Les deux clefs de l'Orient et de l'Occident

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Troisième prédication du P. Cantalamessa

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La diversité entre Orient et Occident chrétiens est « une richesse », « comme si Dieu avait fait deux clefs pour avoir accès au mystère chrétien dans sa totalité et qu’il en ait donné une à la chrétienté orientale et l’autre à la chrétienté occidentale, afin qu’aucune des deux ne puisse ouvrir et accéder au mystère sans l’autre », souligne le P. Cantalamessa.

Le P. Raniero Cantalamessa, capucin, prédicateur de la Maison pontificale, a prononcé sa troisième prédication de carême sur le thème « Orient et Occident face au mystère de la personne du Christ », ce vendredi 13 mars 2015, dans la chapelle Redemptoris Mater du Vatican, en présence du pape et de la Curie romaine.

Les deux voies de connaissance du Christ

Étudiant les racines bibliques du discours sur Jésus, il a constaté dans le Nouveau Testament « deux voies différentes dans la manière d’exprimer le mystère du Christ » : celle de saint Paul et celle de saint Jean.

La voie de Paul « part de l’humanité pour rejoindre la divinité du Christ, part de l’histoire pour arriver à la préexistence; c’est donc une voie ascendante qui suit l’ordre dans lequel le Christ s’est manifesté et les hommes l’ont connu, non l’ordre de l’être ». Cette voie « a pour centre le mystère pascal, soit l’œuvre du Christ avant même sa personne. La résurrection des morts est le grand tournant entre les deux phases de l’existence du Christ ».

La voie de Jean « part de la divinité, pour arriver à l’humanité » : « le schéma est inversé : non pas l’humain, le visible d’abord et après le divin et l’invisible, mais le contraire. Jean se place du point de vue de l’être, non de la manifestation du Christ par rapport à nous ». Dans cette vision, « c’est l’incarnation et non la résurrection ou le mystère pascal qui constitue la grande ligne de partage, le pivot autour duquel tourne toute l’histoire du Christ ».

« La synthèse entre les deux christologies a lieu au concile œcuménique de Chalcédoine en 451 », rappelle le P. Cantalamessa : « Le mystère du Christ y est en effet formulé deux fois et de deux manières différentes : d’abord, à la manière de Jean, en partant de l’affirmation d’unité pour arriver à la celle de la distinction («un seul même Christ, Seigneur et Fils unique, reconnu en deux natures»); puis, à la manière de Paul, en partant de la distinction des natures pour arriver à l’affirmation de l’unité («la propriété de l’une et l’autre nature étant sauvegardée, elles concourent à former une seule personne et une seule hypostase»). »

S’il y a « une unique foi en Jésus Christ, commune à l’Orient et à l’Occident » – qui n’ont pas de « divergences doctrinales significatives dans la doctrine sur le Christ » – cependant dans leur spiritualité, « l’Église orientale a privilégié le Christ de Jean, avec la centralité de l’incarnation, de la divinité du Christ ; l’Église occidentale a privilégié le Christ de Paul, avec l’humanité du Christ et le mystère pascal », a souligné le P. Cantalamessa.

Dans l’art par exemple, « le Christ Pandokrátor, le Christ en gloire, est l’image la plus caractéristique du Christ orthodoxe… c’est le Christ de Jean, pour qui la croix représente le moment de l’»exaltation» (Jn 12, 32) » ; en Occident, « l’image qui caractérise le Christ est le crucifix… C’est le Jésus crucifié de Paul, devenu sur la croix «péché» et «malédiction» pour nous (cf. Gal 3, 13). »

Le P. Cantalamessa voit cette diversité « comme une richesse », « comme si Dieu avait fait deux clefs pour avoir accès au mystère chrétien dans sa totalité et qu’il en ait donné une à la chrétienté orientale et l’autre à la chrétienté occidentale, afin qu’aucune des deux ne puisse ouvrir et accéder au mystère sans l’autre » : « du Christ latin, pris isolément, peut naître une conception trop historique, terrestre et humaine de l’Église, et du Christ orthodoxe une conception trop eschatologique, désincarnée et insuffisamment attentive à ses devoirs historiques ».

Eros et agape, deux amours inséparables

Dans le contexte de l’Année de la vie consacrée, le prédicateur a conclu en méditant sur les conceptions de l’amour, qui « souffre d’une séparation néfaste » : « Dans le monde nous trouvons, souvent, un eros sans agapè; et parmi les croyants, une agapè sans eros », a-t-il fait observer.

Mais ces deux amours ont besoin l’un de l’autre : « l’eros sans agapè est un amour romantique, le plus souvent passionnel, qui peut même aller jusqu’à la violence ; un amour de conquête, qui réduit fatalement l’autre à un objet pour son propre plaisir et ignore tout de la dimension de sacrifice, de fidélité et du don de soi, c’est-à-dire l’agapè. »

« L’agapè sans eros est un amour «froid», c’est aimer seulement avec sa tête, sans faire participer tout l’être ; c’est agir sous l’emprise de la volonté bien plus que sous l’impulsion intime du cœur; c’est se couler dans un moule préfabriqué, au lieu de s’en créer un pour soi, unique, comme est unique chaque être humain devant Dieu. »

Par conséquent, ajoute le P. Cantalamessa, « l’amour vrai et intégral est une perle renfermée entre deux valves que sont l’eros et l’agapè. On ne peut séparer ces deux dimensions de l’amour sans le détruire » : « l’amour de Dieu n’est pas seulement pardon, miséricorde, don de soi ; il est aussi passion, désir, jalousie ; un amour paternel et maternel, mais également conjugal ».

« Dieu nous désire, nous donne presque l’impression de ne pouvoir vivre sans nous. Le Christ veut donc que l’amour de ses consacrés pour lui soit comme ça… Le vœu de chasteté ne consiste pas à renoncer à se marier, mais à préférer un genre de mariage plutôt qu’un autre, à se marier avec «le plus beau des fils de l’homme». «Est chaste celui qui chasse l’eros avec l’eros», écrit saint Jean Climaque – l’amour d’un homme ou d’une femme avec l’amour pour le Christ ».

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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