Messe au stade de Zimpeto, Maputo, Mozambique © Vatican Media

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Mozambique : "Vous avez droit à la paix !" lance le pape en célébrant la messe au stade de Zimpeto

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« Le chrétien ne peut pas vivre sous la loi du talion »

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On ne peut pas être chrétien et vivre sous la loi du talion, a prévenu le pape François depuis le Mozambique, ce 6 septembre 2019 : « L’équité de la violence est toujours une spirale sans fin ; et son coût est très élevé ». Et de plaider pour « un autre chemin », car « nos peuples ont droit à la paix. Vous avez droit à la paix ! »
C’est dans la banlieue de la capitale Maputo, à Zimpeto, que le pape a célébré la seule messe de sa visite de trois jours sur le sol mozambicain. Malgré la pluie persistante, le pape a été accueilli par une liesse exubérante, au milieu de chants et de danses festives, dans le stade national comble – 60 000 personnes.
« Aucune famille, aucun groupe de voisins ni aucune ethnie, encore moins aucun pays n’a d’avenir, si le moteur qui unit, agrège et couvre les différences, ce sont la vengeance et la haine », a-t-il souligné dans son homélie. Il a invité au contraire à « traiter les autres avec cette miséricorde et cette bonté avec lesquelles nous voudrions être traités ».
C’est « une attitude, non pas des faibles, mais des forts », a poursuivi le pape. Cela ne demande pas « un activisme débordant, mais avant tout, une attention prêtée à l’autre… C’est le meilleur thermomètre pour découvrir les idéologies de toutes sortes qui tentent d’instrumentaliser les pauvres et les situations d’injustice en vue d’intérêts politiques ou personnels ».
Aimer et faire du bien, a-t-il expliqué, « c’est beaucoup plus qu’ignorer la personne qui nous a porté préjudice ou faire en sorte que nos vies ne se croisent pas : c’est un commandement qui vise une bienveillance active, désintéressée et extraordinaire envers ceux qui nous ont blessés ». Il s’agit de « nous aimer, nous aider et prêter sans rien espérer de retour ».
Le pape a par ailleurs mis en garde le pays contre « ceux qui s’approchent en prétendant aider (alors qu’ils ont) ont d’autres intérêts » : « c’est triste quand cela se passe entre des frères du même pays, qui se laissent corrompre ; il est très dangereux d’accepter que ce soit le prix à payer pour l’aide extérieure ».
Homélie du pape François
Chers frères et sœurs,
Nous avons écouté dans l’Évangile de Luc un passage du sermon sur la montagne. Après avoir choisi ses disciples et proclamé les béatitudes, Jésus ajoute : « Mais je vous le dis, à vous qui m’écoutez : ‘‘Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent’’ » (Lc 6, 27). Une parole adressée aujourd’hui à nous aussi, qui l’écoutons dans ce stade. Il l’a exprimé clairement, dans la simplicité et avec fermeté en traçant une voie, un chemin étroit qui demande quelques vertus. En effet, Jésus n’est pas un idéaliste, qui ignore la réalité ; il parle de l’ennemi concret, de l’ennemi réel, qu’il avait décrit dans la béatitude antérieure (6, 22) : celui qui nous hait, nous exclut, insulte et rejette comme infâme.
Beaucoup d’entre vous peuvent encore raconter, à la première personne, des histoires de violence, de haine et de discordes ; pour certains, des histoires vécues dans leur propre chair ; pour d’autres, vécues par une personne connue qui n’est plus ; et pour d’autres encore, de peur que les blessures du passé ne se reproduisent et ne tentent d’effacer le chemin de paix déjà parcouru, comme à Cabo Delgado.
Jésus ne nous invite pas à un amour abstrait, éthéré ou théorique, rédigé dans des bureaux pour des discours. Le chemin qu’il nous propose est celui qu’il a d’abord parcouru lui-même, le chemin qui lui a fait aimer ceux qui l’ont trahi, jugé injustement et l’ont tué. Il est difficile de parler de réconciliation, quand sont encore vives les blessures provoquées par de nombreuses années de discorde, ou d’inviter à faire un pas de pardon qui ne signifie pas ignorer la souffrance ni demander qu’on efface la mémoire ou les idéaux (cf. Evangelii gaudium, n. 100).
Même ainsi, Jésus Christ invite à aimer et à faire du bien. Et c’est beaucoup plus qu’ignorer la personne qui nous a porté préjudice ou faire en sorte que nos vies ne se croisent pas : c’est un commandement qui vise une bienveillance active, désintéressée et extraordinaire envers ceux qui nous ont blessés. Mais Jésus ne s’arrête pas là ; il nous demande aussi de bénir et de prier pour eux ; c’est-à-dire que nos paroles les concernant soient une bénédiction, génératrice de vie et non de mort, que nous prononcions leurs noms non pas pour insulter ou pour nous venger, mais pour inaugurer une nouvelle relation menant à la paix. Le Maître nous place la barre haut !
Par une telle invitation, Jésus veut pour toujours mettre un terme à la pratique si courante – hier comme aujourd’hui – d’être chrétien et de vivre sous la loi du talion. On ne peut pas penser à l’avenir, construire une nation, une société fondée sur l’‘‘équité’’ de la violence. Je ne peux pas suivre Jésus, si l’ordre que je promeus et vis, c’est ‘‘œil pour œil, dent pour dent’’. Aucune famille, aucun groupe de voisins ni aucune ethnie, encore moins aucun pays n’a d’avenir, si le moteur qui unit, agrège et couvre les différences, ce sont la vengeance et la haine. Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord et nous unir pour nous venger, pour perpétrer contre celui qui a été violent ce qu’il nous a fait, pour planifier des occasions de représailles sous des formes apparemment légales. « Les armes et la répression violente, au lieu d’apporter des solutions, créent des conflits nouveaux et pires » (Ibid., n. 60). L’‘‘équité’’ de de la violence est toujours une spirale sans fin ; et son coût est très élevé. Il existe un autre chemin possible, car il est crucial de ne pas oublier que nos peuples ont droit à la paix. Vous avez droit à la paix !
Pour rendre son invitation plus concrète et applicable au quotidien, Jésus propose une première règle d’or à la portée de tous – « ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux » (Lc 6, 31) – et il nous aide à découvrir ce qui est le plus important dans la réciprocité de traitement : nous aimer, nous aider et prêter sans rien espérer de retour. ‘‘Nous aimer’’, nous dit Jésus. Et Paul le traduit par les termes : nous revêtir « de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience » (Col 3, 12). Le monde ignorait – et continue de ne pas connaître – la vertu de la miséricorde, de la compassion, en tuant ou en abandonnant des personnes avec handicap et des personnes âgées, en éliminant des blessés et des malades, ou en se divertissant avec les souffrances des animaux. De même, il n’exerçait pas la bonté, ni l’amabilité, qui nous poussent à prendre en compte le bien du prochain comme aussi cher que le sien propre.
Surmonter les temps de division et de violence suppose non seulement un acte de réconciliation ou bien la paix comprise comme absence de conflit, mais aussi l’engagement quotidien de chacun d’entre nous d’avoir un œil attentif et actif qui nous conduit à traiter les autres avec cette miséricorde et cette bonté avec lesquelles nous voudrions être traités, de montrer de la miséricorde et de la bonté surtout envers ceux qui, par leur condition, sont vite rejetés et exclus. Il s’agit d’une attitude, non pas des faibles, mais des forts, une attitude des hommes et des femmes qui découvrent qu’il ne faut pas maltraiter, dénigrer ou écraser pour se sentir important ; tout au contraire… Et cette attitude est la force prophétique que Jésus Christ lui-même nous a enseignée en voulant s’identifier avec eux (cf. Mt 25, 35-45) et nous montrant le service comme le chemin.
Le Mozambique possède un territoire doté de richesses naturelles et culturelles, mais paradoxalement avec une partie énorme de sa population en-dessous du niveau de pauvreté. Et parfois il semble que ceux qui s’approchent en prétendant aider ont d’autres intérêts. Et c’est triste quand cela se passe entre des frères du même pays, qui se laissent corrompre ; il est très dangereux d’accepter que ce soit le prix à payer pour l’aide extérieure.
« Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi (Mt 20, 26; cf. vv. 26-28). Par ses paroles, Jésus nous exhorte à être des protagonistes d’un autre comportement : celui de son Royaume. Ici et maintenant, des semences de joie et d’espérance, de paix et de réconciliation. Ce que l’Esprit vient susciter n’est pas un activisme débordant, mais avant tout, une attention prêtée à l’autre, en le reconnaissant et en le valorisant comme frère au point de sentir sa vie et sa souffrance comme notre vie et notre souffrance. C’est le meilleur thermomètre pour découvrir les idéologies de toutes sortes qui tentent d’instrumentaliser les pauvres et les situations d’injustice en vue d’intérêts politiques ou personnels (cf. Evangelii gaudium, n. 199). Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons être, là où nous nous trouvons, des semences et des instruments de paix et de réconciliation.
Nous voulons que règne la paix dans nos cœurs et dans le dynamisme de notre peuple. Nous voulons un avenir de paix. Nous voulons que « dans vos cœurs, règne la paix du Christ » (Col 3, 15), comme le disait justement la Lettre de saint Paul. Il utilise un verbe qui vient du monde sportif et fait allusion à l’arbitre qui décide des choses discutables : ‘‘que la paix du Christ soit l’arbitre dans vos cœurs’’. Si la paix du Christ est l’arbitre dans nos cœurs, alors quand les sentiments sont en conflit et que nous nous trouvons indécis entre deux sens opposés, “faisons le jeu’’ du Christ. La décision du Christ nous gardera sur le chemin de l’amour, sur la voie de la miséricorde, dans l’option pour les plus pauvres, dans la sauvegarde de la nature, sur le chemin de la paix. Si Jésus est l’arbitre entre les émotions en conflit dans notre cœur, entre les décisions complexes concernant notre pays, donc le Mozambique a un avenir d’espérance assuré ; alors votre pays chantera à Dieu avec gratitude et de tout cœur « par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés » (Col 3, 16).
© Librairie éditrice du Vatican

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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