Manipulation politique du fait religieux au Nigeria

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Témoignage et commentaire d’un père spiritain et de l’archevêque de Jos

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ROME, Jeudi 26 février 2009 (ZENIT.org) – « Les violences ‘religieuses’ au Nigeria sont des manipulations politiques », affirme le père Bède Ukwuijé, directeur de formation et enseignant au grand séminaire des spiritains à Enougou, dans l’est du pays, au lendemain de nouvelles tensions et violences survenues dans le nord du pays.

Les 21 et 22 février, des affrontements entre chrétiens et musulmans à Bauchi ont fait onze morts et près de quarante blessés. Six églises, deux mosquées et une dizaine de maisons ont par ailleurs été brûlées. Des tensions qui sont survenues quelques mois après les affrontements qui avaient eu lieu à Jos, capitale de l’État voisin et qui s’étaient soldés par des centaines de morts et blessés.

Mais pour le père Ukwuijé, le mobile religieux dans ces événements n’est pas déterminant. Il estime que « ces violences du nord sont manipulées par les intégristes de la politique », le fait de « gens qui cherchent à mobiliser l’islam ou mobiliser aussi la religion chrétienne pour la domination politique ».

Interrogé sur les antennes de Radio Vatican, le père spiritain attribue à « des intégristes chrétiens ou des intégristes musulmans » de vouloir sans cesse « manipuler soit les ethnies, soit la religion, pour servir des stratégies politiques ».

Face à cette situation, explique-t-il, « l’Eglise travaille beaucoup, multiplie ses communiqués, mais ses déclarations ne sont pas entendues ». Ce qu’il faudrait, selon lui, c’est renforcer le travail de sensibilisation : « sensibiliser les populations au rapport entre la religion et la politique » souligne-t-il, car « beaucoup ici n’en savent rien ».

Pour le P. Ukwuijé, ce travail de sensibilisation permettrait « aux gens de prendre de la distance par rapport à « cette manipulation politique du fait religieux ».

Deuxièmement, poursuit le père Ukwuijé au micro de Radio Vatican, « il faut un dialogue interreligieux très approfondi pour qu’il ya aient des rapports et des rencontres entre les responsables de l’Eglise chrétienne et les responsables musulmans » et ainsi « pouvoir vraiment prendre des positions communes, lorsqu’il y a violence, lorsqu’il y a manipulation politique du fait religieux ».

Interrogé sur l’état actuel des rapports entre chrétiens et musulmans au Nigeria, le père Ukwuijé rapporte que le « dialogue entre chrétiens et musulmans est fréquent mais très ténu ».

Si d’un côté « il est possible de discuter avec certains intellectuels modérés chez les musulmans et chez les chrétiens », reconnaît-il, de l’autre, il y a cette présence intégriste, de part et d’autre, qui rend la discussion difficile, qui empêche chrétiens et musulmans d’avoir une vraie « voie commune ».

« La voix est cacophonique de part et d’autre » regrette le père spiritain qui espère en un regain d’efforts de dialogue entre responsables chrétiens et responsables musulmans, et des « partenaires avec qui parler ».

A la question du journaliste de Radio Vatican « si vous deviez formuler des vœux pour l’avenir du pays, quels seraient-ils, le père Ukwuijé a répondu : « Plus d’engagement politique pour réduire la pauvreté et l’exploitation au Nigeria, pour lutter contre la corruption ; et que l’Eglise soit plus courageuse dans la lutte contre les divisions ethniques ».  

Il y a quelques jours encore, les évêques du Nigeria étaient à Rome pour leur visite ad limina. Reçus par le pape, le 14 février, ils ont évoqué avec lui les tensions politico-religieuses qui secouent leur pays depuis plusieurs mois.  

« Nous avons longuement parlé de la crise et je lui ai dit quelques mots sur les mesures que nous comptions adopter pour trouver une solution à cette situation », a rapporté l’archevêque de Jos et vice-président de la conférence des évêques catholiques du Nigeria, Mgr Ignatius Kaigama, dans un entretien à l’agence H2onews (cf. vidéo).

« En tant qu’archevêque de Jos, je suis absolument bouleversé par ce qui s’est passé à Jos le 28 novembre 2008 » a-t-il notamment souligné, « car nous avons beaucoup travaillé dans le domaine du dialogue interreligieux ».

Mgr Kaigama explique en effet qu’une semaine avant la crise, il avait pris l’initiative d’organiser une rencontre avec les chefs musulmans : « nous nous étions rencontrés dans la mosquée, dans le centre ville de Jos, avec tous les chefs chrétiens », précise-t-il, reconnaissant que ce genre de rencontre n’est effectivement pas toujours facile devant la réticence de certains « à mettre le pied dans une mosquée ou à dialoguer avec les musulmans ».

Fermement décidé à poursuivre et consolider ce dialogue, Mgr Kaigama est reparti de Rome portant avec lui le soutien du pape qui a salué l’engagement des évêques nigérians dans ce domaine et souhaité que « des relations fortes de respect, d’amitié et de coopération concrète » s’instaurent « avec les membres des autres religions », au Nigeria.

Le pape avait, à cette occasion, évoqué le prochain synode des évêques pour l’Afrique qui abordera notamment le thème de la « conflictualité ethnique ». (Cf. Zenit 16 février 2009)

« Le pape m’a promis ses prières. Il nous appuie totalement, nous encourage et nous soutient dans le dialogue interreligieux », rapporte encore l’archevêque de Jos au micro de H2o, soulignant que « le pape veut un monde pacifique », et qu’il souhaite pour son pays « un climat d’harmonie et de compréhension entre chrétiens et musulmans ».

 

Isabelle Cousturié

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ZENIT Staff

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