Mgr Xuereb raconte la "décision héroïque" de Benoît XVI (I/II)

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Et comment le pape émérite l’a annoncée à son secrétaire

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Mgr Alfred Xuereb révèle ce qui s’est passé après ce 11 février 2013 où le pape Benoît XVI a renoncé au ministère pétrinien : depuis son retrait à Castelgandolfo jusqu’à l’appel téléphonique du pape François au soir de son élection.

« Le risque existait de voir s’exprimer de nombreuses critiques contre le pape Benoît XVI ; beaucoup allaient dire : « Il a commencé une œuvre et il n’a pas eu le courage de la mener à bien. J’ai vu, au contraire, le caractère héroïque de ce geste : lui, il n’a pas regardé le risque que sa renonciation puisse être considérée comme un acte de lâcheté, mais il était convaincu que c’était ce que le Seigneur lui demandait à ce moment-là ». Celui qui s’exprime ainsi est Mgr Alfred Xuereb, ancien prélat d’antichambre pontificale du temps de Jean-Paul II, puis second secrétaire de Benoît XVI et actuellement premier secrétaire particulier du pape François. Il fait partie des quelques-uns, avec Mgr Georg Ratzinger, Mgr Georg Gänswein et les quatre femmes consacrées du mouvement Communion et Libération, « Memores Domini », qui savaient depuis un moment l’intention de Joseph Ratzinger de renoncer au ministère pétrinien.

Vous saviez à l’avance que Benoît XVI allait annoncer sa renonciation. Comment sa décision vous a-t-elle été communiquée ? Quelle a été votre réaction ? Y avait-il déjà des signes qui indiquaient que Benoît XVI étaient en train de prendre cette décision ?

Mgr Alfred Xuereb – Depuis quelque temps déjà, avant cette annonce, j’étais frappé par le recueillement intense du pape Benoît XVI avant la messe, dans la sacristie. La messe devait commencer à 7h. Mais parfois, on entendait sonner la pendule dans la cour Saint Damase et lui, il continuait à se recueillir. Il priait. Il y a une période pendant laquelle il se recueillait avec plus d’intensité que d’habitude. J’avais la nette sensation que quelque chose de très important était en train de se passer dans le cœur du pape, qu’il y avait quelque intention particulière pour laquelle le Saint-Père priait. Je ne le sais pas précisément, mais peut-être que cela était justement le temps du travail intérieur qu’il a vécu avant d’arriver à la décision héroïque de sa renonciation. La nouvelle nous a été communiquée de manière personnelle. J’ai été convoqué par lui officiellement. Je me suis assis devant son bureau. Même si ce n’était pas la première fois, je percevais que j’allais recevoir une communication très importante. Évidemment, personne ne s’y attendait. Lui était calme, comme quelqu’un qui a déjà surmonté l’angoisse et dépassé le moment de l’indécision. Il était serein, comme quelqu’un qui sait qu’il est dans la volonté du Seigneur. Dès que j’ai appris la nouvelle, ma première réaction a été : « Non, Saint-Père ! Pourquoi n’y réfléchissez-vous pas encore un peu ? » Puis je me suis retenu et je me suis dit : « Qui sait depuis combien de temps il examine cette décision. Comme un éclair, j’ai revu dans mon esprit les longs moments de recueillement dans la prière avant la messe et j’ai écouté ses paroles avec attention. Tout était déjà décidé. Il m’a redit deux fois : « Vous irez avec le nouveau pape ». Peut-être en avait-il eu l’intuition, je ne sais pas. Le jour où j’ai laissé le pape Benoît à Castelgandolfo, j’ai pleuré et je l’ai remercié pour sa grande paternité.

Comment votre quotidien a-t-il changé après la nouvelle ?

Pour moi, cela a été un grand changement. J’avais des crises de larmes, cela m’était très difficile de me détacher du pape Benoît XVI. Le 11 février 2013, dans la Salle du Consistoire, j’étais sur un tabouret sur le côté, pendant qu’il lisait, je pleurais, la personne qui était à côté de moi me donnait des coups de coude en me disant : « Contrôle-toi parce que moi aussi je suis ému ». J’étais impressionné par les expressions des cardinaux que j’avais devant moi. Je me souviens du cardinal Giovanni Battista Re qui n’en croyait pas ses oreilles. À table, ce jour-là, nous en avons parlé et j’ai dit au pape Benoît : « Mais, Saint-Père, vous êtes resté très calme ». « Oui », m’a-t-il répondu, avec détermination. Sa décision était prise, l’accouchement avait eu lieu, maintenant il ne nous restait qu’à adhérer à ce grand choix qu’il avait fait : un choix de gouvernement qui, au début, pouvait sembler le choix d’abandonner le gouvernement. À l’issue du consistoire, beaucoup de cardinaux – certains parce qu’ils n’avaient pas entendu, d’autres parce qu’ils ne connaissent pas bien le latin – se sont approchés des cardinaux Angelo Sodano et Giovanni Battista Re pour mieux comprendre ce qu’avait dit Benoît XVI. Le Saint-Père est resté très calme jusqu’au dernier jour, même lorsqu’il s’est rendu à Castelgandolfo.

Ils n’ont pas encore tous compris quelles étaient les raisons de sa renonciation…

Benoît XVI était convaincu de ce que le Seigneur lui demandait à ce moment-là. « Je n’ai plus les forces pour continuer ma mission, a-t-il dit, ma mission est terminée, je renonce en faveur de quelqu’un d’autre qui a plus de force que moi et qui mènera l’Église ». Parce que l’Église n’est pas du pape Benoît, mais du Christ.

Un très grand nombre de personnes ont commencé à adresser à Benoît XVI ce qu’il a appelé « des marques émouvantes d’attention, d’amitié et de prière ». Que savez-vous savez de cela ?

Je me souviens très bien. Après le 28 février 2013, des milliers de lettres ont commencé à arriver à Castelgandolfo. C’était impressionnant. Avant, il n’en arrivait pas autant. Tout le monde s’est déchainé pour écrire au pape. Mais ce qui était beau, c’était de voir que beaucoup écrivaient souvent en accrochant quelque chose à leur lettre ; un objet fait à la main, une partition de musique, un calendrier, un dessin. Comme si les gens voulaient dire : « Merci pour tout ce que tu as fait, nous apprécions le sacrifice que tu as fait pour nous. Nous ne voulons pas seulement t’exprimer nos sentiments mais t’offrir quelque chose qui vienne de nous ». Parmi ces lettres, beaucoup venaient des enfants. Je remplissais les étagères avec les lettres qui arrivaient. Évidemment, le pape n’avait pas le temps de les regarder toutes, parce qu’il y en avait des milliers. Un soir, en passant près de lui, je lui ai dit : « Regardez, Saint-Père, ce sont toutes les lettres qui sont arrivées aujourd’hui, et beaucoup viennent d’enfants ». Il s’est tourné vers moi et m’a dit : « Celles-ci, ce sont de très belles lettres ». Cela m’a beaucoup frappé, cette tendresse à l’égard des enfants. Le pape a toujours eu un caractère tendre. Peut-être voulait-il ajouter : « À la différence des lettres qui me préoccupent, qui me créent des problèmes ». Je crois que c’était comme un antidote, que cela le dynamisait, qu’elles l’ont aidé à se sentir aimé.

(à suivre…)

Traduction d’Hélène Ginabat

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Anna Artymiak

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