Les principes non négociables : un défi éducatif (III/III)

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L’amour, perfectionnement de la raison

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« Il y a un perfectionnement ultérieur de la raison et de la foi elle-même : il s’agit de l’amour », affirme Mgr Dal Covolo.

Au-delà de « la dimension raisonnable de l’anthropologie personnaliste chrétienne », il y a le témoignage des saints, qui « montrent que seul l’amour, actualisation et perfectionnement de la raison, est crédible. Ce sont eux qui font du christianisme un message non seulement informatif mais performatif, qui change la vie des gens et des peuples ».

Mgr Enrico Dal Covolo, recteur de l’Université pontificale du Latran, poursuit sa réflexion sur la défense de la vie, à la lumière de l’enseignement des Pères de l’Eglise et des saints.

Nous publions ci-dessous la troisième et dernière partie d’une synthèse de son discours prononcé à l’occasion de l’inauguration de l’Ecole de formation politique promue par le mouvement italien « Politique Ethique Responsabilité » (PER), le 14 janvier 2013. (cf. Zenit du 19 janvier pour la première partie et Zenit du 21 janvier pour la deuxième partie):

2. L’enseignement des Pères de l’Eglise

« Tu ne tueras pas l’embryon par l’avortement » (Didaché, 2,2)

Tel est le précepte impérieux, sans équivoque, énoncé par un très ancien texte de la littérature chrétienne, probablement contemporain, au moins dans certaines de ses sections, à la littérature néotestamentaire. Il s’agit de la Didaché. Le fait même qu’il soit formulé signifie que la coutume de l’avortement était répandue ou au moins pratiquée dans le monde païen, non chrétien. Cet appel revient dans d’autres œuvres chrétiennes du second siècle. Parmi celles-ci, je voudrais rappeler un passage de la Supplique pour les chrétiens d’Athénagoras d’Athènes et un autre, tiré de l’Apologeticum de Tertullien.

2.1. Athénagore

Athénagore s’interroge vivement : « Comment pourrions-nous égorger un homme, nous qui traitons d’homicides les femmes qui se font avorter, persuadés comme nous le sommes qu’elles seront sévèrement punies au jugement de Dieu ? Certes, le même homme ne peut regarder l’enfant encore dans le sein de sa mère comme un être dont Dieu s’occupe, et le tuer aussitôt après sa naissance; le même homme qui se reprocherait d’être un parricide, s’il exposait son enfant, est incapable de le tuer de sa main quand il l’aura nourri et élevé. Non, non, notre conduite ne se dément point de la sorte; mais, toujours semblables à nous-mêmes, nous agissons conformément à la raison, sans prétendre l’asservir à nos passions » (Athénagore, Supplique pour les Chrétiens, 35).

2.2. Tertullien

Le texte de Tertullien, dont la référence, d’ailleurs, est mentionnée dans la note de bas de page de la section du Catéchisme de l’Eglise catholique au sujet de l’interdiction de l’avortement, est le suivant : « Quant à nous, l’homicide nous étant défendu une fois pour toutes, il ne nous est pas même permis de faire périr l’enfant conçu dans le sein de la mère, alors que l’être humain continue à être formé par le sang. C’est un homicide anticipé que d’empêcher de naître et peu importe qu’on arrache la vie après la naissance ou qu’on la détruise au moment où elle naît. C’est un homme déjà ce qui doit devenir un homme; de même, tout fruit est déjà dans le germe » (Tertullien, Apologétique 9, 2-8).

Permettez-moi maintenant quelques réflexions. Pour les chrétiens du second siècle (comme aussi pour ceux des siècles suivants : il y a, en effet, tout un florilège de voix contre l’avortement, parmi lesquelles celle d’un certain nombre de Pères de l’âge d’or, comme Basile de Césarée ou Jean Chrysostome), la protection de la vie de l’embryon est un devoir non négociable. Ces auteurs que j’ai cités, Athénagore et Tertullien, sont des apologètes. Cela signifie qu’ils s’adressent au monde non chrétien et ils exposent le caractère raisonnable de leur vision de la vie en faisant appel, précisément parce qu’ils dialoguent avec des personnes qui ne partagent pas la même foi, au logos, auquel « nous sommes tous soumis », selon les mots d’Athénagore. En d’autres termes, les apologètes demandent à tous les hommes de suivre ce qu’il y a d’universellement humain et qui nous rapproche, à savoir l’usage de la raison, indépendamment de l’appartenance religieuse.

Cependant, l’usage de la raison pourrait être encore insuffisant. Les apologètes de l’Antiquité nous indiquent alors un autre parcours qui intègre et corrobore celui du logos. En effet, à partir de la Révélation biblique, ils montrent dans la foi chrétienne une source extrêmement riche de valeurs anthropologiques, fondées sur l’action créatrice et rédemptrice de Dieu. […]

3. Le témoignage des saints

Je m’oriente vers la conclusion de mon intervention, chers amis, en abordant, plus succinctement, un dernier point. […]

J’ai développé mes précédentes réflexions en insistant sur le fait que les principes non négociables, en particulier la protection de la vie naissante et la dignité de la mort, sont acquis à la raison qui trouve, dans la foi chrétienne, des motifs supplémentaires de confirmation. Il y a toutefois un perfectionnement ultérieur de la raison et de la foi elle-même : il s’agit de l’amour. La dimension raisonnable de l’anthropologie personnaliste chrétienne, qui affirme le caractère non négociable du principe de la défense de la vie est attestée par le témoignage lumineux des saints. Les saints exercent un grand pouvoir de fascination. Et, par la grâce de Dieu, ils n’ont jamais manqué et ils ne manquent pas, et ils continuent de maintenir vivante la bonté et la beauté de l’humanisme chrétien. Ils montrent que seul l’amour, actualisation et perfectionnement de la raison, est crédible. Ce sont eux qui font du christianisme un message non seulement informatif mais performatif, qui change la vie des gens et des peuples !

Le monde entier s’est incliné pour rendre hommage à la bienheureuse Mère Teresa de Calcutta, icône de la sainteté qui prend soin de la vie au nom de ces principes non négociables auxquels nous réfléchissons. D’une tribune spéciale à Oslo, à l’occasion de la remise du Prix Nobel en 1979, sans aucune crainte, avec la force et la simplicité de la vérité, elle a rendu témoignage à la mission accomplie pour empêcher la pratique de l’avortement, qu’elle a défini comme « le grand destructeur de la paix ». Et elle en a illustré la raison par des paroles qui font écho à ce que nous disions précédemment en commentant Evangelium vitae : déroger à l’inviolabilité de la protection de la vie déjà conçue ouvre la voie, comme cela s’est en effet passé, à toutes formes d’atrocités et de violence. « Parce que », a affirmé à cette occasion Mère Teresa, « si une mère peut tuer son enfant, qu’est-ce qui m’empêche de te tuer, et qu’est-ce qui t’empêche de me tuer ? Rien ».

A propos de l’euthanasie, je me souviens d’une de ses expériences qui vaut peut-être plus que tous les raisonnements, pour montrer qu’il y a toujours une dignité de la mort et dans la mort : « Nous avons ramassé un homme dans le canal, à moitié mangé par les vers, et nous l’avons amené à la maison. Il nous a dit : « J’ai vécu dans la rue comme un animal, mais je vais mourir comme un ange, aimé et soigné ». Et c’était merveilleux de voir la grandeur de cet homme qui pouvait parler ainsi, qui était capable de mourir sans accuser personne, sans maudire personne, sans faire de comparaisons, co
mme un ange ».

Devant le témoignage des saints qui nous montrent « une voie plus grande », celle de la charité, raison et foi acquièrent une force persuasive encore plus contraignante, de sorte que les principes non négociables apparaissent comme réellement dotés de cette vérité, de cette bonté et de cette beauté que rien ni personne ne pourra renier.

Et c’est la dernière pensée que je désire partager avec vous, chers amis, ou plutôt une prière : que le Seigneur donne et multiplie les saints, protecteurs et amis de la vie, témoins et donc maîtres. Ils sont, et ils seront toujours le discours le plus convaincant pour que les principes non négociables redeviennent le fondement d’une vie humaine plus juste et pacifique pour tous et pour chacun ; pour construire stablement cette civilisation de l’amour, où tout homme, depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle, sera respecté et honoré pour sa dignité inaliénable. 

Traduction d’Hélène Ginabat

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Enrico dal Covolo

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