Ne manquons pas d’audace ! La paix n’a pas de prix

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Entretien avec Sébastien de Fooz, un « pèlerin de paix » au long cours

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ROME, Mardi 1er janvier 2008 (ZENIT.org) – « La paix n’a pas de prix. Si nous n’essayons pas de l’atteindre, même par des projets absolus, autant refuser de croire qu’elle existe », estime Sébastien de Fooz, journaliste belge.

Après avoir parcouru plusieurs milliers de kilomètres à pied, en pèlerin – il s’est rendu à Saint-Jacques de Compostelle, à Rome et à Jérusalem – , Sébastien de Fooz a aujourd’hui en projet de créer une route de la paix, une route d’ouverture et de dialogue qui traverse l’Europe, la Turquie et le Proche-Orient pour rejoindre la Ville trois fois sainte de Jérusalem. Il explique que ce projet « symbolise le défi que s’est fixé l’Europe des 27 ; consolider les dénominateurs communs, établir des ponts, gageures culturelles au-delà des cicatrices de l’histoire ».

Malgré la complexité du monde et des relations entre les peuples, il croit fermement à la paix car, dit-il « Celui qui nous unit est plus grand que ce qui nous oppose ».

« A chaque fois que j’arrivais dans un pays, je prenais un peu de terre dans mes mains et je demandais à Dieu qu’Il bénisse et pardonne les fautes du passé, du présent et du futur de ce pays » confie-t-il aujourd’hui à ZENIT, près de 10 ans après son premier pèlerinage et 4 ans après avoir entendu ce qu’il définit comme son « véritable » appel.

Tout a commencé en 1998…

ZENIT – Sébastien de Fooz , en 2005 vous êtes parti à pied pour Jérusalem, avec 50 euros en poche. En 1998 vous étiez allé à Saint-Jacques de Compostelle, puis en 2000 à Rome. Vous dites avoir ressenti un véritable appel. Quel genre d’appel ?

S. de Fooz – Lorsqu’en 1998 j’ai terminé mes études de Communications sociales à Bruxelles, je voulais employer un moyen de locomotion extrêmement simple pour parcourir de la distance, je voulais être mon propre vecteur. C’est pourquoi j’ai décidé de partir à pied de ma ville natale de Gand en Belgique pour rejoindre Compostelle. Je voulais voir l’influence que la marche pouvait avoir sur les rapports communicationnels avec les personnes que je rencontrerais en route.

Mais cette volonté cachait une aspiration bien plus profonde : celle de rencontrer Dieu. Lors de cette première marche, j’ai été touché de plein fouet par la foi. J’ai compris que Dieu était « présent », et pour la première fois je me suis rendu compte que je vivais pleinement cet instant présent, que la grâce ne nous touche ni dans le passé, ni dans le futur, mais maintenant, unis à Dieu qui habite au plus profond de nos consciences. Libre à nous de tendre vers Lui ou non.

En 2000, pour rendre grâce de la reconversion reçue lors de ce premier pèlerinage, je suis parti à pied à Rome. Ce n’est que lors de ce voyage que je me suis rendu compte du sens symbolique et de la portée sur laquelle j’étais en train de marcher. Ma marche vers Compostelle était une marche vers le « Couchant », vers l’Ouest, vers le coucher du soleil. La marche vers Rome était une marche vers le « Zénith », là ou le soleil est à son point culminant. Après une marche de conversion vers Compostelle, je vivais à présent une marche vers Rome pour rendre grâce de tant de bienfaits reçus lors de la première marche.

Ce n’est qu’en 2004, lors d’un reportage dans l’ermitage de l’Assekrem, dans le Sud algérien où Charles de Foucauld à vécu ses dernières années, que j’ai ressenti cet appel : « Lève-toi et marche ». C’est là que j’ai compris que je m’étais engagé sur un éventail à trois branches : Compostelle, Rome, Jérusalem ou encore, le Couchant, le Zénith et le Levant. Un an plus tard, j’ai tout quitté, fidèle à cet appel reçu dans le désert, je suis parti sur la route de Jérusalem.

Ce voyage m’a mené, indépendamment de ma volonté, vers des points sombres de notre histoire. Je suis passé par le camp d’extermination de Dachau où j’ai ramassé un petit caillou que j’ai déposé quelque 160 jours plus tard dans le Mur des Lamentations. Je me suis rendu compte que ce dernier pèlerinage était une marche au travers de l’Ombre, pour rejoindre la Lumière, que c’était un voyage vers l’Orient là où le soleil se lève, que c’était la traversée de la « Nuit obscure » pour se rendre vers le lieu de la Lumière.

ZENIT – Que fait-on quand on marche seul pendant des kilomètres, entre une rencontre et l’autre ? Et dans une région du monde comme le Proche-Orient où règne un climat d’insécurité non indifférent ? Est-ce que l’on a peur ?

S. de Fooz – Lorsque je suis arrivé en Autriche, j’ai été accueilli à Irdning, dans un monastère de Capucins. Je suis arrivé au moment où il y avait un enseignement qui était donné sur la prière du Cœur qui consiste à énoncer le nom du Christ sur le rythme de la respiration. Lorsque je me suis mis en route, j’ai appliqué cette prière à la marche et à chaque pas que j’effectuais j’énonçais le nom du Christ. Son Nom a chassé les ténèbres et les angoisses.

Je suis parti en me sentant divisé. J’avais l’impression de vaciller entre le doute et la certitude. Entre l’être et le non-être. Entre ce que je suis intrinsèquement et cette image d’idéal qui se nourrit d’images sociétales. Entre les deux, le vide. C’est sans doute ce vide que l’on ressent dans nos grandes villes. Au fur et à mesure que j’avançais, le vide se dissipait et la peur qui s’était installée dans le vide s’évacuait. Je quittais les zones périphériques de projection pour rentrer en eau profonde.

Je me sentais également évoluer sur deux axes. Le premier était l’axe horizontal. Je traversais des régions, des pays et des continents, et parce que j’avançais dans la configuration horizontale du paysage, j’osais enfin traverser mes zones de résistances et d’ombres. Je me sentais à la croisée de l’horizontalité et de la verticalité. C’est là que nous retrouvons la Croix, non pas la recherche du supplice mais le lieu de passage et de convergence, pour pouvoir renaître à nous-mêmes dans le Christ, à chaque pas que nous effectuons.

Concrètement, je sentais que mon identité profonde se ressoudait, que le vide où la peur se nichait se dissipait, et que le danger ne me toucherait pas. Je marchais avec le Psaume 91, que Sophie, une amie, m’avait confié lors de mon départ.

En avançant, je me rendais compte qu’intérieurement un espace de liberté se créait où je pouvais rencontrer l’autre dans sa différence sans devoir le juger pour me sentir du bon côté de la barrière virtuelle, celle que nous créons sans relâche pour nous rassurer. Mes murs de résistances s’effritaient au fur et à mesure des rencontres. Et elles ne furent pas des moindres. Je me rendais compte que la démarche d’un pèlerin est à l’antipode de l’esprit des croisades en tous genres. La où une croisade emploie la force pour atteindre ses objectifs, le pèlerin n’a que sa plus grande vulnérabilité pour y arriver. En ce sens, cette marche est une anti-croisade.

Je n’ai souffert de la solitude ni en Europe ni dans le Proche-Orient. Au Proche-Orient, comme dans chaque contrée, on me demandait ce que je faisais. Dans le monde arabe, marcher est synonyme de pauvreté. En me voyant, les gens étaient troublés parce que je ne correspondais pas à l’image qu’ils avaient de l’homme Occidental, riche. Parce que je marchais, on venait à moi et on me questionnait.

Lorsque je répondais que je marchais vers Jérusalem, on me considérait comme un « Hadj » et de très nombreux musulmans m’ont demandé de prier pour eux à Al Quds, à Jérusalem, étant donné qu’à cause du contexte politique, ils n’ont pas la possibilité d’aller y prier. Combien de musulmans ne m’ont pas dit qu’eux aussi veulent la paix entre les Nations !

Je suis arrivé à Jérusalem, au pied
du mur des Lamentations, le jour du Rosha Shana, avec ma petite pierre ramassée dans le camp de concentration de Dachau. Devant le mur, j’ai rencontré une femme originaire d’Allemagne qui allait rentrer ce même jour dans un monastère en Israël parce qu’elle voulait prier pour le peuple juif après ce qu’il avait subi durant l’époque nazie. Elle a sorti une fiole d’huile sacrée et ensemble nous avons fait une prière pour les fautes du passé, du présent et du futur des trois grandes religions monothéistes. Nous avons trempé la pierre de Dachau dans l’huile et je me suis rendu vers le Mur. En m’agenouillant j’ai prié le Notre-Père et ma main a disparu dans une anfractuosité du Mur.

Alors que je venais de déposer la petite pierre, j’ai senti une main se poser sur mon épaule. Je me suis retourné. C’était un juif qui me regardait avec la même intensité que le muezzin turc qui m’avait accueilli dans le Haut-Plateau d’Anatolie. Il avait perdu un fils qui aurait eu mon âge. Le juif orthodoxe a doucement acquiescé de la tête comme s’il savait ce qui se passait et d’où je venais. Sans rien dire, il m’a tendu la main. Lorsque j’ai posé la mienne, imbibée d’huile ointe, dans la sienne, j’ai su que j’avais répondu à l’Appel de Dieu.

ZENIT – Votre désir est donc maintenant de créer une route de la paix vers Jérusalem… Parlez-nous de ce projet.

S. de Fooz – Ce qui m’a frappé lors de ce voyage, ce sont les murs visibles et invisibles rencontrés en cours de route. En franchissant la frontière linguistique entre la Flandre et la Wallonie lorsque j’avais le malheur de demander ma route en néerlandais, on me répondait sèchement qu’ici on s’exprimait en français. Plus loin, en Bavière, j’ai traversé le camp de Dachau, entouré de barbelés et de murs ; à partir de l’Autriche, à chaque fois que je franchissais une frontière, on me mettait en garde contre le pays suivant.

Arrivé en Croatie, on me traitait de fou lorsque j’expliquais que j’allais traverser la Serbie. Arrivé en Serbie, j’ai rencontré un jeune Serbe qui m’a expliqué sa participation au massacre de Srebrenica. En Turquie on me mettait en garde contre les Kurdes et la Syrie, les juifs et les chrétiens me faisaient part de leurs inquiétudes pour l’avenir ; en Syrie, on me demandait si j’étais juif et on me disait que j’avais bien de la chance de ne pas l’être parce que sinon on allait m’extirper le cœur et le piétiner. En Israël, j’ai buté contre le mur de séparation entre deux mondes et, arrivé à Jérusalem, toute la ville était bouclée parce qu’on était à la veille du Rosha Shana et du premier jour du Ramadan, la ville était presque déserte. Finalement, dans l’église du Saint Sépulcre, j’ai entendu des Coptes se plaindre des Orthodoxes…

Ce que je peux dire en définitive c’est que ce voyage de 184 jours est avant tout un voyage de 184 visages qui m’a démontré la complexité de notre monde, de ce qui nous oppose mais avant tout de ce qui nous unit. Et Celui qui nous unit est plus grand que ce qui nous oppose.

Sans cesse me vient à l’esprit l’idée que cette route vers Jérusalem est une route qui traverse l’ombre, la nuit et la mort et qui va vers le lever du soleil, vers la Ville trois fois Sainte. N’en est-il pas ainsi pour chacune de nos vies ? La mort ne serait pas la mort si elle ne comportait pas la composante de l’inertie. Le Seigneur nous invite à nous mettre en marche, à nous lever et oser le challenge de la Vie dans ces paroles énoncées à la fille de Jaïre qui vient de mourir : Talitakumi « Lève-toi et marche ! ».

Fidèle à ma vocation, et si tel est Son plan, j’ai le projet de créer une route d’ouverture et de dialogue qui traverse l’Europe, la Turquie et le Proche-Orient pour rejoindre la Ville trois fois Sainte de Jérusalem.

Ce projet a pour but de proposer à des jeunes européens de se mettre en marche, de traverser leur propre pays. L’idée est de créer un mouvement citoyen à l’échelle européenne en direction de l’Orient, puis de créer une voie : la Route de la Paix. Le tracé part de la Capitale européenne (Bruxelles) à Jérusalem.

La marche traversera l’Europe en direction de l’Est, jusqu’aux portes de l’Orient, délimitant les nouvelles frontières de l’Europe élargie qui se cherche un nouveau visage. La ligne presque droite de Bruxelles à l’Orient, est marquée par les fractures de l’histoire, elle unit les cultures les plus diverses qui cependant se cherchent aujourd’hui une identité commune sous la bannière étoilée.

Projet qui symbolise le défi que s’est fixé l’Europe des 27 ; consolider les dénominateurs communs, établir des ponts, gageures culturelles au-delà des cicatrices de l’histoire.

Ensemble des jeunes de toute appartenance traverseront leur propre pays, puis passeront le flambeau au prochain en direction de l’Europe de l’Est en passant par l’Europe centrale. Puis ils passeront le flambeau à la Turquie. Le mouvement passera ensuite par la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine puis Israël, pour arriver enfin au carrefour des trois grandes religions : Jérusalem. Ce qui est essentiel, pour éviter de tomber dans les erreurs du passé, c’est que cette route soit ouverte à tous, indépendamment de l’appartenance religieuse.

ZENIT – Comment ce projet est-il accueilli ? Ne vous prend-t-on pas un peu pour un utopiste ?

S. de Fooz – Je suis conscient que ce projet est fou, voire insensé. Mais la foi dans notre monde qui cautionne la peur n’est-elle pas considérée comme insensée ? Dans combien de contrées du monde la paix n’est-elle pas devenue chimérique ?

Ce projet est comme mon pèlerinage, il ne se réalise que par la grâce des rencontres providentielles, c’est un saut dans l’inconnu et de cet inconnu, il faut en faire son plus fidèle allié. Ne manquons-nous pas d’audace ? La paix n’a pas de prix. Si nous n’essayons pas de l’atteindre, même par des projets absolus, autant refuser de croire qu’elle existe.

ZENIT – Vous avez également en projet de mettre sur pied des séjours de méditation dans un monastère en Syrie…

S. de Fooz – Lorsque j’étais en marche vers Jérusalem, j’ai été accueilli dans un monastère byzantin à 90 km au nord de Damas. J’étais épuisé après plusieurs milliers de kilomètres de voyage. Arrivé dans le bourg de Qara, un musulman m’avait conseillé de m’arrêter dans le monastère du village. J’ignorais l’existence d’un monastère dans la région hormis celui de Mar Moussa. Je suis arrivé devant un magnifique monastère de Saint-Jacques-le-Mutilé, bâti en terre crue. Pendant dix jours j’ai résidé dans la communauté de l’Unité d’Antioche fondée par une Carmélite libanaise, Mère Agnès-Maryam de la Croix. Cette religieuse bénéficie d’une aura considérable dans la région. Lors de mon séjour de repos, avec elle, nous avons esquissé le projet de créer davantage de ponts entre les chrétiens d’Occident et d’Orient.

Nous avons pensé à des séjours de méditation et de prière combinés à une expérience de marche nocturne dans le désert, que des Occidentaux en quête de sens pourraient faire dans ces lieux éblouissants de beauté. Maintenant, le projet est en train de voir le jour. Un premier groupe part au mois de mai, un autre se prépare pour le mois d’octobre.

Je crois que c’est un devoir moral aussi de soutenir nos frères chrétiens d’Orient et partout où ils sont persécutés.

ZENIT – Que voulez-vous provoquer autour de vous à travers toutes ces démarches ?

S. de Fooz – C’est une invitation à se mettre en marche. Ce n’est que lorsque nous osons mettre ce pas singulier devant l’autre que nous pouvons toucher et être touchés. Ces démarches ne sont rien d’autre qu’un
e invitation à la confiance et à faire le plus long pèlerinage que l’on puisse effectuer dans la vie, celui qui mène de la tête au Cœur.

ZENIT – Pensez-vous que notre monde tel qu’il est aujourd’hui, marqué par les fractures de l’histoire, ait besoin d’une nouvelle génération de pèlerins courageux qui sèment le désir de paix ?

S. de Fooz – Ce qui nous manque, c’est d’expérimenter l’Amour de Dieu au-delà de nos frontières mentales et réelles. Dieu les transcende tous. Le pèlerin est celui qui vit cette lente déconstruction, comme le sculpteur enlève le superflu de la matière pour arriver à l’essence même de son art.

Nous nous défaisons de nos scories, de toutes ces choses qui nous empêchent de considérer l’autre dans sa différence, comme étant lui aussi fils de Dieu. Quand tombent les peurs, apparaît le visage du Christ au cœur des hommes.

Sébastien de Fooz raconte son voyage à Jérusalem dans un ouvrage paru il y a quelques mois aux Editions Racines : « A pied à Jérusalem. 184 jours, 184 visages ».

Son site Web : www.talitakum.be

Propos recueillis par Isabelle Cousturié

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ZENIT Staff

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