Liban : Un message pour l’Est et l’Ouest

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Interview du directeur national de la Société des Missions pontificales au Liban

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ROME, Dimanche 21 mars 2010 (ZENIT.org) – L’avenir de la paix au Moyen-Orient repose sur la création d’une société dans laquelle juifs, musulmans et chrétiens coexistent pacifiquement. 

Le Liban est porteur d’une promesse particulière dans cet effort, et pourtant il a subi des vagues successives de terreur et de guerre à l’intérieur de ses frontières, souvent la conséquence d’une ingérence étrangère.

Dans cet entretien accordé à l’émission de télévision « Où Dieu pleure » du Catholic Radio and Television Network (CRTN) avec la coopération de l’association Aide à l’Eglise en détresse (AED), le père Paul Karam examine la situation unique du Liban et les motifs d’être optimiste.

Le père Karam, d’origine libanaise, est actuellement directeur national de la Société des Missions pontificales dans son pays. Il suivait des études de droit et de sciences politiques à l’université au Liban lorsqu’il a entendu l’appel de Dieu et « réalisé cette merveilleuse aventure d’être prêtre ». Il étudia ensuite la pastorale des jeunes et la catéchèse à l’Université salésienne de Rome, avec une bourse d’études financée par l’Aide à l’Eglise en détresse.

Q – Père, j’aimerais m’entretenir un peu avec vous de la situation actuelle dans votre pays. Vous, qui avez grandi au Liban, qui avez vu la violence le dévaster sans répit, encore et encore. Pourquoi le Liban semble-t-il ainsi endurer cette violence à répétition qui affecte le pays ?

Père Karam : Ce serait peut-être à moi de poser cette question. Les Libanais se la posent tous : pourquoi le Liban doit-il se sacrifier ? Pourquoi le Liban doit-il éternellement payer pour les autres ? C’est une bonne question, et je n’ai pas la réponse. Personnellement, j’ai grandi durant la guerre (civile) au Liban. Je me vois encore, jeune, me cachant dans une autre pièce de la maison parce que des obus tombaient à proximité de chez nous. Une personne de ma famille, mon grand-père, a été tuée par une bombe pendant la guerre. Dans certaines régions, il y avait des quartiers semés de mines terrestres et il nous fallait les contourner parce qu’on pouvait voir ces mines, placées partout. Ce fut une période très difficile et il nous est impossible de l’oublier, mais bien entendu, rien de cela n’a pu nous décourager. Non. Nous en sommes sortis avec plus de courage encore et nous envisageons avec optimisme l’avenir en dépit des difficultés et des épreuves endurées pendant ces moments.

Q – Le peuple libanais ressent-il de l’amertume ou de la colère à propos des événements politiques qui sont hors de son contrôle ?

Père Karam : Beaucoup d’entre eux ont été meurtris, mais pas vraiment en colère. Cependant, la même question refait surface : Pourquoi le Liban ? Pourquoi d’autres pays sont-ils en paix, pourquoi leurs peuples connaissent-ils une existence stable, et pas nous Libanais ? Cette situation affecte particulièrement les jeunes qui, alors, émigrent ; ils s’en vont et, avec eux, une jeunesse pour l’Eglise, et ainsi la richesse de l’Eglise se réduit de plus en plus.

Q – Pourquoi le paysage politique se joue-il apparemment sur le sol libanais ?

Père Karam : Il nous faut prendre d’abord un peu de recul historique pour comprendre la situation au Liban. Comme vous le savez, le Liban est un tout petit pays, de seulement 10 450 km2. Le pays présente un intérêt majeur, qui est son emplacement géographique : bordé à l’ouest par la mer Méditerranée, au sud par la Palestine et Israël, à l’est et au sud par la Syrie, sa plus grande frontière, et au nord, la Turquie. Le Liban est aussi un pays qui compte dix-huit confessions religieuses : maronite, melkite, grecque-orthodoxe, grecque-catholique, arménienne, druze, sunnite, chiite… Elles sont toutes reconnues par les constitutions. C’est le sens du mot confession. Elles coexistent depuis de nombreuses années.

Q – Père Paul, la stabilité politique du Liban a été mise à mal dans le passé par toute une série d’assassinats, en particulier de responsables chrétiens. Comment, selon vous, la stabilité politique du Liban résistera-t-elle à ces agressions, et comment de temps cette bonne volonté actuelle tiendra-t-elle ?

Père Karam : L’Eglise, bien entendu, condamne fermement ces assassinats, et surtout pour nous chrétiens c’est un motif de grande tristesse, car la plupart de ces assassinats sont perpétrés sur des responsables chrétiens. Alors, nous nous interrogeons : pourquoi uniquement les responsables chrétiens et pourquoi uniquement dans les zones à majorité chrétienne ? Je n’ai pas la réponse. Je pense que cela fait partie de l’ensemble du problème politique. Et aussi que c’est pour faire pression sur les chrétiens et les soumettre ; comme vous le savez, historiquement, le Liban est devenu un pays démocratique grâce aux chrétiens, notamment les chrétiens maronites, et les musulmans sont très conscients de cette réalité parce qu’un chrétien est un homme libre, qui respecte l’autonomie et la souveraineté. 

Peut-être, mais je ne puis bien sûr l’affirmer car je ne suis pas un homme politique, que certaines personnes, jalouses du fait que le Liban – un pays de petite dimension – est démocratique, cherchent à semer terreur et mort dans le peuple, en le faisant plier sous la contrainte. Les chrétiens et le peuple libanais en général ne se mettront jamais à genoux ; la question ne se pose même pas. Le Liban est un pays pacifique. Le peuple libanais est plein d’espoir, paisible et aspire à cette paix comme n’importe quel autre pays. 

Je crois que le message et les paroles du pape Jean-Paul II durant le Synode spécial pour le Liban étaient des paroles prophétiques quand il a dit que « le Liban est plus qu’un pays, il est un message » pour l’Orient et pour l’Occident. C’est pourquoi cette réalité n’existe pas dans les pays qui sont autour de nous, ou même en Occident et en Orient. Les autres pays peuvent avoir un régime démocratique, mais vous n’y trouverez pas, comme au Liban, cette coexistence des confessions.

Q – Les chrétiens jouent-ils un rôle de pont, agissent-ils comme un ciment dans une société où, par exemple, sunnites et chiites ne communiqueraient sans doute pas entre eux sans la présence de chrétiens, grâce à laquelle une relation peut s’établir ?

Père Karam : Ils [les chrétiens] constituent, si vous voulez, ce pont ; on trouve en effet couramment au Liban des endroits où chrétiens et musulmans coexistent ensemble. En revanche, il est plus que rare de trouver une région où un sunnite, un chiite ou un druze vivent ensemble. Un chrétien a l’esprit ouvert, entre en dialogue et aime la vie, et c’est pourquoi le peuple libanais est plein de vie et d’énergie ; vous détruisez leurs maisons et, le lendemain, vous les trouverez, surtout les chrétiens libanais, en train de les reconstruire. 

Tous les Libanais du monde ne doivent pas perdre espoir et doivent espérer en un Liban nouveau où tous pourront vivre ensemble. C’est cela le Liban, la question n’est pas seulement de vivre dans cette région ou une autre région, mais de notre présence [Libanais chrétiens et le peuple libanais en général] et du sens de notre présence ici. L’autre raison est biblique ; le Liban est cité dans la Bible plus de 70 fois, et c’est, je crois, notre mission d’être là [au Liban], même parmi les musulmans. Nous [chrétiens libanais] avons pour mission de révéler l’amour de Dieu et d’instaurer un dialogue entre tout le peuple et, bien sûr, de dire que nous aimons avoir un pays pacifique, vivre en paix.

Q – Vous êtes donc optimiste ?

Père Karam : Je suis très optimiste en dépit des difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Je suis très optimiste ; je crois en mon pays, et j’en appelle à t
ous les Libanais qui vont nous entendre ou nous écoutent en ce moment : ils ont une mission à remplir ; être unis et lancer un appel, et peut-être faire pression sur la communauté internationale pour régler le problème libanais et résoudre les autres problèmes de la région, mais pas aux dépens du Liban. Nous ne pouvons pas supporter éternellement le coût des conflits dans la région. Le conflit arabe, le conflit arabo-palestinien, et le conflit israélo-palestinien ne peuvent pas être supportés par le Liban. 

Vivons en paix ; nous avons une mission à remplir et ce pourra être, je pense, un bon exemple à suivre pour la région tout entière. Dans le passé, on avait l’habitude de dire que le Liban est la « Suisse de l’Orient » ; c’est vrai, aussi nous devons avoir la paix, notre propre souveraineté et dignité, avoir un pays qui puisse offrir un bon exemple pour tous.

Le Liban ne peut pas être seulement pour les chrétiens ou seulement pour les musulmans. Non ! Le Liban vivra toujours avec deux ailes ; une aile pour les chrétiens, l’autre pour les musulmans ; et avec ces deux ailes, vous pouvez voler, vous ne pouvez jamais voler avec une seule aile. C’est par conséquent notre responsabilité [Libanais expatriés à l’étranger et Libanais au Liban] d’être unis ; ne jamais laisser personne s’immiscer dans nos problèmes internes et, bien entendu, croire qu’ensemble nous pouvons opérer des miracles et constituer un authentique témoignage pour toute la région.

Propos recueillis par Mark Riedemann

Traduit de l’anglais par E. de Lavigne

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ZENIT Staff

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