Les questions en suspens entre le Saint- Siège et Israël

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Le père Jaeger aborde les points litigieux de l’Accord fondamental et les perspectives

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ROME, Jeudi 28 janvier 2010 (ZENIT.org) – Le père franciscain David-Maria A. Jaeger, membre de la Custodie de Terre Sainte, professeur de droit canonique à Rome, est un expert renommé des relations Eglise-Etat en Terre Sainte. Il étudie depuis plus de trente ans la « question de Jérusalem » sur le plan du droit international.

Dans cette interview accordée à ZENIT, le père Jaeger explique le chemin complexe dans lequel le Saint-Siège et Israël se sont engagés, après la signature de l’Accord fondamental signé en 1993, pour mettre en œuvre les points portant sur le régime fiscal de l’Eglise et les questions de propriété sur les Lieux Saints.

Cela au moment où le rabbin David Rosen déclare au journal Haaretz que l’attitude d’Israël envers le Vatican est « scandaleuse », que « toute [autre] nation aurait menacé de rappeler son ambassadeur bien avant, devant le manque de respect des accords, de la part d’Israël ».

ZENIT – Il y a quelques jours, Benoît XVI est revenu sur la question du Moyen-Orient, réaffirmant le droit d’Israël d’exister et de jouir de la paix, et le droit du peuple palestinien à une patrie souveraine, le droit de vivre avec dignité et de se déplacer librement. « Je voudrais, en outre – a ajouté le Pontife- demander le soutien de tous, pour que soient protégés l’identité et le caractère sacré de Jérusalem, son héritage culturel et religieux, dont la valeur est universelle ». Père David-Maria A. Jaeger, comment protéger, concrètement, le caractère sacré de cette ville ?

Père Jaeger – A la fin de la décennie passée, et plus précisément en 1999, un « Groupe de travail » mis en place par divers gouvernements européens, a étudié, notamment, un projet de matrice chrétienne, qui prévoyait un accord multilatéral, intitulé The Jerusalem and Environs Multilateral Treaty (le Traité multilatéral sur la ville de Jérusalem et ses environs), auquel auraient adhéré, en plus d’Israël et de l’Autorité palestinienne établie, plusieurs Etats traditionnellement intéressés par la Terre Sainte.

Pour faire valoir l’accord, une organisation multilatérale aurait été créée, appelée The Jerusalem and Environs Multilateral Treaty Organisation. Les valeurs fondamentales que ce Traité et l’organisation correspondante étaient censés préserver seraient donc en gros celles qui ont été proclamées par la suite dans le Préambule de l’« Accord de base » entre le Saint-Siège et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), organisme qui représente le peuple palestinien au plan international. Il devait s’agir essentiellement de garantir à tous la liberté de conscience et de religion ; d’assurer l’égalité juridique des trois grandes religions monothéistes, de leurs institutions et de leurs adeptes ; de respecter le caractère particulier de la ville de Jérusalem et ses environs ; de préserver les Lieux Saints et le régime juridique du « Statu quo » qui s’applique à certains d’entre eux.

Pour ce que vaut mon avis, je crois qu’un tel accord multilatéral, garanti par l’Organisation adéquate, pourrait être la meilleure voie et devrait n’avoir aucun mal à être adopté par les Israéliens comme par les Palestiniens, ainsi que par la Communauté internationale, parce qu’avantageux pour tous.

ZENIT – Toujours pas de solution en vue entre Israël et le Saint-Siège, concernant l’application de l’Accord fondamental de 1993. Cela fait 17 ans que les négociations sur toutes les questions en suspens relatives aux impôts et aux propriétés de l’Eglise s’enlisent justement dans les Lieux Saints. Quels sont les véritables motifs qui empêchent, depuis tout ce temps, de parvenir à la solution de la controverse ?

Père Jaeger – Comme chacun sait, l’Accord fondamental a été signé le 30 décembre 1993 et est entré en vigueur le 10 mars 1994. Il a été suivi de l’Accord sur la reconnaissance des effets civils de la personnalité juridique des entités ecclésiastiques, signé le 10 novembre 1997 et entré en vigueur le 3 février 1999.

Manque toujours la transposition des deux accords dans le droit interne israélien. Ce qui signifie que les deux accords sont assurément valables, mais leur application par les juridictions israéliennes devrait inévitablement rencontrer des difficultés.

On sait aussi que les négociations entre l’Eglise et l’Etat israélien sur l’application de l’art. 10.2 de l’Accord fondamental, qui prévoit un accord global sur toutes les questions en suspens relatives à la fiscalité et aux propriétés de l’Eglise, ont été engagées le 11 mars 1999. Elles durent déjà beaucoup plus que les deux ans prévus par l’Accord fondamental, mais on ne peut pas dire qu’elles soient « bloquées ». En effet, le dernier communiqué conjoint des deux parties, à l’issue de la réunion (de la Commission), a été publié précisément ce mois-ci le 7 janvier.

Quant aux contenus détaillés des travaux, la Commission bilatérale de travail – qui est le « lieu » ou le « véhicule » des négociations – n’a pas l’habitude de donner des informations, car ces informations n’auraient pas de sens : il serait parfaitement inutile de déclarer qu’il existe un « accord » sur telle ou telle question, car dans les négociations de cette nature prévaut le principe que « rien n’est convenu tant que tout n’a pas été convenu ».

D’un autre côté, on défend mieux les droits sur lesquels les Parties peuvent s’appuyer. Il est évident, en effet, que tant que l’Accord souhaité n’est pas conclu, l’Eglise ne renonce pas et ne met pas non plus en discussion les droits acquis dont elle bénéficiait déjà avant la naissance de l’Etat d’Israël (en 1948), et que celui-ci, à maintes reprises et de tant de manières, a promis de respecter.

ZENIT – A l’issue de la dernière réunion plénière de la Commission bilatérale permanente de travail entre le Saint-Siège et Israël – qui s’est tenue en décembre 2009 au Vatican -, le chef de la délégation israélienne, Daniel Alayon, vice-ministre des Affaires étrangères, se référant à l’ « absence d’accord », aurait parlé de « crise » des négociations et de « pas en arrière » si bien que « toutes les conclusions obtenues avant la réunion ont été en fait annulées ». Que signifie ceci et quelle est la situation aujourd’hui ?

Padre Jaeger – On ne peut parler d’ « absence d’accord », car il ne s’agissait de toute façon que d’une réunion interlocutoire, simplement une nouvelle étape des négociations. Aucune personne bien informée – même superficiellement – ne pensait que ce pouvait être la réunion finale !

Quant aux prétendues déclarations attribuées par un quotidien israélien au vice-ministre, il sautait aux yeux qu’elles étaient destinées à usage et consommation internes, pour tranquilliser les milieux fondamentalistes qui, n’étant pas informés des faits, craignaient un pacte avec « le Vatican » contraire à ce qu’ils estimaient être les principes et les intérêts de l’Etat hébreu.

Ceux qui étaient présents au début des travaux de la Commission bilatérale Saint Siège-Israël, en 1992, vous diront qu’il y avait une sorte de gentlemen’s agreement (« accord entre gentilhommes »), en vertu duquel l’une ou l’autre Partie pouvait, de temps à autre, avoir besoin de faire des déclarations publiques pour satisfaire ses propres exigences « politiques », sans que cela affecte les relations bilatérales.

Ensuite, il y a eu aussi des déclarations publiques du côté israélien dans un tout autre sens. Ainsi, le rabbin David Rosen bien connu, déjà membre important de la délégation israélienne au moment des pourparlers – justement dans la phase « constituante » – a affirmé, dans une récente interview publique au quotidien israélien le plus
influent, HaAretz, publiée en version anglaise on line le 17 janvier [jour de la visite du Saint-Père à la Grande synagogue de Rome], qu’Israël – je le cite –  ne respecte pas les accords de 1993, en refusant de ratifier en bloc tous les droits acquis à l’Eglise en matière fiscale, comme – dit-il – Israël s’y était engagé avec l’établissement (déjà en 1994) des relations diplomatiques avec le Saint-Siège.

ZENIT – Daniel Alayon, encore lui, aurait toutefois confirmé un clair « intérêt à dialoguer » avec le Saint-Siège, surtout sur des questions comme « antisémitisme, terrorisme, radicalisme islamisme ». Comment l’Eglise peut-elle aider Israël sur ces questions ?

Père Jaeger – L’engagement réciproque à « coopérer pour combattre toutes les formes de racisme et d’intolérance religieuse » est inscrit dans le texte de l’Accord fondamental (1993), à l’article 2.1  ; et, en effet, les catholiques et les juifs partout sont unis dans ce combat pacifique. De même, à l’article 11.1 de l’Accord, le Saint-Siège et l’État d’Israël déclarent leur engagement respectif à la « promotion de la solution pacifique des conflits entre les Etats et les nations, excluant la violence et la terreur de la vie internationale ».

ZENIT – Pour Jérusalem, vous avez mis récemment sur la table l’idée d’un « statut spécial internationalement reconnu », soutenant que Israël et la Palestine ne sont pas habilités à disposer de Jérusalem, tant que les Nations Unies n’auront pas constaté le respect des finalités énoncées par la communauté internationale. Pourquoi, aujourd’hui encore, le Saint-Siège considère-t-il que c’est la meilleure solution pour Jérusalem ?

Père Jaeger : Cette idée qu’Israéliens et Palestiniens ne peuvent actuellement disposer de Jérusalem, ni ensemble ni séparément, n’est pas le moins du monde « mon »idée. Elle correspond plutôt au statut du territoire en droit international, comme en témoigne objectivement, notamment, la présence continuelle à Jérusalem des Consulats généraux soumis au régime de corpus separatum, jamais accrédités auprès d’aucun Etat, mais témoins éloquents de la situation de jure . Cette situation n’a jamais changé depuis la Résolution 181 du 29 novembre 1947 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, (celle-là même qui a autorisé la création de l’Etat hébreu et du, alors, futur Etat palestinien). Selon cette résolution, la ville de Jérusalem serait soumise à une administration internationale, comme « lieu » de droits et intérêts légitimes qui appartiennent aux grandes communautés mondiales et ne relèvent pas simplement des deux nations voisines.

Or, dans le contexte de la recherche d’une solution globale pour la situation en Terre Sainte qui n’est pas, à l’heure actuelle, conforme au droit international, il est évident que également – et avant tout – le statut du territoire hiérosolymitain (de Jérusalem) devra être régularisé. Les nombreuses déclarations faites à ce sujet par le Saint-Siège au cours des dernières décennies, semblent suggérer – et celle-ci, oui, est mon interprétation de juriste – qu’il serait souhaitable d’amener Israéliens et Palestiniens à adhérer à un traité multilatéral – peut-être plus ou moins semblable au projet décrit plus haut – qui garantisse les valeurs universelles représentées à Jérusalem et, par conséquent, avec l’aval des Nations Unies, autorise Israéliens et Palestiniens à disposer du même territoire, en vertu d’un traité de paix bilatéral. 

Les palestiniens semblent déjà s’être engagés sur cette voie, ou du moins c’est la lecture que je fais du Préambule de l’« Accord de base » qui a été signé avec le Saint-Siège le 15 févier 2000. Il n’y a pas de raison de penser qu’Israël ne fasse pas de même, si elle y est invitée, concrètement. Ce serait en faveur de tous et contre personne. Un classique jeu de « gagnant-gagnant », dans lequel toutes les parties « gagnent », comme on dit dans le monde des affaires.

ZENIT – Un statut spécial pour la ville de Jérusalem, implique – comme vous l’avez vous-même rappelé – l’entrée en vigueur d’un instrument juridique international qui surpasse tout accord bilatéral israélo-palestinien. Concrètement, comment pensez-vous qu’un tel instrument puisse préserver le régime du statut quo des Lieux Saints ? Et de quelle façon devrait-il fonctionner ?

Père Jaeger – Ce serait, en effet, la partie la plus simple d’un tel « statut spécial internationalement garanti » pour Jérusalem et ses environs, notamment si on remonte au projet, évoqué plus haut, de Traité multilatéral conclu avec l’organisation correspondante pour le faire valoir. Le régime juridique du Statu quo qui régit certains Lieux Saints prévoit que c’est au gouvernement civil pro tempore de veiller à son observance régulière, en se chargeant de la sécurité et de l’ordre public dans ces Lieux Saints particuliers. Ainsi, outre la confirmation dans le Traité de la valeur légale internationale de ce régime juridique, il appartiendrait dans ce cas à l’Organisation multilatérale correspondante d’assumer ces charges « laïques » en faisant appel à son propre personnel, muni des pouvoirs requis pour assurer l’ordre public. On soustrairait ainsi ces quelques, mais très importants Lieux Saints (songez au Saint-Sépulcre de Jérusalem) aux intérêts et aux calculs politiques des Etats locaux ou d’un seul Etat.

Propos recueillis par Mariaelena Finessi

Traduction française : E. de Lavigne

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ZENIT Staff

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