Les moines de Thibirine: "Comme des fleurs dans le désert"

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Catéchèse de Mgr Schockert

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CITE DU VATICAN, Vendredi 26 juillet 2002 (ZENIT.org) – Mgr Schockert évoque le témoignage des sept moines trappistes de Notre Dame de l’Atlas, à Thibirine, en Algérie, assassinés en 1996. « Avec un groupe de neuf prêtres de mon diocèse lorrain d’origine, j’ai passé quatre jours auprès de ces moines en janvier 90. C’était notre manière à nous de fêter nos 25 ans de sacerdoce. Avec nous, Mgr Pierre Claverie fêtait également ses noces d’argent. Il était évêque d’Oran et a été lui-même assassiné en 96 devant son évêché.

A cette époque, la question de la sécurité des moines se posait.
Un de mes confrères leur disait : « Mais, vous devriez repartir en France et revenir lorsque le calme sera revenu ! Et puis, ici, vous êtes perdus, au milieu des musulmans… Vous pourriez faire toute autre chose ! »
J’entends encore la réponse des moines, après un temps de silence, pour savoir lequel allait prendre la parole :
– « ici, nous sommes comme des fleurs dans le désert ; elles poussent dès que la pluie mouille u peu la terre et elles disparaissent aussitôt – personne ne les voit, elles sont là pour la gloire de Dieu et cela suffit »
– « La question de notre départ se pose. A chaque fois que nous votons à bulletin secret pour savoir si on prend la décision de partir ou de rester, les bulletins disent à 7 voix sur 7 : nous restons » pour être signe de l’amour de Dieu, ici, tout simplement ».
Vous connaissez la suite : ils ont fait la une des journaux de par le monde et provoqué l’émotion de beaucoup. Ils étaient Sel de la terre ! »

Voici le texte complet de la catéchèse de Mgr Schockert, évêque de Belfort-Montbéliard (cf. http://www.jmjdirect.org). Une catéchèse sous forme de « diapositives » choisies.
Thème : Vous êtes le sel de la terre
Mercredi 24 juillet 2002

Il nous faut fonder une telle affirmation de part de Jésus. C’est pourquoi je vous propose d’entrée de jeu de nous remettre tout d’abord devant la scène du baptême de Jésus par Jean le Baptiste sur les bords du Jourdain.

C’est une première diapositive devant laquelle je vous propose de nous placer, pour la garder en mémoire et fonder tout ce que nous entendrons aujourd’hui et ces jours-ci.

Jésus, sur les bords du Jourdain « vit le ciel se déchirer » et « l’Esprit descendre sur lui comme une colombe »
Jésus sait à ce moment précis, dans sa conscience d’homme, qu’il est le Fils bien aimé du Père ; qu’en lui, Dieu le Père a mis tout son amour.
Nous assistons là au dévoilement de la vie divine par le témoignage même de la voix de Dieu.
C’est ainsi que s’inaugure de manière visible l’alliance éternelle que le Seigneur promettait de faire avec l’humanité.
Et déjà s’annonce la conclusion de cette alliance : Jésus comparera lui-même sa passion au baptême définitif qu’il aura à recevoir : le baptême de sang, après le baptême de l’eau, sous la motion de l’Esprit-Saint.

Je vous invite, chers amis, à accueillir cela, comme une source de foi en Jésus.
Il est si fréquent de se tromper au sujet de Jésus, de l’imaginer simplement comme un homme merveilleux, plein de sagesse et de générosité, mais en oubliant que par lui, en lui, Dieu lui-même se révèle.

Le baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain nous entraîne tout naturellement à évoquer notre propre baptême. : notre communion de vie avec Jésus-Christ dans l’Esprit.

Deuxième diapositive : notre baptême, que nous ayons été baptisés tout petits ou à l’âge adulte.

Sur nous aussi, les baptisés, l’Esprit veut descendre.
De nous aussi, les baptisés, la voix du ciel veut dire : « tu es mon fils bien aimé, en toi j’ai mis tout mon amour ».
Le réalisme des promesses de Dieu va jusque-là : nous introduire dans une réelle participation à sa vie, à titre de fils adoptifs, frères de Jésus.
Cette image et cette ressemblance sont plus désormais qu’une configuration à un modèle extérieur à nous.
Cette image et cette ressemblance sont le fruit en nous d’un germe divin, la vie du Christ en nous.
Notre vocation de baptisés, c’est de donner corps à Dieu.
Cela peut paraître un blasphème. Nos pensées sont tellement loin des pensées de Dieu et nos chemins sont tellement loin des chemins de Dieu !
Et pourtant, Dieu veut nous engendrer comme ses fils.
Ce n’est pas un blasphème, c’est la bonne nouvelle.
Alors nous comprenons pourquoi Jésus nous dit « vous êtes le sel de la terre ».

Quand Jésus nous dit : « vous êtes le sel de la terre… » c’est un très beau compliment qu’il nous fait.
En effet,
L’image du sel dans la bible est toute chargée de sens :

• le sel, c’est ce qui donne la saveur, le goût à toute nourriture.
• Le sel, c’est ce qui nettoie et conserve dans la pureté.
Donner du goût à la vie, au monde, à la création, en particulier à la création humaine, en l’empêchant de se corrompre et de devenir pourriture.
Dans notre monde, il y a tant de morosité, tant de gens blasés, le sel, c’est la santé, et c’est le goût de vivre.
• Le sel, c’est comme le symbole de la sagesse par quoi la vie est droite et
vraiment réussie, devant Dieu et devant les autres.

En somme, Dieu prend goût à la terre à cause de ses enfants que nous sommes… et les humains trouvent la vie savoureuse et bonne à cause de notre vie.

« Vous êtes le sel de la terre »
Dans votre prière vous pourriez réentendre ces paroles prononcées par Jésus, vous les dire à vous-même à haute voix et chercher à sentir sur quel ton le Seigneur vous les dit !
(c’est un bon exercice classique de prière).
Et puis, il faudrait aussi vous demander ce que cela veut dire concrètement ces compliments.
Pour que la lucidité sur nos limites nous entraîne à chercher à demeurer en communion de vie avec Jésus, et nous entraîne à accomplir sa volonté.

Une troisième diapositive à contempler : la foule des disciples assis sur la montagne autour de Jésus, à qui Jésus révèle qu’ils sont sel de la terre et lumière du monde lorsqu’ils vivent l’idéal des béatitudes.
« Heureux les pauvres, les doux, les purs, les artisans de paix, les miséricordieux ».
Ce sont eux qui portent la réalité de ce monde.
Par delà toutes les atrocités de notre monde dont la télévision met à notre portée à chaque instant, derrière le pauvre décor de ce monde, il y a ceux que nous oublions souvent, les pauvres selon le cœur de Dieu, les petits, les humbles, ceux que le Seigneur aime tout particulièrement.

En vous disant cela, je pense à deux rencontres précises qui m’ont marqué.

• Les 7 moines trappistes de Notre Dame de l’Atlas, à Thibirine, en Algérie. Ils ont été assassinés en 1996. Avec un groupe de neuf prêtres de mon diocèse lorrain d’origine, j’ai passé quatre jours auprès de ces moines en janvier 90. C’était notre manière à nous de fêter nos 25 ans de sacerdoce. Avec nous, Mgr Pierre Claverie fêtait également ses noces d’argent. Il était évêque d’Oran et a été lui-même assassiné en 96 devant son évêché.
A cette époque, la question de la sécurité des moines se posait.
Un de mes confrères leur disait : « Mais, vous devriez repartir en France et revenir lorsque le calme sera revenu ! Et puis, ici, vous êtes perdus, au milieu des musulmans… Vous pourriez faire toute autre chose ! »
J’entends encore la réponse des moines, après un temps de silence, pour savoir lequel allait prendre la parole :
– « ici, nous sommes comme des fleurs dans le désert ; elles poussent dès que la pluie mouille u peu la terre et elles disparaissent aussitôt – personne ne les voit, elles sont là pour la
gloire de Dieu et cela suffit »
– « La question de notre départ se pose. A chaque fois que nous votons à bulletin secret pour savoir si on prend la décision de partir ou de rester, les bulletins disent à 7 voix sur 7 : nous restons » pour être signe de l’amour de Dieu, ici, tout simplement ».
Vous connaissez la suite : ils ont fait la une des journaux de par le monde et provoqué l’émotion de beaucoup. Ils étaient Sel de la terre !

Une toute autre rencontre tout récemment : une jeune femme, Myriam, mère de deux garçons, de votre âge. Femme d’ingénieur. Elle est handicapée depuis 8 ans. Seule, sa tête peut bouger. Dans son fauteuil roulant, elle ne peut faire aucun geste. Ses bras et ses mains sont inutilisables.
Son frère lui a installé un ordinateur PC. Avec un casque et un tuyau souple proche de sa joue droite, elle fait fonctionner en bougeant la tête, la souris sur son écran.
Le temps libre qui lui reste dans une journée, après les soins quotidiens multiples, elle le passe à travailler par internet des documents sur St Bernard ou Ste Thérèse de l’Enfant Jésus. Elle a appris à prier les psaumes sur son écran.
Au début de sa maladie, elle avait regardé du côté du bouddhisme. Mais elle reconnaît avoir eu beaucoup de mal à prier Bouddha.
Alors elle s’est tournée vers le christianisme, demandant à un prêtre de l’accompagner.
C’est une femme d’une grande qualité spirituelle.
Elle me confiait lorsque je l’ai rencontrée chez elle que son mari était parti avec son infirmière, il y a quelques années.
Le jour de leur mariage civil, elle a écrit à son mari pour lui dire simplement : « tout homme a droit de chercher à être heureux et de prendre les moyens qu’ils jugent bons ». « Cela m’a été dur d’écrire cela, mais il fallait que je le fasse ».

Sel et levain disent une présence cachée.

Les béatitudes nous apparaissent en pleine lumière, lorsque nous nous familiarisons avec l’évangile, puisqu’elles récapitulent toute la vie du Christ ;
elles révèlent toute la vérité de son existence terrestre qu’il nous invite à partager en plénitude quand il nous demande de la suivre, jusqu’au détachement, jusqu’à la croix, jusqu’à la résurrection : « ils verront Dieu »

La pauvreté au sens évangélique du terme, est donc une attitude spirituelle fondamentale. Elle est la décision de mettre sa sécurité et son espérance non dans ce que nous possédons immédiatement, mais seulement dans ce que nous croyons de Dieu. Nous ne nions pas les réalités matérielles, pas plus que le Christ ne les a niées.

Nous les ordonnons seulement autrement, afin qu’elles deviennent des moyens concrets pour vivre l’amour des autres, des moyens qui nous préservent d’être défigurés par la réduction de nos désirs à n’être que des objets de consommation, donc dénaturés de notre valeur essentielle.
Tout autant que la pauvreté des pauvres défigure en eux l’image de Dieu, car c’est en elle qu’est leur dignité humaine, qui est la nôtre.

Cette dignité de nous-mêmes que le Christ est venu restaurer, nous devons aussi la restaurer dans nos frères par notre lutte contre leur pauvreté.

Il s’agit, vous le savez bien, de partage, d’accueil et de disponibilité envers les autres, nos semblables, en particulier les pauvres.
Il y a fort à faire en ce domaine, nous le savons.
Les chrétiens sauront-ils être à la pointe du combat contre cette recrudescence actuelle de la misère ?
Il s’agir du bonheur de l’homme… Il s’agit en même temps du bonheur de Dieu…
Que le monde ne s’enfonce pas dans le mal, mais ne cesse d’en émerger, voilà notre grâce.

Cinquième diapositive : vous-mêmes, dans cette foule.

Mardi dernier, dans le hall des départs à l’aéroport de Roissy, un journaliste et son photographe ont passé du temps au milieu des groupes qui attendaient l’heure de l’embarquement. Les journalistes ont interviewé des jeunes de Franche Comté, de Créteil, St Denis, du Burkina… Au photographe à qui je demandais s’il avait pu faire de beaux clichés, il m’a répondu ceci : « Les clichés, oui, bien sûr ; mais le plus beau de tous, c’est ce que je viens de découvrir : des jeunes heureux de partir pour Toronto ; j’ai été impressionné par leur confiance, leur joie, leurs motivations, leur simplicité. Je constate avec plaisir que la jeunesse n’est pas fichue ».

Cela, c’est votre grâce.
Et l’on peut penser ici à ce que disait Paul à ses chrétiens de Corinthe : « Frères, considérez votre appel : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, i beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens bien nés ; mais, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages, ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; (I Cor 26).
Nous dépendons les uns des autres, nous sommes pris les uns dans les autres pour donner cette saveur à notre humanité
Que vous vous trouviez opaques ou poussifs ou que vous ayez une bonne opinion de vous-mêmes… ce n’est pas défendu… c’est le Seigneur qui est sel de la terre.
Alors, prenez la main que vous tend le Christ, et dans le dynamisme, la puissance de l’Esprit dont il vous fait don, découvrez avec lui et tous ceux qui, avant vous, ont mis leurs pas dans ses pas :
• Qu’il n’y a de vie belle et réussie qu’une vie donnée par amour.
• Que la vraie grandeur s’exprime par le service, le sens de la dignité, de la liberté, de la grandeur des autres.
• Et que ce service n’hésite pas devant les risques à prendre pour la guérison, la délivrance de ceux qui sont prisonniers du mal et de la souffrance sous toutes ses formes.
Vies belles, vies donnée ! Ce ne sont pas pour moi des mots, ce sont des visages, rayonnant de liberté, de vérité, qui éclairent ma route.
• Celui de Jésus d’abord, qui ce matin, nous attire, nous séduit.
• Celui de Marie, totalement oublieuse d’elle-même, dont la vie est tout entière dans le oui jamais repris de Nazareth
• Celui de tous ceux et celles qu’on appelle les saints et à travers lesquels continue de rayonner le visage du Christ.
• Celui de tous les êtres savoureux qui ont marqué votre existence
• Vous- mêmes, lorsque par votre vie, vos réactions, vos regards, vos efforts vous font à certaines heures, sel de la terre, témoins de la gloire de Dieu pour d’autres.
Nul plus que Dieu ne veut la grandeur de l’homme, sa vie, sa liberté, sa joie.
Et personne n’est allé aussi loin que lui pour ce service de l’homme puisqu’il est allé jusqu’à donner sa vie sur la Croix pour ouvrir ce chemin de liberté, de résurrection.
Il est urgent pour la pleine réussite de notre vie à la manière de Jésus-Christ, mais aussi pour l’espérance du monde dans lequel nous vivons, de retrouver ce sens, ce goût du service.
Dans les relations affectives, celles du travail, de la vie sociale, comment ne pas avoir souvent l’impression d’un être humain utilisé comme un objet pour le plaisir, la production, la recherche scientifique, l’exercice du pouvoir et, par voie de conséquence, d’un être humain rejeté après usage, abandonné à la solitude de vieillard, de malade, de chômeur ?
Dans l’organisation de la vie sociale à travers le monde, comment ne pas souffrir de toutes les situations et de tous les régimes où l’homme domine sur l’homme, où l’homme est victime de l’homme jusqu’à la torture, la prison, l’exil ?
Oui, il est urgent de retrouver avec le Christ et avec lui la passion du service de l’homme, de tous les hommes.
Pour un tel service, pour être ce « sel de la terre », il ne faut pas se laisser arrêter par le péché qui défigure les visages et ferme les cœurs.
Dieu nous a rejoints par Jésus-Christ dans notre condition
de pécheurs. « Descendant chez toi, dit St Augustin, il n’a pas dédaigné de s’asseoir à ta table telle qu’elle était et il t’a promis la sienne ».
Nous ne pouvons devenir ses disciples sans nous engager avec lui dans cette attitude de miséricorde, de pardon et de réconciliation.
Aucune vie donnée par amour pour Dieu et pour les autres ne peut persévérer sans passer par l’épreuve de la croix, c’est-à-dire par le cœur qui reste ouvert aux autres, à travers l’incompréhension, l’indifférence, l’ingratitude, le rejet, la haine quelquefois. C’est dans ces moments-là que l’amour donne sa pleine mesure.
Oui, n’hésitez pas, prenez la main de Jésus vous tend et avec lui, prenez le grand risque de l’amour, du service, du pardon.
Il n’y a pas d’autre chemin pour réussir sa vie et faire vraiment réussir le monde avec Dieu.
Il ne s’agit pas de parader, ne de se croire, mais de vivre le présent en vérité, avec au cœur la tendresse de Dieu, au milieu de notre monde.
A nous, disciples du Christ, d’être des témoins vivant de cette espérance qui donne une saveur nouvelle à la vie : »Vous êtes le sel de la terre. »
Par sa présence discrète, le sel équilibre et met en valeur les goûts spécifiques et différents de ce qu’il accompagne.

24/07/2002
Mgr Shockert, Evêque de Belfort-Montbéliard

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ZENIT Staff

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