Les malentendus sur le dialogue interreligieux (II)

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Entretien avec Ilaria Morali, spécialiste en théologie de la Grâce

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ROME, Mercredi 19 janvier 2005 (ZENIT.org) – Nous chrétiens devons retrouver notre propre identité « pour donner ensuite plus de vigueur et de sens à nos initiatives et à nos ‘colloques’ avec les personnes d’autres religions ».

C’est ce que déclare Ilaria Morali, spécialiste en théologie de la grâce, professeur chargée de théologie dogmatique à la Faculté de Théologie de l’Université pontificale grégorienne.

Nous publions ci-dessous la deuxième partie de l’entretien qu’elle a accordé à Zenit. La première partie a été publiée dans le bulletin d’hier mardi (cf. Zenit, 18 janvier)

Zenit : Pourquoi le dialogue interreligieux ne peut-il pas être assimilé à ce qui se passe dans le domaine œcuménique ?

I. Morali : La raison est plutôt simple, également si l’on se base sur les éclaircissements que nous venons d’apporter : le dialogue œcuménique intervient dans un cadre entre chrétiens, entre des croyants de confessions différentes mais unis dans la foi en Jésus-Christ. Ce type de dialogue vise ou devrait viser à parvenir à la recomposition de l’unité des chrétiens (qui n’existe pas encore) dans l’unité catholique (qui existe déjà dans l’Eglise catholique).

Le dialogue interreligieux est une relation qui s’instaure entre des chrétiens catholiques et des membres d’autres religions. Il n’y a pas d’unité de certains éléments de foi comme base de départ pour ce genre de relations. La superposition entre dialogue interreligieux et dialogue œcuménique est du reste une tentation très répandue, liée également au manque de clarté des idées au sein de nos communautés. L’on devrait en revanche expliquer la distinction qui existe entre les deux démarches.

Paul VI indique une condition qui est une exigence commune aux deux formes de dialogue : la conscience de la propre identité chrétienne. Si en tant que catholiques nous oublions la conscience de notre identité face à un frère protestant, nous tombons dans la même erreur que ce fidèle qui, souhaitant dialoguer avec un musulman, est disposé à relativiser son propre credo.

Un ami musulman me disait récemment : « Nous voulons dialoguer avec des catholiques d’une seule pièce, pas avec des personnes à moitié catholiques. De mon point de vue de musulman, un catholique qui renonce à quelques aspects fondamentaux de sa foi pour dialoguer, est comme un mauvais musulman qui n’observe pas le Coran. Le dialogue peut avoir lieu si l’on a le courage de sa propre identité. Comment pourrions-nous connaître vraiment votre foi si vous niez par exemple l’unicité du Christ ? »
Cela me semble une considération très sensée qu’il serait utile de rappeler y compris au sein de certains mouvements catholiques qui s’érigent en partisans du dialogue interreligieux.

Zenit : Ne vaudrait-il pas mieux parler de colloqui, dans le sens latin de ‘colloquium’, plutôt que de dialogue ?

I. Morali : Le texte latin de l’encyclique parle de colloquium, terme traduit dans les traductions du document et dans les discours en langue italienne de Paul VI sur l’encyclique par « dialogue ». Avec le recul, je pense qu’il aurait été plus opportun et prudent que soit maintenu le terme originel, non seulement parce que le terme de dialogue a connu dans l’histoire une longue gestation de sens et d’applications très diverses et ambigus, mais également parce qu’aujourd’hui c’est un terme très employé, souvent utilisé en politique, en philosophie, en sociologie etc..…, très souvent pour relativiser la vérité ou la nier. L’on dialogue – c’est l’opinion de beaucoup – parce que personne ne peut avoir la prétention de connaître la vérité. Transposant ce raisonnement dans le domaine chrétien, le risque concret et tangible dans de nombreuses publications et discours, est de relativiser la valeur unique de la vérité du salut en Jésus Christ. Ce n’est pas cela l’enseignement du magistère.

Zenit : Vous distinguez, comme l’explique la Dominus Iesus, deux niveaux de dialogue, le niveau personnel et le niveau doctrinal. En quoi consistent-ils et pourquoi furent-ils mal accueillis quand cette déclaration a été publiée ?

I. Morali : Je voudrais préciser avant tout qu’actuellement il n’existe pas de dialogue christianisme-religions non chrétiennes. La possibilité d’un tel dialogue n’existe pas à cause du fait que ni l’hindouisme, ni le bouddhisme, ni l’islam ne constituent chacun une unité présidée par une autorité de référence. Il existe des bouddhismes, des islams, des hindouismes très différents les uns des autres, même si certains éléments distinctifs les unissent. L’on porterait préjudice à cette diversité, parfois radicale, si l’on considérait une religion donnée, indifféremment, sous une unique dénomination.

Il est possible en revanche de se confronter à des membres individuels appartenant à l’une ou l’autre des traditions dépendant d’une religion donnée. Je ne crois pas par conséquent que des congrès interreligieux à grande échelle soient un reflet fidèle du dialogue interreligieux. Le dialogue se construit à travers un contact personnel, dans un climat d’intimité et de sympathie, et non dans un rassemblement immense. C’est ce que j’ai appris en rencontrant des catholiques engagés dans le dialogue, m’étant parfois moi-même également trouvée confrontée à des croyants d’autres religions.

Cela dit, une confrontation entre chrétiens et membres d’autres religions peut avoir lieu à deux niveaux :
Sur des thèmes sociaux, politiques, par exemple lorsqu’on s’interroge sur le rôle joué par les religions dans un processus de paix et d’humanisation du monde.
Sur des thèmes relatifs aux doctrines religieuses. Par exemple le contenu du salut selon les doctrines religieuses respectives. C’est là que « Dominus Iesus » introduit l’idée que si, sur le plan des personnes en tant que personnes, les partenaires du dialogue possèdent tous la même dignité, on ne peut pas en dire autant pour ce qui concerne les doctrines. Si nous sommes catholiques, il y a un décalage nécessaire entre le message chrétien et le message non chrétien.

Un exemple peut peut-être aider. Il y a quelques années, je me suis retrouvée avec quelques amis dans la maison d’un bonze japonais âgé. Nous avons longuement confronté le salut proposé dans le bouddhisme de la Terre Pure avec celui du Christ. Puis le bonze nous a dit : « Je suis et resterai bouddhiste mais je dois admettre que le contenu du salut proposé par le Christ est d’un niveau qualitativement supérieur à celui proposé par ma Tradition. L’élévation proposée à l’homme par la Rédemption du Christ est bien au-dessus de celle qui est décrite dans le bouddhisme. Le Christ me pose des questions auxquelles je suis difficilement en mesure de répondre en me basant sur ma tradition ».

Ces jours derniers j’ai entendu le témoignage d’un missionnaire en Indonésie. Il racontait qu’à la radio les journalistes musulmans affirment que le cataclysme du 26 décembre est à considérer comme un châtiment de Dieu. Dans la vision chrétienne Dieu est un Père miséricordieux et les catastrophes naturelles sont l’expression d’une nature qui n’est pas encore totalement dominée par l’homme. Le missionnaire racontait que face à cette explication certains de ses amis musulmans s’étaient sentis presque encouragés. Mais encore une fois, la différence n’est pas au niveau des personnes mais des doctrines.

Le fait que « Dominus Iesus » ait été mal accueilli par certains milieux du monde catholique ne doit pas étonner. Cela a été un fait physiologique : il n’y aurait pas eu de raison d’écrire un tel document
si de vastes secteurs du catholicisme d’aujourd’hui n’avaient perdu de vue la beauté et la grandeur du message chrétien.

« Dominus Iesus » reprend d’une certaine manière, le même avertissement lancé par Paul VI dans « Ecclesiam Suam », quand il met en garde les fidèles contre la tentation de perdre le sens et la valeur du don reçu à travers le baptême et la foi catholique.

Derrière le rejet relatif aux contenus de « Dominus Iesus », l’on perçoit de manière plus générale le refus de l’autorité doctrinale du magistère, de la valeur normative de la Tradition, du principe de l’unicité du salut dans le Christ. Tous les piliers du catholicisme. Le dialogue interreligieux ne peut jamais être conçu comme une action à travers laquelle le chrétien prendrait connaissance d’aspects de la Révélation, ou, même, d’autres révélations divines parallèles à la révélation chrétienne. Celui qui affirme cela a non seulement à l’esprit une définition non catholique du dialogue qui sort de la définition tracée à merveille par le Magistère de Paul VI, mais de plus il ne reconnaît pas à la Révélation en Jésus-Christ ce caractère d’unicité qui est en revanche au cœur même de la foi chrétienne.

A mon avis, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a accompli un geste courageux, même au prix d’une certaine impopularité, en venant rappeler des principes qui ne peuvent être mis de côté. Du reste, comme croyante, si je perdais de vue qui je suis et ce que j’ai reçu comme une grâce, je pourrais donner naissance à mille initiatives de dialogue, aucune desquelles pourtant ne reflèteraient la conception catholique.

Cela doit nous amener à nous demander si, quarante ans après la publication d’Ecclesiam Suam, l’heure n’est pas venue de relire la première partie de l’enseignement d’Ecclesiam Suam sur la conscience de l’identité chrétienne. En nous tournant vers l’autre, nous avons perdu quelque peu le barycentre de notre vie. Ma ferme conviction est que nous devons retrouver cet équilibre en nous et dans nos communautés pour donner ensuite plus de vigueur et de sens à nos initiatives et à nos ‘colloques’ avec les personnes d’autres religions.

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ZENIT Staff

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