P. Cantalamessa : « Ils ne seront plus qu’une seule chair »

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Méditation de l’Evangile du dimanche 8 octobre

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ROME, Vendredi 6 octobre 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile de ce dimanche, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc 10, 2-16

Des pharisiens l’abordèrent et pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus dit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui répondirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Jésus répliqua : « C’est en raison de votre endurcissement qu’il a formulé cette loi. Mais, au commencement de la création, Il les fit homme et femme. A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’un. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »
De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur répond : « Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d’adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d’adultère. »
On présentait à Jésus des enfants pour les lui faire toucher ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.

© AELF

Ils ne seront plus qu’une seule chair

Le thème de ce XXVIIe dimanche est le mariage. La première lecture commence par les célèbres paroles : « Le Seigneur Dieu dit : ‘Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra’ ». De nos jours le mal du mariage est la séparation et le divorce, au temps de Jésus c’était la répudiation. Dans un certain sens il s’agissait d’un mal plus grand car il impliquait également une injustice à l’égard de la femme. La répudiation est encore malheureusement pratiquée dans certaines cultures. L’homme avait en effet le droit de répudier sa femme, mais la femme n’avait pas le droit de répudier son mari.

Dans le judaïsme, deux opinions différentes s’affrontaient au sujet de la répudiation. Les uns affirmaient qu’il était licite de répudier sa femme pour n’importe quel motif, par conséquent, selon une décision arbitraire du mari ; les autres affirmaient en revanche qu’il fallait un motif grave, prévu par la Loi. Un jour ils soumirent cette question à Jésus, persuadés qu’il soutiendrait l’une ou l’autre de ces deux thèses. Ils reçurent cependant une réponse inattendue : « C’est en raison de votre endurcissement qu’il [Moïse, ndlr] a formulé cette loi. Mais, au commencement de la création, [Dieu] les fit homme et femme. A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’un. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ».

La loi de Moïse concernant la répudiation est vue par le Christ comme une disposition non pas voulue mais tolérée par Dieu (comme la polygamie et d’autres désordres), à cause de la dureté du cœur et de l’immaturité humaine. Jésus ne critique pas Moïse pour cette concession ; il reconnaît que dans ce domaine le législateur humain ne peut pas ne pas tenir compte de la réalité de fait. Il re-propose cependant à tous l’idéal originel de l’union indissoluble entre l’homme et la femme (« une seule chair ») qui, au moins pour ses disciples, devra désormais être la seule forme de mariage possible.

Jésus ne se limite toutefois pas à réaffirmer la loi ; il y ajoute la grâce. Ceci signifie que les époux chrétiens n’ont pas seulement le devoir de rester fidèles jusqu’à la mort ; ils ont également les aides nécessaires pour le faire. De la mort rédemptrice du Christ vient une force – l’Esprit Saint – qui imprègne tous les aspects de la vie du croyant, y compris le mariage. Celui-ci est même élevé à la dignité de sacrement et d’image vivante de son union sponsale avec l’Eglise sur la croix (cf. Eph 5, 31-32).

Affirmer que le mariage est un sacrement ne signifie pas seulement (comme on le croit souvent) que dans le mariage l’union des sexes – qui en dehors du mariage serait désordre et péché – est permise, licite et bonne ; cela signifie en plus affirmer que le mariage devient un moyen de s’unir au Christ à travers l’amour pour l’autre, un véritable chemin de sanctification.

Cette vision positive est celle que le pape Benoît XVI a si brillamment mis en lumière dans son encyclique « Deus caritas est » sur l’amour et la charité. Le pape n’y oppose pas l’union indissoluble dans le mariage à toute autre forme d’amour érotique ; il la présente toutefois comme la forme la plus mûre et parfaite du point de vue non seulement chrétien mais également humain.

« Cela fait partie, dit-il, des développements de l’amour vers des degrés plus élevés, vers ses purifications profondes, de l’amour qui cherche maintenant son caractère définitif, et cela en un double sens : dans le sens d’un caractère exclusif – ‘cette personne seulement’ – et dans le sens d’un ‘pour toujours’. L’amour comprend la totalité de l’existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps. Il ne pourrait en être autrement, puisque sa promesse vise à quelque chose de définitif : l’amour vise à l’éternité ».

Cet idéal de fidélité conjugale n’a jamais été facile (le mot « adultère » a une connotation négative également dans la Bible !) ; aujourd’hui cependant, la culture permissive et hédoniste dans laquelle nous vivons l’a rendu infiniment plus difficile. La crise alarmante que traverse l’institution du mariage dans notre société est sous les yeux de tous. Des législations civiles, comme celle du gouvernement espagnol, qui consentent (et indirectement ainsi encouragent !) à entamer des procédures de divorce après seulement quelques mois de vie commune. Les conjoints utilisent des expressions comme : « J’en ai assez de cette vie », « je m’en vais », « si c’est comme ça, chacun pour soi ! », dès la première difficulté (soit dit en passant, je crois qu’un époux chrétien qui a prononcé l’une de ces paroles, devrait se confesser, car le simple fait de les prononcer est une offense à l’unité et constitue un dangereux précédent psychologique).

Le mariage souffre ici des conséquences de la mentalité actuelle du « jetable ». Si un appareil ou un outil est endommagé ou légèrement éraflé, on ne pense pas à le réparer (ceux qui faisaient ces métiers n’existent plus désormais), on ne pense qu’à le remplacer. Appliquée au mariage, cette mentalité fait des ravages.

Que peut-on faire pour endiguer cette dérive, cause de tant de mal pour la société et de tant de tristesse pour les enfants ? J’aurais bien une suggestion à faire : redécouvrir l’art du raccommodage ! Remplacer la mentalité du « jetable » par celle du « raccommodage ». Désormais presque plus personne ne pratique le raccommodage. Mais même s’il ne se pratique plus sur les vêtements, il faut pratiquer cet art du raccommodage sur le mariage. Repriser les accrocs, et les repriser tout de suite.

Saint Paul donnait d’excellents conseils à ce propos : « Si vous êtes en colère, ne tombez pas dans le péché ; avant le coucher du soleil mettez fin à votre emportement. Ne donnez pas prise au démon
» (Eph 4, 26-27) ; « Supportez-vous mutuellement, et pardonnez si vous avez des reproches à vous faire » (Col 3, 13) ; « Portez les fardeaux les uns des autres » (Ga 6, 2).

Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’à travers ce processus d’accrocs et de raccommodages, de crises et de dépassements de crise, le mariage ne se fane pas mais s’affine et s’améliore. Je vois une analogie entre le processus qui conduit à un mariage réussi et celui qui conduit à la sainteté. Sur le chemin vers la perfection, les saints traversent souvent ce que l’on appelle la « nuit obscure des sens », dans laquelle ils n’éprouvent plus aucun sentiment, aucun élan ; ils se sentent arides, vides, font tout à la force de la volonté, et tout est difficile. Vient ensuite la « nuit obscure de l’esprit », dans laquelle non seulement le sentiment entre en crise mais également l’intelligence et la volonté. On arrive à se demander si l’on est sur la bonne voie, si par hasard on ne s’est pas complètement trompé ; c’est le noir le plus complet, des tentations à n’en plus finir. On n’avance plus qu’avec la foi.

Tout est donc fini ? Loin de là ! Tout cela n’était que purification. Après avoir traversé ces crises, les saints se rendent compte que leur amour pour Dieu est désormais beaucoup plus profond et plus désintéressé qu’au début.

De nombreux couples reconnaîtront ici facilement leur propre histoire. Eux aussi traversent souvent dans leur mariage, la nuit des sens, dans laquelle tout élan des sens vient à manquer et l’extase des sens – en supposant qu’elle ait un jour existé – n’est plus qu’un souvenir du passé. Certaines personnes connaissent également la nuit obscure de l’esprit, l’état dans lequel le choix de fond lui-même entre en crise et l’on a l’impression de ne plus rien avoir en commun.

Si avec de la bonne volonté, et l’aide d’une autre personne, on arrive à surmonter ces crises, on se rend compte que l’élan, l’enthousiasme des premiers jours étaient vraiment peu de chose comparé à l’amour stable et la communion qui ont mûri au fil des années. Si au début les époux s’aimaient pour la satisfaction que cela leur procurait, aujourd’hui ils s’aiment peut-être un peu plus d’un amour de tendresse, libéré de l’égoïsme et capable de compassion ; ils s’aiment pour ce qu’ils ont réalisé et souffert ensemble.

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ZENIT Staff

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