« Lorsque le Christ prendra en main le monde économique », par Chiara Lubich

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Message pour le congrès des « Volontaires » à Budapest

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ROME, Lundi 18 septembre 2006 (ZENIT.org) – « Lorsque le Christ prendra en main le monde économique – et cela viendra quand de plus en plus d’hommes et de femmes auront la sagesse de mettre leur humanité à la disposition du Christ – nous pourrons espérer voir régner la justice et assister enfin à un déplacement massif des biens, ce dont le monde a un besoin urgent », déclare Chiara Lubich, qui a évoqué cette « économie de communion » dans cette intervention à Budapest, le 16 semtpembre (cf. http://www.budapest2006.focolare.org).

Chiara Lubich a en effet adressé ce message aux participants du congrès organisé par le Mouvement des Focolari à Budapest, 50 ans après les événements tragiques de Hongrie : « une proposition de vie pour une nouvelle humanité ». Cette manifestation internationale a rassemblé 11 000 participants de 92 pays.

« NOTRE REPONSE A LA NUIT COLLECTIVE ET CULTURELLE D’AUJOURD’HUI »

Messieurs les évêques, Mesdames et Messieurs les représentants des autorités
religieuses et civiles, chers amis,

Je salue chacun de vous, participants à ce congrès qui commémore le cinquantième anniversaire de la naissance des Volontaires de Dieu, ces hommes et ces femmes qui vivent dans le monde sans être du monde parce que leur coeur est à Dieu.

Unis à lui et cherchant à suivre ses projets, ces volontaires sont aujourd’hui présents sur les cinq continents. Ils témoignent que Dieu est un Dieu d’amour qui veille sur chacun de nous et est notre Père. Pour cette raison, nous devons nous considérer frères es uns des autres, nous aimer comme tels et répandre la fraternité universelle « afin que tous soient un » (Jn 17,21)

Comment se présente le monde d’aujourd’hui ?

Nous constatons qu’il correspond bien à la description donnée par le cardinal Ratzinger, expert dans ces analyses, juste avant de devenir le pape Benoît XVI. Voici ce qu’il affirmait : « Combien de vents de la doctrine avons-nous connus au cours des dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien d’écoles de pensée… [ …] du marxisme au libéralisme, jusqu’au libertinisme ; du collectivisme à l’individualisme radical ; de l’athéisme à un vague mysticisme religieux ; de l’agnosticisme au syncrétisme et ainsi de suite. [ …] Tandis que le relativisme, c’est-à-dire se laisser emporter “à tout vent de la doctrine”, apparaît comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle » (1).

Jean-Paul II, quant à lui, n’avait pas hésité à tracer un parallèle entre la « nuit
obscure » de Jean de la Croix et les ténèbres de notre époque qui, comme une sorte de nuit collective, se sont abattues sur l’humanité, notamment en Occident.
Il constatait avec inquiétude que les valeurs chrétiennes servent de moins en moins de référence.

Les découvertes scientifiques et technologiques surviennent sans limite et si rapidement que l’éthique n’arrive plus à suivre et qu’un décalage apparaît entre le bon sens et le savoir, entre le cerveau et le coeur, comme le montrent l’invention de la bombe atomique ou les manipulations génétiques. De la sorte, l’humanité risque d’en perdre le contrôle (2).

Combien est actuelle la plainte de la philosophe italienne Maria Zambrano, selon qui nous vivons « l’une des nuits les plus obscures que nous ayons jamais connues (3) ».
Voilà le monde tel qu’il se présente aujourd’hui à nos yeux.

Pourtant l’Esprit saint a été particulièrement généreux envers notre époque : il a fait irruption dans la famille humaine par de nombreux charismes, d’où sont nés des mouvements, des courants spirituels, de nouvelles communautés et de nouvelles œuvres.

Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut des idées fortes, un idéal, pour apporter une réponse aux interrogations pleines d’angoisse, pour indiquer un chemin de lumière, afin de pouvoir dire avec Laurent, le diacre romain : « Ma nuit ne connaît pas d’obscurité, tout y est resplendissant de lumière (4). »

Dans sa lettre apostolique Novo millennio Ineunte, Jean-Paul II nous a indiqué Jésus crucifié et abandonné comme étoile sur notre route : « Nous ne cesserons jamais d’explorer la profondeur abyssale de ce mystère [ …] : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” (Mc 15,34) (5) ».

Jésus abandonné a donc été proposé à toute l’Église par Jean-Paul II, mais il n’a pas été le seul à le faire. Des saints du passé et certains théologiens modernes l’ont déjà présenté à la chrétienté. Puis il y a notre mouvement, pour lequel Jésus abandonné occupe une place centrale.

C’est ce que nous voudrions vous proposer aujourd’hui, nous proposer à tous : Jésus en croix, Jésus qui crie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15,34).

Il vit là sa passion intérieure, sa nuit la plus obscure, le sommet de ses souffrances. C’est le drame d’un Dieu qui crie : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Mystère infini, souffrance abyssale que Jésus a éprouvée en tant qu’homme et qui donne la mesure de son amour pour nous, car il a voulu prendre sur lui la séparation qui nous tenait éloignés du Père, divisés entre nous, pour la faire disparaître.$

L’expérience maintes fois répétée du mouvement le prouve : toute souffrance
humaine, en particulier la souffrance spirituelle, est contenue et assumée dans cette douleur particulière de Jésus.

N’est-il pas semblable à Jésus souffrant l’homme angoissé, seul, insensible, raté, ou faible ? Ne sont-elles pas des images de Jésus souffrant ces divisions douloureuses entre frères, entre Églises, entre populations aux idéologies antagonistes ? N’est-il pas figure de Jésus ce monde matérialiste et laïciste, ce monde tombé dans les plus étranges aberrations : Jésus qui, pour ainsi dire, perd le sens de Dieu, qui s’est fait « péché » pour nous, comme le dit l’apôtre Paul ?

En aimant Jésus abandonné, nous trouvons la force et la raison pour ne pas fuir ces maux, ces divisions, mais pour les accepter et les consumer, y appliquant ainsi notre remède personnel et collectif.

Si nous parvenons à rencontrer Jésus dans chaque souffrance, si nous l’aimons, en nous adressant au Père, comme Jésus sur la croix : « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (Lc 23,46), alors avec lui notre nuit appartiendra au passé, nous serons inondés de lumière.

* * *
Certains s’imaginent que l’Évangile se limite à porter le Royaume de Dieu au sens religieux et qu’il ne résout pas les problèmes humains. Mais il n’en est pas ainsi.

Ce n’est certes pas le Christ historique, ni le Christ tête de son Corps mystique, qui résout les problèmes. C’est « Jésus-nous » , « Jésus-vous », « Jésus-moi »… C’est Jésus dans l’homme, celui-là même qui construit un pont ou trace une route, lorsque la grâce de Dieu est en lui. Jésus est la véritable personnalité de chacun, la plus profonde.

En effet, tout homme, tout chrétien, est davantage fils de Dieu, c’est-à-dire autre Christ, que fils de son propre père. C’est en tant qu’autre Christ, membre de son Corps mystique, que chaque homme apporte sa contribution spécifique dans tous les domaines : les sciences, les arts, la politique, les communications, etc. Et son efficacité sera d’autant plus grande s’il travaille avec d’autres hommes unis au nom du Christ.

Ainsi l’Incarnation se poursuit, une incarnation complète, qui concerne tous les Jésus
du Corps mystique du Christ.

* * *
Le mouvement des Focolari est une réalité spirituelle qui éclaire le monde autour de
lui, par l’intermédiaire de ceux qui en font p
artie, mais aussi dans son ensemble. Il le fait à travers des « fleuves d’eau vive », pour utiliser un terme du remarquable Père de l’Église qu’est Jean Chrysostome (6), des fleuves d’eau vive qui inondent de leur lumière la culture contemporaine dans toutes ses manifestations.

Ces « inondations » d’eau vive et de lumière naissent d’un dialogue avec la culture
établi par les Focolari depuis un certain temps : un dialogue entre la sagesse qu’offre le charisme de l’unité et les multiples domaines du savoir et de la vie humaine, tels que la politique, l’économie, la sociologie, les sciences humaines et naturelles, la communication, la pédagogie, la philosophie, l’art, la santé, l’écologie, le droit, et d’autres encore.

Il est bien évident que ces développements continueront à une condition : que ceux qui oeuvrent dans ces domaines soient continuellement inondés de la lumière qui émane du don de Dieu. Sinon, ils risquent de retomber dans un système de pensée et d’action simplement humains.

Dans le domaine économique, par exemple, à cause de l’amour réciproque qu’il suscite entre tous, notre charisme provoque de manière spontanée une communion des biens mondiale parmi ceux qui le vivent. Une telle communion des biens est l’émulation de ce que faisaient les premiers chrétiens, dont il est écrit : « Ils mettaient tout en commun […] et nul parmi eux n’était indigent » (Ac 4,32.34).

C’est dans ce but qu’est né aussi notre projet d’une « Économie de communion », dans la plus grande liberté naturellement. Environ 800 entreprises y adhèrent et donnent un tiers de leurs bénéfices aux personnes dans le besoin.

Lorsque le Christ prendra en main le monde économique – et cela viendra quand de plus en plus d’hommes et de femmes auront la sagesse de mettre leur humanité à la disposition du Christ – nous pourrons espérer voir régner la justice et assister enfin à un déplacement massif des biens, ce dont le monde a un besoin urgent.

Dans le domaine des communications, nous avons toujours considéré comme un signe de la providence de Dieu l’actuel développement de puissants moyens de communication sociale, qui favorisent l’unité de la famille humaine.

Pourtant, il est évident que les médias ne suffisent pas à unir les peuples ni les personnes. Il faut qu’ils soient mis au service du bien commun et que ceux qui les
utilisent soient animés par l’amour.

C’est ici que notre charisme a beaucoup à dire, à donner. Il répand l’amour authentique dans les coeurs, il enseigne l’art de communiquer qui est l’art de « n’être rien » pour savoir recevoir, c’est-à-dire pour accueillir l’autre, les nouvelles, quoi que ce soit, et pour savoir donner, c’est-à-dire parler, écrire au moment opportun et de la façon la plus adéquate, en étant amour.

C’est ainsi que se créent le partage, la participation et la communion. Lorsque les professionnels de la communication sauront faire taire leur moi pour laisser la place à l’Esprit de Dieu, les médias feront la preuve de leur capacité de multiplier le bien à l’infini, et les acteurs de la communication pourront réaliser leur vocation qui est d’être des instruments d’unité au service de toute l’humanité.

Prenons encore le domaine de la politique. Le charisme de l’unité y projette sa lumière plus qu’en tout autre. N’est-ce pas le rôle de la politique de parvenir à rassembler dans l’unité, dans l’harmonie d’un seul projet, la multiplicité, les aspirations légitimes des diverses composantes de la société ? Et les hommes, les femmes politiques ne devraient-ils pas, dans leur fonction de médiateurs, exceller dans l’art du dialogue et savoir s’identifier avec chacun ?

Notre spiritualité, qui est éminemment collective, enseigne cet art : l’art d’aimer jusqu’à générer l’unité. Les hommes et les femmes politiques qui s’en inspirent, quel que soit le parti auquel ils appartiennent, choisissent de faire passer l’amour entre eux avant leur engagement et leurs intérêts propres. Agissant ainsi, ils savent établir, non sans sacrifice, la présence de Jésus au milieu d’eux.

Et Jésus, qui est la lumière pour le monde, met en valeur ce qu’il peut y avoir de vrai dans les différents points de vue. Il donne sa lumière, fait comprendre où réside le bien commun et donne la force de le réaliser.

L’expérience de notre « Mouvement politique pour l’unité » en est le témoignage, en Europe et en divers pays d’Amérique latine. Pourtant, le bien produit par ce charisme sera encore plus grand lorsque davantage d’hommes politiques auront le courage de se mettre eux-mêmes et de mettre les pouvoirs qui leur sont conférés au service du but ultime, qui est Dieu.

Nous pourrons alors espérer voir se réaliser l’amour réciproque entre les peuples, un amour tel qu’il apportera la paix et la solution aux nombreux problèmes qui affligent encore l’humanité.

Ce sont là quelques exemples, que l’on pourrait appliquer à d’autres domaines encore. Si nous allons de l’avant sur ce chemin, nous pourrons dire en vérité : « Ma nuit ne connaît pas d’obscurité, tout y est resplendissant de lumière. »

Chiara Lubich

NOTES

(1) Homélie du cardinal Joseph Ratzinger à la messe Pro eligendo romano pontefice, basilique vaticane, 18 avril 2005
(2) Cf. Jean-Paul II, Homélie à l’occasion des célébrations en l’honneur de Jean de la Croix, Segovia, 4 novembre 1982 ; Discours au chapitre général des Pères carmes, Rome, 29 novembre 1989.
(3) D’après Maria Zambrano, Persona e democrazia, Milan 2000, p. 2.
(4) Laurent, diacre romain mort martyr en 258 : « Mea nox obscurum non habet, sed omnia in luce clarescunt. »
(5) Jean-Paul II, Lettre apostolique Novo Millennio Ineunte, N. 25.
(6) Jean Chrysostome affirme que l’eau vive dont parle l’Évangile rejaillit et inonde en une infinité de fleuves (cf. Jn 4, 14). Cf. Jean Chrysostome, In Johannem homilia, 51 ; PG 59, 284.

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ZENIT Staff

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