« Parole de Dieu et unité de l'Église », par le cardinal Walter Kasper (2)

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CITE DU VATICAN, Vendredi 21 janvier 2005 (ZENIT.org) – A l’occasion de la Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, l’évêque de Nanterre, dans les Hauts de Seine, en région parisienne, Mgr Gérard Daucourt, a invité le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens. Le cardinal Kasper a concélébré l’eucharistie, lundi dernier, 17 janvier, en la cathédrale de Paris, aux côtés du cardinal Jean-Marie Lustiger.

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Le cardinal Kasper a ensuite donné une conférence à l’Espace Saint-Pierre de Neuilly sur Seine, sur le thème : « Parole de Dieu et unité de l’Église ». En effet, au moment où l’Eglise célèbre l’année de l’Eucharistie, Mgr Daucourt a aussi lancé dans le diocèse une « Année de la Parole de Dieu ». Le cardinal Kasper a insisté sur l’unité des deux « tables » de la Parole et de l’Eucharistie.

Le cardinal Kasper a structuré son exposé en six parties (ci-dessous), en remontant au concile Vatican II, et il a achevé sur une considération sur l’œcuménisme spirituel, à partir du renouveau de la tradition de la « Lectio divina ».

Nous publierons chaque jour une partie de cet exposé à l’occasion de la semaine de prière pour l’Unité : I et II le 20 janvier, III, le 21 janvier, IV, le 23 janvier, V, le 24 janvier, et VI le 25 janvier).

I. Un énoncé programmatique du Concile (cf. Zenit, 20 janvier)
II. Lumières et ombres dans la situation post-conciliaire (cf. Zenit, 20 janvier)
III. Parole de Dieu comme parole de salut (21 janvier)
IV. L’Église maison de la Parole de Dieu (23 janvier)
V. Écoute ecclésiale de la Parole de Dieu (24 janvier)
VI. Renouvellement de la Lectio divina (2( janvier)

Parole de Dieu et unité de l’Église
Cardinal Walter Kasper

III. Parole de Dieu comme parole de salut

« Dei Verbum », « Parole de Dieu » – c’est ainsi que s’intitule la Constitution sur la Révélation divine. Ces mots, que l’on trouve si souvent dans la Bible, donnent déjà matière à réflexion. Ils disent qu’il s’agit de la Parole de Dieu et non de la parole des hommes. Ils disent en outre que Dieu est un Dieu qui parle et pas une idole muette, qui ne parlent pas (Ps 115,5). Bien sûr, Dieu est le Dieu caché, le Dieu qui est au-dessus de tout concept et de toute parole humaine ; mais il n’est pas un Dieu inconnu et étrange comme le a conçu la gnose antique e comme le conçoit la néo-gnose moderne. Il est le Dieu qui s’abaisse, qui s’adresse à l’homme, qui révèle son nom à nous et qui ainsi peut être nommé et appelé par nous. C’est un Dieu de la communication. Dieu existe et parle de toute éternité. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu » (Jn 1, 1).

Nous ne pouvons pas aborder ici l’exégèse théologique trinitaire de cette déclaration. En ce qui nous concerne il suffira de dire que Dieu ne nous reçoit pas comme le faisait la pythie grecque, avec des murmures mystérieux et ambigus, ni avec l’extase des mystiques, qui dépasse tout langage et finit par rester muette devant le mystère, ni avec l’exubérance et les frémissements des sentiments pieux ou encore avec des discours béats ; le Dieu biblique vient à nous avec un message humain et intelligible, qui crée la communauté. C’est ce que l’apôtre Paul a très clairement fait remarquer aux charismatiques corinthiens (1 Co 14, 2-12).

En tant que Parole de Dieu, ce discours n’est pas un verbiage sans importance; il est au contraire plein de force. Il opère et accomplit ce qu’il dit. « Dieu dit… et ce fut » (Gn 1, 3 etc.). Le concept hébraïque « dabar » signifie l’un et l’autre : parole et acte. La Parole de Dieu est une réalité dynamique ; elle a un caractère factuel ; elle est verbum efficax. « Dicere Dei est facere » dit Thomas d’Aquin. « Vivante, en effet, est la Parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur » (He 4, 12).

La Bible décrit ce caractère factuel également par des catégories personnelles. La Parole de Dieu est un discours amical adressé à l’homme, et une invitation à la communion. Dieu se révèle pour entrer en communion et en dialogue avec l’homme (cf. Ex 33, 11 ; Jn 15, 14-15). La Parole de Dieu est ainsi une invitation à l’amitié avec Dieu et à l’amitié les uns avec les autres. C’est dans ce sens que Thomas d’Aquin a défini la caritas une amitié divine, et que les mystiques du bas Moyen-Âge se disaient amis de Dieu.

Dieu s’étant révélé par des paroles et par des actes historiques, sa parole n’est pas un fait purement « actualiste ». Les paroles proclament les œuvres et celles-ci corroborent les paroles (DV 2). Avec cette déclaration le Concile dépasse aussi bien l’intellectualisme unilatéral que l’existentialisme « actualiste », sans tomber pour autant dans le positivisme historique. La Parole de Dieu, en tant que discours d’actualité, a un contenu concret et renferme en même temps des éléments de profession transférables. C’est ce qui apparaît clairement déjà dans l’Ancien Testament, surtout dans le « schéma Israël » : « Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN ! » (Dt 6, 4). Dans le Nouveau Testament, comme on le sait aujourd’hui, les professions de foi appartiennent à la tradition la plus ancienne ; elles sont antérieures aux Évangiles et aux Épîtres (Rm 10, 9 ; 1 Co 12, 3 ; 15, 3-5 etc.).

Parole et action sont unis de façon unique et définitive en Jésus Christ. En lui, le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14). Jésus Christ, « par toute sa présence, par tout ce qu’il montre de lui-même, par ses paroles, par ses œuvres, par ses signes, par ses miracles, mais surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d’entre les morts, enfin par l’envoi qu’il fait de l’Esprit de vérité, donne à la révélation son dernier achèvement et la confirme » (DV 4). Il est, comme dit Thomas d’Aquin, le verbum abbreviatum.

Dans cet événement qu’est la révélation par la parole et par l’action, la question, en dernière analyse, n’est pas que Dieu ait dit « quelque chose », un secret, une doctrine ou un commandement quelconques. Dans sa Parole, Dieu se révèle lui-même et révèle le mystère de sa volonté. En fin de compte, il ne s’agit donc pas de révélation matérielle mais d’auto-révélation et d’auto-communication de Dieu. Selon Thomas d’Aquin, Dieu est le véritable objet matériel et formel de la foi ; tout ce qui peut être dit sur l’humanité du Christ et sur les sacrements de l’Église est objet de foi dans la mesure où nous sommes ordonnés à Dieu.

Dieu se révèle à l’homme comme sa destination définitive, son salut eschatologique. Dans sa Parole il se donne à l’homme et le fait participer à la nature divine (2 P 1, 4). C’est ainsi qu’à l’écoute de la Parole de Dieu dans la foi, l’homme se ne comprend plus par lui-même mais par ce qui est entièrement différant de lui, c’est-à-dire par la Parole de Dieu. Ainsi par la Parole de Dieu l’homme est donné à lui-même de façon entièrement nouvelle. Le Concile Vatican II a exprimé cet état de choses en des termes encore une fois géniaux lorsqu’il dit que Dieu se révèle à l’homme et révèle l’homme à l’homme (Gaudium et Spes 22).

La Parole de Dieu est donc un événement personnel et en même temps un fait historique réel, une auto-révélation de Dieu ainsi qu’une révélation de l’homme et de sa destinée ; théocentrisme et anthropocentrisme ne constituent en ce cas aucune contradiction, mais une unité qui atteint sa perfection en Jésus Christ. C’est pourquoi, toute révélation doit, en fin de compte, être comprise en sens christocentrique.
(à suivre)

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ZENIT Staff

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