Messe des Cendres  : Homélie de Benoît XVI

Texte intégral

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ROME, Jeudi 18 février 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée le mercredi des cendres, lors de la messe célébrée en la basilique Sainte-Sabine, sur l’Aventin, première des «  stations  » de carême à Rome.

« Tu aimes toutes tes créatures,

Seigneur,

et tu ne méprises rien

de ce que tu as créé ;

tu oublies les péchés

de ceux qui se convertissent

et tu leur pardonnes,

parce que tu es le Seigneur

notre Dieu »

(Antienne d’ouverture)

Vénérés frères dans l’épiscopat,

Chers frères et sœurs !

C’est par cette invocation émouvante, tirée du Livre de la Sagesse (cf. 11, 23-26), que la liturgie introduit la célébration eucharistique du mercredi des cendres. Ce sont des paroles qui, d’une certaine manière, ouvrent tout l’itinéraire du carême, en posant à sa base la toute puissance d’amour de Dieu, sa souveraineté absolue sur toute créature, qui se traduit par une indulgence infinie, animée d’une volonté de vie constante et universelle. De fait, pardonner à quelqu’un, cela revient à lui dire : je ne veux pas que tu meures, mais que tu vives ; je veux toujours et uniquement ton bien.

Cette certitude absolue a soutenu Jésus durant ses quarante jours passés dans le désert de Judée, après le baptême reçu de Jean au Jourdain. Ce long temps de silence et de jeûne a été pour lui un abandon complet au Père et à son dessein d’amour ; ce fut un « baptême », c’est-à-dire une « immersion » dans sa volonté, et dans ce sens, une anticipation de la Passion et de la Croix. Avancer au désert et y demeurer longtemps, seul, signifiait s’exposer volontairement aux assauts de l’ennemi, le tentateur, qui a fait tomber Adam et par l’envie duquel la mort est entrée dans le monde (cf. Sg 2, 24) ; cela signifiait engager la bataille avec lui en terrain découvert, le défier sans autres armes que la confiance sans limite dans l’amour tout puissant du Père. Ton amour me suffit, je me nourris de ta volonté (cf. Jn 4, 34) : cette conviction habitait l’esprit et le cœur de Jésus durant son « carême ». Ce ne fut pas un acte d’orgueil, une entreprise titanesque, mais un choix d’humilité, cohérent avec l’Incarnation et avec le baptême au Jourdain, dans la ligne même de l’obéissance à l’amour miséricordieux du Père qui a « tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique » (Jn 3, 16).

Tout ceci, le Seigneur Jésus l’a fait pour nous. Il l’a fait pour nous sauver, et en même temps, pour nous montrer le chemin pour le suivre. Le salut est en effet don, il est grâce de Dieu, mais pour qu’il ait des effets dans mon existence, il requiert mon consentement, un accueil démontré dans les faits, c’est-à-dire dans la volonté de vivre comme Jésus, de marcher derrière lui. Suivre Jésus au désert du carême est donc la condition nécessaire pour participer à sa Pâque, à son « exode ». Adam a été chassé du paradis terrestre, symbole de la communion avec Dieu ; pour revenir à cette communion, et donc à la vraie vie, la vie éternelle, il faut maintenant traverser le désert, l’épreuve de la foi. Non pas seuls, mais avec Jésus ! Lui, comme toujours, nous a précédés et il a vaincu le combat contre l’esprit du mal. Voilà le sens du carême, un temps liturgique qui nous invite chaque année à renouveler le choix de suivre le Christ sur le chemin de l’humilité pour participer à sa victoire sur le péché et sur la mort.

Dans cette perspective, on comprend aussi le signe pénitentiel des cendres qui sont imposées sur la tête de ceux qui commencent l’itinéraire du carême avec bonne volonté. C’est essentiellement un geste d’humilité qui signifie : je me reconnais pour ce que je suis, une créature fragile, faite de terre et destinée à la terre, mais également faite à l’image de Dieu et destinée à Lui. Poussière, oui, mais aimée, façonnée par son amour, animée par son souffle vital, capable de reconnaître sa voix, et de lui répondre ; libre, et, pour cela, capable aussi de lui désobéir, en cédant à la tentation de l’orgueil et de l’auto-suffisance. Voilà le péché, maladie mortelle entrée très tôt pour polluer la terre bénie qu’est l’être humain. Créé à l’image du Saint et du Juste, l’homme a perdu son innocence et maintenant il ne peut redevenir juste que grâce à la justice de Dieu, la justice de l’amour qui – comme l’écrit saint Paul -, « s’est manifestée par la foi dans le Christ » (Rm 3, 22). De ces paroles de l’Apôtre, j’ai tiré le suc de mon Message, adressé à tous les fidèles à l’occasion de ce carême : une réflexion sur le thème de la justice à la lumière des Saintes Ecritures et de leur accomplissement dans le Christ.

Dans les lectures bibliques du mercredi des cendres aussi, le thème de la justice est bien présent. Avant tout, la page du prophète Joël, et le psaume responsorial – le Miserere – forment un diptyque pénitentiel qui met en relief le fait qu’à l’origine de toute injustice matérielle et sociale il y a ce que la Bible appelle « l’iniquité », c’est-à-dire le péché qui consiste fondamentalement dans une désobéissance à Dieu, ce qui revient à dire un manque d’amour. « Oui, confesse le psalmiste, je connais mon iniquité, / mon péché est toujours devant moi. / Contre toi, et toi seul, j’ai péché, / ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait » (Ps 50/51, 5-6). Le premier acte de justice est donc de reconnaître son iniquité, et de reconnaître qu’elle est enracinée dans le « cœur », au centre même de la personne humaine. Les « jeûnes », les « pleurs », les « lamentations » (cf. Jl 2, 12) et toute expression pénitentielle n’ont de valeur aux yeux de Dieu que s’ils sont le signe de cœurs sincèrement repentis. L’Evangile aussi, tiré du « discours de la montagne », insiste sur l’exigence de pratiquer sa « justice » – aumône, prière, jeûne – non pas devant les hommes, mais seulement sous le regard de Dieu, qui « voit dans le secret » (cf. Mt 6, 1-6.16-18). La vraie « récompense » n’est pas l’admiration des autres, mais l’amitié avec Dieu et la grâce qui en dérive, une grâce qui donne la paix et la force pour accomplir le bien, aimer aussi qui ne le mérite pas, pardonner à qui nous a offensés.

La seconde lecture, l’appel de Paul à se laisser réconcilier avec Dieu (cf. 2 Co 5, 20), contient l’un des célèbres paradoxes pauliniens, qui renvoie toute la réflexion sur la justice au mystère du Christ. Saint Paul écrit : « Celui qui n’avait pas connu le péché – c’est-à-dire le Fils fait homme -, Dieu l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous puissions devenir justice de Dieu » (2 Co 5, 21). Dans le cœur du Christ, c’est-à-dire au centre de sa Personne divine et humaine, s’est joué, en termes décisifs et définitifs, tout le drame de la liberté. Dieu a porté son dessein de salut jusqu’en ses conséquences extrêmes, en demeurant fidèle à son amour même au prix de livrer son Fils unique à la mort, et à la mort sur la croix. Comme je l’ai écrit dans le message de carême, « ici, la justice divine se montre profondément différente de la justice humaine (…). Grâce à l’action du Christ, nous pouvons entrer dans une justice « plus grande », celle de l’amour (cf. Rm 13, 8-10) ».

Chers frères et sœurs, le carême élargit notre horizon, il nous oriente vers la vie éternelle. Sur cette terre, nous sommes en pèlerinage, « car la cité que nous avons ici-bas n’est pas définitive : nous attendons la cité future » dit la Lettre aux Hébreux (He 13, 14). Le carême fait comprendre le caractère relatif des biens de cette terre et nous rend ainsi capables des sacrifices nécessaires, nous libérant pour accomplir le bien. Ouvrons la terre à la lumière du Ciel, à la présence de Dieu parmi n
ous. Amen.

© Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice del Vaticano

Traduction : Zenit 

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ZENIT Staff

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