Olivier Messiaen ou « La musique de l’Invisible », par J.-R. Kars

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Centenaire de la naissance du grand musicien français

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ROME, Dimanche 12 octobre 2008 (ZENIT.org) – Sous le titre « Trinité Messiaen 2008 », le Centenaire de la naissance du grand musicien Olivier Messiaen, né le 10 décembre 1908 en Avignon, rappelé à Dieu le 27 avril 1992 à Paris, est célébré avec une intensité particulière à l’église de la Sainte-Trinité, à Paris, où le musicien a tenu les grandes orgues durant plus de 60 ans.

Et le pape Benoît XVI, pape musicien, a voulu marquer cet anniversaire par un message pour l’Année Messiaen par l’intermédiaire du cardinal secrétaire d’Etat Tarcisio Bertone (Cf. Article ci-dessus).

Jean-Rodolphe Kars, chapelain à Paray-le-Monial, ancien pianiste concertiste, Premier prix du concours de piano Olivier Messiaen 1968, a bien voulu évoquer pour les lecteurs de Zenit celui qui a été aussi pour lui un « Maître », au sens le plus noble du terme, en musique ou en peinture.

Zenit – Père Kars, tout au long de l’année 2008, le centenaire de la naissance du grand compositeur catholique est intensément célébré à « la Trinité », à Paris, et en France ?

P. J.-R. Kars – Et dans le monde entier ! Déjà de son vivant, Messiaen était le compositeur contemporain le plus joué dans le monde. Le rayonnement de son œuvre, dans sa dimension artistique, culturelle et religieuse, a atteint les extrémités de la terre. Hommage lui est donc rendu au cours de festivals, dans les salles de concert, dans les conservatoires et écoles de musique, dans des églises, à la radio et à la télévision…

Zenit – C’est donc indéniablement un événement culturel de portée internationale, mais est-ce aussi un événement d’Eglise » ?

P. J.-R. Kars – En effet cette célébration est aussi appelée à être un événement d’Église. Celle-ci se doit de célébrer un de ses serviteurs les plus inspirés sur le plan de l’expression musicale de la foi catholique.

Jean-Paul II, dans sa lettre adressée aux artistes en avril 1999, exprime la profondeur et la beauté de la vocation artistique en lien étroit avec l’expression de la foi. Entre bien des réflexions d’une rare richesse, le Pape invite l’artiste à être comme le révélateur et l’artisan de cette « Beauté qui sauve le monde ».

On peut dire qu’Olivier Messiaen, par son œuvre, par sa réflexion et par sa foi inébranlable, a répondu d’une manière unique et quasi idéale à cette invitation. La richesse et la profondeur de son inspiration ne sont pas sans rappeler, d’une certaine manière, celles d’un Fra Angelico. L’Église a reconnu l’importance de son œuvre pour notre monde contemporain, à travers l’attribution du prix Paul VI en 1989.

Zenit – Comment l’homme, sa vie et son œuvre justifient-ils cette contribution de l’Église universelle au cours de la célébration du centenaire d’Olivier Messiaen ?

P. J.-R. Kars – La foi rayonnante du grand compositeur imprègne toute son œuvre musicale, universellement acclamée, et en fait un vrai témoin, en ce début du millénaire, de l’Amour infini de Dieu.

« Jean-Sébastien Bach et Olivier Messiaen sont les deux plus puissants ‘consolateurs’ de la musique occidentale » : cette parole forte d’un éminent musicologue belge, ancien disciple du Maître, situe d’emblée la valeur exceptionnelle de l’œuvre de Messiaen dans le patrimoine artistique et culturel de notre temps. Chantre des vérités de la foi catholique : c’est ainsi que se manifeste au cours de quelques soixante-quatre années de créativité intense celui qui devait dire : « Je suis ‘né’ croyant. Je n’aurais peut-être rien composé si je n’avais pas eu cette grâce. » Et encore : « La première idée que j’ai souhaité exprimer, et de loin la plus importante, c’est l’existence des vérités de la foi catholique. »

Zenit – Quel a été son parcours musical et spirituel ?

P. J.-R. Kars – Olivier Messiaen naît le 10 décembre 1908 en Avignon. Il est baptisé quinze jours plus tard, c’est-à-dire le jour même de Noël. Son père, Pierre Messiaen, est un grand littéraire qui a traduit en français l’œuvre de Shakespeare. Sa mère est la grande poétesse Cécile Sauvage, hélas moins connue de nos jours. Un recueil particulièrement émouvant intitulé « L’âme en bourgeon » a été écrit en grande partie alors qu’elle était enceinte du petit Olivier. Cécile Sauvage meurt en 1927, alors qu’Olivier a à peine dix-neuf ans. Un second fils lui est né en 1912, Alain, qui sera poète.

Olivier se met très tôt à la musique et connaît son premier « coup de foudre » musical à Nantes, en lisant et en écoutant l’opéra de Debussy « Pelléas et Mélisande ». Il a neuf ans. Avant le court séjour nantais, Olivier a passé son enfance à Grenoble. Il considérera toujours les montagnes du Dauphiné comme sa « vraie patrie », et jusqu’à la fin de ses jours, il viendra séjourner dans la petite maison qu’il a acquise au bord du lac de Laffrey, chaque fois que ses nombreuses activités parisiennes lui en laisseront le loisir. C’est dans ce cadre majestueux et enchanteur qu’il composera la plus grande partie de ses œuvres.

Zenit – Comment sa « carrière » commence-t-elle vraiment ?

P. J.-R. Kars – Ayant achevé très jeune la plupart de ses études musicales (piano, orgue, composition, etc…), sa carrière commence avec la composition de sa première œuvre « officielle » qui voit le jour en 1928, alors qu’il est dans sa vingtième année : « Le Banquet céleste », pour orgue, pièce en l’honneur de l’Eucharistie. En 1931, il est nommé organiste titulaire du Grand Orgue de l’église de la Sainte Trinité, à Paris, poste qu’il occupera avec une fidélité remarquable jusqu’à sa mort, en 1992. Des personnes viennent du monde entier pour écouter ses improvisations, au cours des offices. Puis les compositions se succèdent, marquées par un génie créateur unique et novateur mis au service de la foi. Des œuvres pour orchestre, orgue, piano, voix, musique de chambre… autant de « sanctuaires » sonores, où l’Amour et la Gloire de Dieu deviennent presque tangibles. Comment rendre compte, dans les limites de cet entretien, de ce trésor artistique, de cette théologie en musique ? Laissons au moins « chanter » les titres les plus évocateurs : « Apparition de l’Eglise éternelle », « L’Ascension », « La Nativité du Seigneur », « Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus », « Messe de la Pentecôte », « Couleurs de la Cité céleste », « Et exspecto Resurrectionem mortuorum », « La Transfiguration de Notre-Seigneur-Jésus-Christ », « Méditation sur le Mystère de la Sainte Trinité », « Saint François d’Assise » (son unique opéra), « Livre du Saint-Sacrement »… et tant d’autres chefs-d’œuvre!

Zenit – Mais si l’amour de Dieu inspire Messiaen, l’amour humain aussi…

P. J.-R. Kars – Effectivement, en 1932, Messiaen épouse en premières noces la violoniste Claire Delbos qui lui donne un fils, Pascal, son unique enfant. Il écrit pour elle un recueil de mélodies, « Poèmes pour Mi », dans lequel il exalte le Sacrement de Mariage. Ce qui est remarquable c’est que Messiaen a non seulement écrit la musique mais aussi les paroles de la plupart de ses œuvres vocales.

Dès les années de guerre, Claire est atteinte d’une très grave maladie, à laquelle elle succombera en 1959. En 1942, Messiaen venait de faire la connaissance d’une de ses jeunes étudiantes au Conservatoire de Paris, Yvonne Loriod, pianiste phénoménale capable d’exécuter, outre le répertoire classique, les œuvres contemporaines les plus ardues avec une maîtrise incroyable. Elle devint l’interprète privilégiée des œuvres pianistique
s du Maître. À partir de 1942, Messiaen lui dédicacera toutes ses œuvres pour piano.

C’est en 1961, deux ans après la mort de Claire Delbos, que Messiaen épousa en secondes noces Yvonne Loriod.

Zenit – Vous êtes chapelain à Paray-le-Monial : faites vous, personnellement, un lien entre la musique de Messiaen et le Cœur de Jésus ?

P. J.-R. Kars – En 1940, Messiaen connaît la captivité dans un camp de prisonniers de guerre, en Silésie. D’autres musiciens partagent son sort. C’est là qu’il compose le « Quatuor pour la fin du Temps » qui sera joué devant les détenus (et les soldats allemands) en janvier 1941. Les 5ème et 8ème pièces de ce Quatuor, intitulées respectivement « Louange à l’Eternité de Jésus » et « Louange à l’Immortalité de Jésus » sont de purs moments d’adoration qui, selon moi, nous font entrevoir, par leur beauté à la fois intérieure et incandescente, le mystère du Cœur blessé de Jésus. Il faut au moins mentionner, comme participant de la même veine spirituelle et esthétique, les célèbres « Trois Petites Liturgies de la Présence Divine », qui seront composées en 1944, œuvre qui a révolutionné le monde musical et culturel de l’époque.

Revenu de captivité, le compositeur commence en 1942 une intense activité pédagogique comme professeur d’analyse musicale – plus tard comme professeur de composition – au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Ses cours acquièrent très vite une renommée internationale. Il enseignera jusqu’en 1978, et plusieurs générations de musiciens ont bénéficié de sa prodigieuse science et de son enthousiasme communicatif.

Zenit – Parlez-nous de ce lien extraordinaire entre Messiaen le musicien et Messiaen l’ornithologue…

P. J.-R. Kars – Les chants d’oiseaux : la grande passion de Messiaen ! Des milliers de notations, d’innombrables heures d’écoute dans les champs, les forêts, la montagne, le désert, les glaciers, au bord de la mer… un univers sonore qui l’habite de plus en plus, surtout à partir des années 50, et qui s’exprimera dans un de ses chefs-d’œuvre pour piano, le « Catalogue d’oiseaux » (1958). Pur émerveillement devant la nature dans une grâce et une jubilation toute franciscaine. Pour ce grand contemplatif amoureux de la Création, les oiseaux sont, selon ses mots, « nos petits serviteurs de l’immatérielle joie ».

Zenit – N’y a-t-il pas aussi chez lui quelque chose des correspondances dont parle Baudelaire entre musique et couleurs ? Ou bien du « sonnet des voyelles » de Rimbaud ?

P. J.-R. Kars – C’est un des éléments fondamentaux de sa créativité : ce phénomène de « synopsie » qui lui donne la capacité unique de voir des couleurs très précises lorsqu’il entend des complexes de sons (et vice-versa). Ce phénomène de synopsie peut être pathologique, mais chez Messiaen ce n’est pas le cas, car cette capacité est parfaitement contrôlée et plutôt d’ordre intellectuel.

Ainsi les vitraux, les arcs-en-ciel, les couchers de soleil, etc… lui « dictent » des accords somptueux qu’il appelle des « Sons-Couleurs ». Et que dire alors des multiples couleurs du livre de l’Apocalypse (surtout du chapitre 21) qui ont inspiré plusieurs de ses chefs-d’œuvre ?

Zenit – Vous citiez les titres de son Quatuor composé en captivité : ils évoquent « la fin du Temps », « l’Eternité de Jésus » et «  l’Immortalité de Jésus » :  la musique est-elle pour Messiaen une porte sur l’Eternité ?

P. J.-R. Kars – Olivier Messiaen s’éteint le 27 avril 1992 à Paris. En 1991, il avait composé son œuvre ultime, un grand cycle pour orchestre intitulé « Eclairs sur l’Au-delà… ». Il s’agit d’un véritable testament musical et spirituel, alors que rien ne laissait prévoir qu’il nous quitterait quelques mois plus tard. La dernière pièce de ce cycle, « Le Christ, lumière du Paradis », sera le point final de son œuvre, avant le face-à-face éternel.

Dans son opéra « Saint François d’Assise » de 1983, dont il a composé les paroles et la musique, il dévoile secret de sa vie et de son œuvre comme nulle part ailleurs dans les paroles qu’il met sur les lèvres de saint François, au huitième tableau, au moment où celui-ci quitte cette vie : « Seigneur, Seigneur, Musique et Poésie m’ont conduit vers Toi… Seigneur, Seigneur, illumine-moi de ta Présence ! Délivre-moi, enivre-moi, éblouis-moi pour toujours de ton excès de vérité ».

Zenit – Comment son œuvre a-t-elle été accueillie par l’Eglise ? Peut-on parler de « reconnaissance » ?

P. J.-R. Kars – Certainement. En 1989, Olivier Messiaen a reçu le prix Paul VI. Ce prix avait été attribué une première fois à l’illustre théologien suisse Hans Urs von Balthasar. Il semble que les deux hommes ne se soient jamais rencontrés, mais on sait par leurs témoignages propres qu’ils avaient une très grande admiration l’un pour l’autre. En 1989, pour l’occasion, c’est l’archevêque de Paris, le cardinal Jean-Marie Lustiger, qui a remis le prix à Messiaen au cours d’une solennelle cérémonie en la cathédrale Notre-Dame de Paris. « Maître, en vous décernant son grand prix, l’Institut Paul VI rend hommage à votre œuvre. Elle a ce mérite de toucher une âme religieuse d’aujourd’hui avec peut-être plus de force encore que les œuvres du passé : précisément parce qu’elle est à la fois religieuse et d’aujourd’hui. Plus que religieuse, chrétienne… » Tel est le début de l’allocution mémorable que le cardinal adressait à Messiaen. Il devait conclure ainsi : « Que le Seigneur de gloire vous bénisse, Maître, lui qui vous a fait la grâce de le servir et de servir son Peuple par votre art » (28 mars 1989).

 

Propos recueillis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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