P. Cantalamessa : Ce n’est plus Dieu qui juge les hommes, mais l’inverse

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ROME, vendredi 6 juillet 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 8 juillet, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

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Evangile de Jésus Christ selon saint Luc 10, 1-12.17-20

Après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait aller.
Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route.
Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous servira ; car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu’on vous offrira.
Là, guérissez les malades, et dites aux habitants : ‘Le règne de Dieu est tout proche de vous.’
Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, sortez sur les places et dites :
‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le règne de Dieu est tout proche.’
Je vous le déclare : au jour du Jugement, Sodome sera traitée moins sévèrement que cette ville.
Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux. Ils racontaient : « Seigneur, même les esprits mauvais nous sont soumis en ton nom. »
Jésus leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
Vous, je vous ai donné pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et pouvoir sur toute la puissance de l’Ennemi ; et rien ne pourra vous faire du mal.
Cependant, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. »

© http://www.aelf.org

Le royaume de Dieu est proche

Cette fois encore nous commentons l’Evangile avec l’aide du livre du pape Benoît XVI sur Jésus. Auparavant je voudrais toutefois faire une observation de caractère général. La critique adressée au livre du pape par certains préconise de se limiter à ce que disent les Evangiles sans tenir compte des résultats de la recherche historique moderne qui porteraient, selon eux, à des conclusions très diverses. Il s’agit d’une idée très répandue qui alimente une littérature du type « Le Da Vinci Code » de Dan Brown, ainsi que des œuvres de vulgarisation historique basées sur ce même présupposé.

Je crois qu’il est urgent de souligner une équivoque fondamentale présente dans tout cela. L’idée d’une recherche historique sur Jésus, cohérente, rectiligne, qui procède inexorablement vers une pleine lumière sur Jésus, est un pur mythe que l’on tente de faire croire aux gens mais auquel plus aucun historien sérieux ne croit aujourd’hui.

L’une des plus célèbres représentantes de la recherche historique sur Jésus, l’Américaine Paula Fredriksen écrit : « Les livres se multiplient. Dans la recherche scientifique récente Jésus a été présenté comme une figure de chaman du premier siècle, comme un philosophe itinérant cynique, comme un visionnaire radical et un réformateur social qui prêche une éthique égalitaire en faveur des hommes, comme un régionaliste galiléen qui se bat contre les conventions religieuses de l’élite de Judée (le temple et la Torah), comme un champion de la libération nationale ou, au contraire comme son opposant et critique, et ainsi de suite. Toutes ces figures ont été présentées avec des arguments solides et des méthodes académiques ; elles sont toutes des défenses qui font appel à des données très anciennes. Les débats vont bon train et un consensus, même sur des points essentiels tels que les critères à partir desquels procéder, semble une espérance lointaine ».

On fait souvent appel aux nouvelles données et aux découvertes récentes qui auraient finalement mis la recherche historique dans une position plus avantageuse que par le passé. Mais le fait que ces nouvelles sources historiques aient donné lieu à deux images du Christ opposées et inconciliables entre elles, toujours présentes aujourd’hui, montre combien les conséquences à tirer de ces nouvelles sources historiques sont vastes. D’une part un Jésus « juif en tout et pour tout » ; de l’autre un Jésus fils de la Galilée hellénisée de son temps, imprégné de philosophie cynique.

A la lumière de cet état de fait je m’interroge : qu’aurait dû faire le pape : écrire une énième reconstruction historique pour discuter et combattre toutes les objections contraires ? Le pape a choisi de présenter de manière positive la figure et l’enseignement de Jésus tel qu’il est compris par l’Eglise, en partant de la conviction que le Christ des Evangiles est, également du point de vue historique, la figure la plus crédible et la plus sûre.

Après cette parenthèse, venons-en à l’Evangile de ce dimanche. Il s’agit de l’épisode de l’envoi en mission des 72 disciples. Après leur avoir dit comment ils doivent partir (deux par deux, comme des agneaux, sans apporter d’argent…), Jésus leur explique également ce qu’ils doivent dire : « Dites aux habitants : Le règne de Dieu est tout proche de vous ».

Nous savons que la phrase « Voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous » est au cœur de la prédication de Jésus et le présupposé implicite de tous ses enseignements. Le royaume de Dieu est au milieu de vous, et par conséquent aimez vos ennemis ; « voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous », par conséquent si ta main te scandalise, coupe-là : il vaut mieux entrer manchot dans le royaume de Dieu que rester en dehors, avec les deux mains… Le royaume donne son sens à chaque chose.

On a toujours débattu sur ce qu’entendait précisément Jésus par l’expression « royaume de Dieu ». Pour certains il s’agirait d’un royaume purement intérieur consistant en une vie conforme à la loi de Dieu ; pour d’autres en revanche, il s’agirait d’un royaume social et politique que l’homme devrait réaliser, si nécessaire, également à travers le combat et la révolution. Le pape passe en revue ces différentes interprétations du passé et souligne ce qu’elles ont en commun : l’intérêt n’est plus centré sur Dieu mais sur l’homme ; il ne s’agit plus d’un royaume de Dieu mais de l’homme, un royaume dont l’homme est le principal artisan. Il s’agit d’une idée du royaume compatible, à la limite, également avec l’athéisme.

Dans la prédication de Jésus, la venue du royaume de Dieu indique qu’en envoyant son Fils dans le monde, Dieu a décidé d’une certaine manière de prendre en main le destin du monde, de s’engager dans ce destin, d’agir de l’intérieur. Il est plus facile de deviner intuitivement ce que signifie le royaume de Dieu que de l’expliquer, car il est au-delà de toute explication.

L’idée que Jésus attendait une fin du monde imminente et que par conséquent le royaume de Dieu qu’il prêchait ne se réaliserait pas dans ce monde mais dans celui que nous appelons « l’au-delà », est encore très répandue. Les Evangiles contiennent en effet quelques affirmations qui se prêtent à cette interprétation. Mais celle-ci ne tient pas si l’on considère l’ensemble des paroles du Christ. « L’enseignement de Jésus n’est pas une éthique pour ceux qui attendent une fin du monde proche mais pour ceux qui ont fait l’expérience de la fin de ce monde et de l’avènement dans ce monde, du royaume de Dieu : pour ceux qui savent que ‘les choses anciennes sont passées’ et que le monde est devenu une ‘nouvelle création’, car Dieu y est descendu comme un roi » (Ch. Dod
d). En d’autres termes, Jésus n’a pas annoncé la fin du monde, mais la fin d’un monde, et cela n’a pas été démenti par les faits.

Jean-Baptiste également prêchait ce changement, parlant d’un imminent jugement de Dieu. Où se trouve donc la nouveauté du Christ ? La nouveauté est entièrement renfermée dans un adverbe de temps : « à présent », « maintenant ». Avec Jésus, le royaume de Dieu n’est plus seulement une chose « imminente », mais présente. « L’aspect nouveau et exclusif du message de Jésus, écrit le pape, consiste dans le fait qu’il nous dise : Dieu agit maintenant – c’est l’heure à laquelle Dieu, d’une manière qui dépasse toutes les précédentes, se révèle dans l’histoire comme son Seigneur, comme le Dieu vivant ».

C’est de là que vient le sentiment d’urgence qui transparaît dans toutes les paraboles de Jésus, spécialement celles que l’on appelle les « paraboles du royaume ». L’heure décisive de l’histoire a sonné, le moment est venu de prendre la décision qui sauve ; le banquet est prêt : refuser d’entrer parce que l’on vient de se marier ou que l’on vient d’acheter un bœuf ou pour tout autre motif, signifie en être exclu pour toujours et voir sa place prise par d’autres.

Partons de cette dernière réflexion pour une application pratique et actuelle du message écouté. Ce que Jésus disait à ses contemporains vaut également pour nous aujourd’hui. Cet « à présent » et cet « aujourd’hui » resteront inchangés jusqu’à la fin du monde (He 3, 13). Ceci signifie que la personne qui écoute aujourd’hui, peut-être par hasard, la parole du Christ : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc , 15), se trouve face au même choix que ceux qui l’écoutaient il y a deux mille ans dans un village de Galilée : ou croire et entrer dans le royaume, ou refuser de croire et en être exclu.

Malheureusement, croire semble être la dernière des préoccupations de beaucoup de ceux qui lisent aujourd’hui l’Evangile ou écrivent des livres sur l’Evangile. Au lieu de se soumettre au jugement du Christ, beaucoup se font ses juges. Jésus n’a jamais été autant jugé. Il s’agit d’une sorte de « jugement universel » à l’envers. Ce sont surtout les chercheurs qui courent ce risque. Un chercheur doit « dominer » l’objet de la science qu’il cultive et rester neutre face à cet objet ; mais comment peut-on « dominer » ou rester neutre face à l’objet quand celui-ci est Jésus Christ ? Dans ce cas, plus que « dominer », ce qui compte, c’est « se laisser dominer ».

Le Royaume de Dieu était tellement important pour Jésus qu’il nous a enseigné à prier chaque jour pour qu’il vienne. Nous nous tournons vers Dieu en disant : « Que ton règne vienne », mais Dieu se tourne aussi vers nous et nous dit, par l’intermédiaire de Jésus : « Le royaume de Dieu est arrivé au milieu de vous : n’attendez pas, entrez ! »

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ZENIT Staff

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