"Non, sans Dieu les choses ne peuvent pas bien aller!" (Card. Ratzinger)

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« Eucharistie, communion et solidarité » au congrès eucharistique de Bénévent

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CITE DU VATICAN, Mercredi 24 juillet 2002 (ZENIT.org) – Voici, dans la traduction de L’Osservatore Romano en français du 23 juillet (vatican.va), la troisième partie de la Conférence du Cardinal Ratzinger lors du Congrès eucharistique de Bénévent (Italie), sur le thème: « Eucharistie, communion et solidarité ».

« Connaissance et action sont étroitement unies, comme la foi et la vie sont liées », affirme le cardinal qui ajoute: « Non, sans Dieu les choses ne peuvent pas bien aller! »

3. La solidarité

Nous arrivons finalement à la troisième parole-clé « solidarité ». Alors que les premières paroles-clés, eucharistie et communion, ont été tirées de la Bible et de la tradition chrétienne, celle-ci nous est parvenue de l’extérieur. Le concept de « solidarité » – comme l’Archevêque Mgr Paul Cordes l’a démontré – fut développé, au début, dans le cadre du premier socialisme par P. Lerou (décédé en 1871), en opposition à l’idée chrétienne d’amour, comme une nouvelle réponse rationnelle et efficace au problème social. Karl Marx avait expliqué que le christianisme avait disposé d’un millénaire et demi pour faire ses preuves et que son inefficacité était à présent suffisamment démontrée; de nouvelles voies devaient donc être parcourues. Pendant des décennies, beaucoup crurent que le modèle socialiste résumé dans le concept de solidarité était finalement la voie pour parvenir à l’égalité entre tous, pour éliminer la pauvreté et parvenir à la paix dans le monde.

Aujourd’hui, nous pouvons observer le paysage de ruines laissé par une théorie et une pratique sociales qui ne tiennent pas compte de Dieu. Il est indéniable que le modèle libéral de l’économie de marché, en particulier là où, sous l’influence des idées sociales chrétiennes, il a été modéré et corrigé, est parvenu dans certaines parties du monde à de grands succès. Le bilan laissé par l’opposition des blocs de pouvoir et des intérêts économiques, surtout en Afrique, est d’autant plus triste. Derrière la solidarité apparente des modèles de développement s’est cachée, et se cache souvent, la volonté d’élargir l’étendue de son pouvoir, de son idéologie, de sa souveraineté sur les marchés. C’est dans ce contexte qu’ont été perpétrées les destructions des anciennes structures sociales, des forces spirituelles et morales, dont les conséquences doivent retentir à nos oreilles comme un seul cri. Non, sans Dieu les choses ne peuvent pas bien aller!

Et comme ce n’est que dans le Christ que Dieu nous a montré son visage, a prononcé son nom et est entré en communion avec nous, la conséquence est que sans le Christ, il n’y a pas d’espérance. Il est également indéniable qu’au cours des siècles passés, les chrétiens se sont rendus coupables de graves fautes. L’esclavage, la traite des esclaves, restent un chapitre sombre; ils révèlent à quel point les chrétiens étaient peu chrétiens et combien ils étaient loin de la foi et de l’amour de l’Evangile, de la vraie communion avec Jésus-Christ. D’autre part, ce furent l’amour plein de foi et l’humble disponibilité au sacrifice de tant de prêtres et de soeurs, qui servirent de contrepoids et qui laissèrent un héritage d’amour; celui-ci, même s’il ne peut pas effacer l’horreur de l’exploitation, la nuance cependant. Sur ce témoignage, nous pouvons construire, sur cette voie, nous pouvons avancer.

C’est dans ce sens que le concept de solidarité, en particulier grâce aux études d’éthique du Saint-Père, a été lentement transformé et christianisé au cours des dernières décennies, si bien qu’à présent, nous pouvons à juste titre le rapprocher des deux paroles-clés eucharistie et communion. La solidarité signifie, en ce sens, le fait de se sentir responsables les uns des autres, les sains des malades, les riches des pauvres, les continents du Nord de ceux du Sud, en ayant conscience de notre responsabilité réciproque et donc conscience que lorsque nous donnons, nous recevons, et que la seule chose que nous pouvons toujours donner est celle qui nous a été donnée; elle ne nous appartient donc pas et n’est pas destinée à nous seuls.

Aujourd’hui, nous constatons qu’il ne suffit pas de transmettre des capacités techniques, des connaissances et des théories scientifiques ou bien des pratiques de structures politiques déterminées. Tous cela n’est pas utile et est même nocif, si l’on ne révèle pas également les forces spirituelles, qui donnent un sens à ces techniques et à ces structures, et qui rendent possible leur utilisation responsable. Avec notre rationalité, il a été facile de détruire les religions traditionnelles, qui survivent d’ailleurs à l’heure actuelle comme des sous-cultures – privées du meilleur de leur substance – et qui en tant que techniques de superstition peuvent porter préjudice aux personnes, que ce soit dans leur corps ou leur âme. Il aurait été nécessaire de faire éclore la partie saine de leur noyau en direction du Christ et de conduire ainsi à leur accomplissement les attentes tacites qui y sont contenues. Dans un tel processus de purification et de développement, la continuité et le progrès se seraient unis de façon féconde. Là où la mission a été un succès, c’est parce qu’elle a, dans la pratique, suivi cette voie et a ainsi aidé à développer des forces de foi, dont nous avons un besoin si pressant.

Lors de la crise des années soixante et soixante-dix, de nombreux missionnaires parvinrent à la conviction que la mission, c’est-à-dire l’annonce de l’Evangile de Jésus-Christ, ne serait plus nécessaire aujourd’hui; la seule chose qui aurait encore un sens serait d’offrir un service de développement social. Mais comment pourrait-on accomplir un développement social positif, si l’on devenait analphabète de Dieu? L’idée, qui sous-tend de façon tacite cette façon de penser, que les peuples ou les tribus doivent conserver leur propre religion et qu’on ne devrait plus les importuner avec la nôtre, ne montre pas seulement que la foi s’était refroidie dans le coeur de ces hommes, malgré leur profonde bonne volonté, et que la communion avec le Seigneur n’était plus primordiale.

Comment aurait-on autrement pu penser qu’il était bon d’en exclure les autres? ll s’agit au fond ici – souvent sans le savoir – d’un mépris du fait religieux en général et pas du tout d’estime pour les autres religions, comme il pourrait sembler: la religion est considérée chez la personne comme un résidu archaïque, qu’on doit lui laisser, mais qui en dernière analyse n’a rien à voir avec la véritable grandeur du développement. Ce que les religions disent et font apparaît, au bout du compte, indifférent; celles-ci sont considérées comme exclues du domaine de la rationalité et leur contenu ne compte absolument pas. L’orthopraxie, que l’on attend ensuite, est vraiment construite sur du sable. Il est désormais temps d’abandonner cette forme erronée de penser. Nous avons besoin de la foi en Jésus-Christ, ne serait-ce précisément que du fait qu’elle réunit la raison et la religion.

Elle nous offre ainsi des critères de responsabilité et donne la force de vivre selon cette responsabilité. Le partage sur tous les plans est une dimension de la solidarité entre les peuples et les continents: un partage matériel, spirituel, éthique et religieux. Il est évident que nous devons développer ultérieurement notre économie de façon telle qu’elle n’ait plus seulement pour critère les intérêts d’un pays déterminé ou d’un groupe de pays, mais le bien-être de tous les continents. Cela est difficile et ne peut jamais être pleinement réalisé; cela exige de nous des privations et des renoncements. Mais si un esprit de solidarité vraiment nourri par la foi voyait le jour, cela pourrait alors devenir possible, même d’une façon toujours imparfaite. On touche ici au thème de la mondia
lisation, mais je ne peux pas le traiter à présent. Il est évident qu’aujourd’hui, nous dépendons tous les uns des autres.

Mais la mondialisation n’est pensée que de façon unilatérale en vue de ses propres intérêts, et il devrait en revanche exister une mondialisation dans laquelle tous soient véritablement responsables les uns des autres et où chacun porte le poids de l’autre. Tout cela ne peut cependant pas être réalisé de façon neutre, en se référant uniquement aux techniques de marché. Dans les décisions qui concernent le marché, les présupposés liés au valeurs sont toujours déterminants. Notre horizon religieux et moral est également toujours décisif dans celles-ci. Si la mondialisation de la technique et de l’économie n’est pas accompagnée par une nouvelle ouverture de la conscience à Dieu, devant lequel nous avons tous une responsabilité, alors nous courons à la catastrophe. Telle est la grande responsabilité qui pèse aujourd’hui sur nous chrétiens.

Le christianisme à partir de l’unique Seigneur, de l’unique pain, qui veut faire de nous un unique corps, a toujours aspiré à l’unification de l’humanité. Si au moment où l’unification extérieure de l’humanité, qui jusque là était impensable, devient une réalité, et que nous renonçons à notre rôle de chrétiens et croyons ne plus pouvoir ou ne plus devoir donner quoi que ce soit, nous commettons une grave erreur. En effet, une unité construite sans Dieu, voire même contre lui, finit comme l’expérience de Babylone: dans la confusion et dans la destruction totale, dans la haine et dans la prévarication de tous contre tous.

Conclusion: l’Eucharistie comme sacrement des transformations
Revenons à la Très Sainte Eucharistie. Qu’est-il vraiment arrivé au cours de la nuit où le Christ fut trahi?

Ecoutons à ce propos le canon romain – le coeur de l' »Eucharistie » de l’Eglise à Rome: « La veille de sa passion, Jésus prit le pain entre ses mains saintes et vénérables, il leva les yeux au ciel, vers toi, Dieu tout-puissant, il te rendit grâce par la prière de la bénédiction, il rompit le pain, le donna à ses disciples et leur dit: Prenez et mangez-en tous. Ceci est mon corps offert en sacrifice pour vous. Après la cène, il prit de la même façon ce précieux calice entre ses mains saintes et vénérables, il te rendit grâce par la prière de la bénédiction, il le donna à ses disciples et dit: prenez et buvez-en tous. Ceci est le calice de mon sang pour la nouvelle et éternelle alliance, versé pour vous et pour tous en rémission des péchés. Faite cela en mémoire de moi ». Que se passe-t-il dans ces paroles? Tout d’abord, la parole transsubstantiation nous vient à l’esprit. Le pain devient le corps, son corps. Le pain de la terre devient le pain de Dieu, la « manne » du ciel, avec laquelle Dieu nourrit les hommes non seulement au cours de leur vie terrestre, mais également dans la perspective de la résurrection – préparant la résurrection et la faisant même commencer.

Le Seigneur, qui aurait pu transformer les pierres en pain, qui pouvait faire naître des pierres des fils d’Abraham, voulut transformer le pain en un corps, son corps. Mais cela est-il possible? Et comment cela peut-il se produire? Nous ne pouvons pas éviter de poser les mêmes questions qui ont été posées dans la synagogue de Capharnaüm. Il est là, devant ses disciples, avec son corps; comment peut-il dire à propos du pain: ceci est mon corps?

Il est à présent important de faire bien attention à ce que le Seigneur a vraiment dit. Il ne dit pas simplement: ceci est mon corps; mais: ceci est mon corps donné pour vous. Il peut devenir don, parce qu’il est donné. A travers l’acte de la donation, il devient capable de communication, comme transformé en un don. Nous pouvons observer la même chose dans les paroles à propos du calice. Le Christ ne dit pas simplement: ceci est mon sang; mais: ceci est mon sang, qui est versé pour vous. Puisqu’il est versé, en tant que versé il peut être donné. Mais une nouvelle question apparaît à présent: que signifie « est donné », « est versé »?

Que se passe-t-il à ce moment là? A dire la vérité, Jésus est tué, il est accroché à la croix et meurt dans les tourments. Son sang est versé, tout d’abord dans le jardin des oliviers pour le travail intérieur à propos de sa mission, puis lors de la flagellation, du couronnement d’épines, de la crucifixion et, après sa mort, lors-qu’on lui transperce le coeur. Ce qui a lieu est tout d’abord un acte de violence, de haine, qui torture et détruit.

A ce stade, nous nous heurtons à un deuxième niveau plus profond de transformation: il transforme de l’intérieur l’acte de violence des hommes contre lui en un acte de donation en faveur de ces hommes, en un acte d’amour. On voit cela de façon dramatique dans la scène du jardin des oliviers. Il accomplit à présent ce qu’il avait annoncé lors du discours sur la montagne: il n’oppose pas la violence à la violence, comme il aurait pu le faire, mais il met fin à la violence, en la transformant en amour. L’acte de tuer, de donner la mort est transformé en amour, la violence est vaincue par l’amour. Telle est la transformation fondamentale, sur laquelle se fonde tout le reste. C’est la véritable transformation dont le monde a besoin et qui seule peut racheter le monde. De même que le Christ, par un acte d’amour, a transformé et vaincu la violence de l’intérieur, la mort même est transformée: l’amour est plus fort que la mort. Il demeure éternel.

Dans cette transformation est contenue la transformation plus vaste de la mort en résurrection, du corps mort en corps ressuscité. Si le premier homme était une âme vivante, comme le dit saint Paul, le nouvel Adam, le Christ, deviendra à travers cet événement un esprit dispensateur de vie (1 Co 15, 45). Le ressuscité est donation, est un esprit qui donne la vie et qui, comme tel, est communicable, ou plutôt, communication. Cela signifie que l’on n’assiste à aucun congé de la matière; de cette façon, elle atteint au contraire son objectif: sans l’événement matériel de la mort et son dépassement intérieur, tout cet ensemble de chose ne serait pas possible. Ainsi, dans la transformation de la résurrection, tout le Christ continue à subsister, mais il est à présent transformé de telle façon que le fait d’être corps et de se donner ne s’excluent plus, mais sont impliqués l’un dans l’autre.

Avant d’accomplir un autre pas, cherchons à avoir encore une fois une vision synthétique et à comprendre l’ensemble de cette réalité. Au moment de la dernière Cène, Jésus anticipe déjà l’événement du Calvaire. Il accueille la mort sur la croix et, par son acceptation, il transforme l’acte de violence en un acte de donation, d’auto-effusion (« Mon sang même doit se répandre en libation sur le sacrifice et l’oblation de votre foi », dit Paul à ce moment, à propos de son martyre éminent: cf. Ph 2, 17). Lors de la dernière cène, la croix est déjà présente, acceptée et transformée par Jésus. Cette première transformation fondamentale conditionne la suite – le corps mortel est transformé en corps de la résurrection: dans l' »esprit qui donne la vie ». La troisième transformation est possible à partir de là: les dons du pain et du vin, qui sont à la fois des dons de la création et le fruit du travail humain, des « transformations » de la création, sont transformés, si bien qu’en eux, le Seigneur lui-même qui se donne devient présent – car il est don. L’acte de donation n’est pas une partie de lui, mais lui-même.

Le regard s’ouvre alors sur deux transformations supplémentaires, qui sont essentielles dans l’Eucharistie dès l’instant de son institution: le pain transformé, le vin transformé, dans lequel le Seigneur se donne comme esprit qui donne la vie, qui est présent pour transformer les hommes, afin que nous devenions un seul pain avec lui, puis un seul corps avec lui. La transformation
des dons, qui n’est que la suite des transformations fondamentales de la croix et de la résurrection, n’est pas le point final, mais elle est, elle aussi, seulement un début. L’objectif de l’Eucharistie est la transformation de ceux qui la reçoivent dans l’authentique communion avec sa transformation.

L’objectif est donc l’unité, la paix que nous, qui sommes des individus séparés, qui vivons les uns aux côtés des autres, ou les uns contre les autres, nous devenions avec le Christ et en lui, un organisme de donation, pour vivre en vue de la résurrection et du nouveau monde. C’est ainsi qu’apparaît la cinquième et dernière transformation, qui caractérise ce sacrement: à travers nous, les transformés, devenus un seul corps, un seul esprit qui donne la vie, toute la création doit être transformée. Toute la création doit devenir « une nouvelle cité », un nouveau paradis, la demeure vivante de Dieu: Dieu qui est tout en tous (1 Co 15, 28) – c’est ainsi que saint Paul décrit l’objectif de la création, qui doit se définir à partir de l’Eucharistie.

L’Eucharistie est donc un processus de transformation, auquel nous sommes appelés à participer, en tant que force de Dieu pour la transformation de la haine et de la violence, force de Dieu pour la transformation du monde. Nous voulons donc prier afin que le Seigneur nous aide à la célébrer et à la vivre de cette façon. Nous voulons prier afin qu’il nous transforme, nous et le monde, en la nouvelle Jérusalem.

Joseph Card. RATZINGER

©L’Osservatore Romano

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ZENIT Staff

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