que … le monde entier croie en écoutant, espère en croyant, aime en espérant ».

Selon ce préambule, Parole de Dieu, être et mission de l’Église, salut de l’homme et du monde s’interpénètrent intimement. Il y a une corrélation interne entre la Parole de Dieu et le peuple de Dieu. Martin Luther l’a traduite dans la formule suivante : « La Parole de Dieu ne peut pas être sans le peuple de Dieu, et d’un autre côté le peuple de Dieu ne peut pas être sans la Parole de Dieu ». La Parole de Dieu est constitutive de l’Église ; elle crée sans cesse une communauté toujours nouvelle et toujours plus large. Dans l’écoute et la proclamation de la Parole de Dieu, c’est de l’unité de l’Église qu’il s’agit, et aussi de la plus grande unité œcuménique de l’Église.

II.-Lumières et ombres dans la situation post-conciliaire

Des déclarations aussi fortes et aussi énergiques, et des formules aussi géniales ne sont évidemment pas tout simplement tombées du ciel. Elles ont été longuement préparées. Au début du XXe siècle, à côté du mouvement liturgique, du mouvement œcuménique et du mouvement pastoral, il y avait le mouvement biblique. Déjà les Papes Léon XIII (« Providentissimus Deus », 1893) et Pie XII (« Divino afflante Spiritu », 1943) l’avaient efficacement soutenu et encouragé. Certes, il y eurent également des conflits tragiques et d’ailleurs inutiles, au cours desquels plusieurs biblistes attachés à l’Église ont personnellement payé un prix élevé pour avoir cherché à mettre en valeur le sens originel du texte de l’Écriture par des méthodes scientifiques modernes. Ce n’est qu’avec le Concile Vatican II qu’a eu lieu la percée décisive. À ce sujet, on ne doit pas sous-estimer l’influence de l’exégèse et de la théologie protestante.

Cautionné et approfondi par le Concile, le mouvement biblique a pu enrichir la vie de l’Église ; et il l’a fait dans une large mesure. Un nouvel ordre de lecture a été introduit dans la liturgie, qui devait permettre aux fidèles d’avoir un meilleur accès à la Parole de Dieu ; une nouvelle orientation a été donnée à la catéchèse et à la théologie, dont l’âme est l’étude des saintes Écritures (DV 24), et il y a même eu un renouveau de spiritualité axé sur l’Écriture, au cours duquel les livres de méditation et d’édification utilisés jusqu’alors ont été pour la plupart écartés et remplacés par la lecture et la méditation de l’Écriture. La théologie et la pratique œcuméniques ne seraient pas entièrement pensables sans la théologie biblique rénovée. La Bible et son exégèse devinrent un point de départ commun pour les chrétiens des différentes communautés ecclésiales ; ils y ont trouvé une impulsion et une source d’inspiration pour la recherche de la pleine unité.

D’un autre côté, ce ne serait certainement pas réaliste d’oublier qu’il existe également des forces et des courants qui, en séparant le renouvellement de son origine, le privent de l’entièreté de ses fruits. La théologie biblique devrait se sentir encouragée par le magistère à adopter les méthodes de l’exégèse biblique historique, qui se sont révélées utiles et fécondes. Toutefois, par un excès d’érudition, la théologie biblique, au lieu de rendre la Bible plus accessible, a souvent érigé autour d’elle une sorte de clôture qui a barré plutôt que facilité son accès au chrétien ordinaire. Certains commentaires parlent moins de Dieu et de sa Parole que des idées et des intentions des auteurs des différents écrits et couches de la Bible. Voulant s’en servir pour préparer un sermon, on est le plus souvent déçu et on finit par y renoncer ; leur lecture nous a peut-être apporté de meilleures connaissances, mais pas nécessairement une plus grande sagesse.

C
e n’est que lentement qu’on a pris conscience du fait qu’à la base de l’exégèse biblique soi-disant purement objective et historique, il y a l’idée préconçue et le préjugé, typiquement modernes, selon lesquels on voudrait s’émanciper de la prévention dogmatique, alors que cette « lutte de libération à l’égard du dogme » du tournant moderne portait l’individu à s’ériger en juge du texte. L’exégèse biblique s’est ainsi détachée du contexte ecclésial, mais elle a très souvent fait avec la Bible exactement ce qu’elle reprochait à la dogmatique ; elle en a fait, d’une manière nouvelle, une mine exploitée pour ses propres projets. Comme le montre en particulier l’histoire de la recherche libérale sur la vie de Jésus, c’était souvent le propre esprit des maîtres qui s’exprimait dans leurs résultats prétendus purement objectifs. Récemment, il est de nouveau apparu évident qu’« une dogmatique particulière s’est érigée en nouvelle norme de l’exégèse, qui consiste en succédanés de la tradition théologique et transforme l’horizon théocentrique en horizon anthropocentrique ».

Ainsi, l’unité de la Bible et des différents livres bibliques s’est désagrégée en de multiples couches et textes. La Bible commentée n’est plus le fondement de l’unité de l’Église, mais de la pluralité des confessions qui peuvent toutes s’appuyer, plus ou moins, sur une diversité de couches et d’ensembles de la tradition biblique. La question se pose donc de savoir comment entendre l’unique Parole de Dieu dans ces multiples témoignages et leurs nombreuses couches . En fait, la plupart des différences spécifiquement confessionnelles entre les biblistes appartiennent désormais au passé, mais il est devenu difficile de saisir toutes les différences entre les écoles et les opinions qui se chevauchent les diverses confessions. Dans la théologie protestante on parle de la crise du principe scripturaire évangélique dans sa conception traditionnelle.

Un processus analogue a lieu au niveau paroissial. Bon nombre de chrétiens ont tiré un grand bien spirituel de la lecture et de la méditation de l’Écriture Sainte ; en cela, l’exégèse scientifique de la Bible leur a souvent été utile. Par contre, l’excès d’érudition biblique en a repoussé d’autres, ou alors c’était trop exiger d’eux. Ils estimaient pouvoir se passer de l’écoute d’une exégèse trop minutieuse. On en vint à des méthodes de travail biblique pratique qui tire du texte, selon l’idée ou l’intérêt subjectifs, ce qui répond aux besoins du moment ou aux sentiments subjectives , sans s’interroger sur les intentions du texte. Ainsi, c’est parfois davantage une question d’édification subjective que d’écoute de ce que Dieu veut nous dire.

La corrélation profonde entre la Parole de Dieu, l’Église et le salut de l’homme, d’où partait le préambule de la Constitution sur la Révélation divine, a donc été rompue par différents côtés. L’exégèse biblique donne souvent l’impression du chaos plutôt que de l’unité. C’est pourquoi nous avons de bonnes raisons de réfléchir à nouveau sur le rapport entre la Parole de Dieu et l’unité de l’Église. Nous avons besoin d’une nouvelle réception, c’est-à-dire d’une nouvelle assimilation des intentions du Concile Vatican II, pour remettre au premier plan l’écoute de ce que Dieu veut nous dire. Il est temps de reparler de Dieu.

(à suivre)

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ZENIT Staff

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