Les croyants, « prophètes » de l’espérance, par le cardinal Tauran

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Pas de « fatalité » de l’histoire

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ROME, Vendredi 29 février 2008 (ZENIT.org) – « Les croyants sont les ‘prophètes’ de l’espérance ! Ils ne croient pas en la fatalité de l’histoire », affirme le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, à l’occasion de la rencontre avec les autorités musulmanes de Al-Azar, au Caire, le 27 février. Voici le texte intégral de son intervention.

LES CROYANTS DANS LA SOCIETE D’AUJOURD’HUI

Le Caire, 27 février 2008

Centre Saint Joseph – Salle du Nil

Chers amis,

Il m’est particulièrement agréable de me trouver parmi vous ce soir, au cœur de la capitale de votre grand pays, carrefour de civilisations et de religions, où, depuis des siècles, chacun apprend chaque jour à vivre ensemble sous le regard de Dieu !

Depuis le mois de juin dernier, le pape Benoît XVI m’a confié la responsabilité du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, à la tête duquel m’ont précédé d’illustres prélats soucieux de la rencontre des cœurs et du respect des convictions de chacun. L’un d’entre eux n’est autre que le Représentant du pape en Egypte, le Nonce Apostolique, Mgr Michael Fitzgerald, que je salue cordialement. Je m’efforcerai, durant les années à venir, de faire fructifier le mieux possible l’héritage que j’ai reçu d’eux !

Je suis heureux que mon premier voyage officiel en dehors de Rome ait lieu au Caire où les chrétiens sont présents depuis les premiers temps du christianisme à côté de leurs compatriotes de religion musulmane. Les uns et les autres – les uns AVEC les autres – ils sont appelés à tisser, jour après jour, la magnifique tapisserie de la rencontre et du dialogue !

Et si je suis ici, ces jours-ci, c’est justement pour continuer et renforcer ce climat de bonne entente interreligieuse. Chaque année, se réunit en effet, une fois au Caire et une fois à Rome, le « Comité mixte pour le Dialogue ». C’est ainsi que nous avons bénéficié, ces jours derniers, d’échanges profitables avec le « Comité Permanent d’al-Azhar pour le Dialogue avec les Religions monothéistes » constitué dans ce but.

Ce soir, je voudrais partager avec vous quelques convictions sur la signification de la présence des croyants dans la société. Nous n’avons pas à douter ni de notre identité, ni de notre place dans la société où nous vivons et dont nous sommes citoyens à part entière. Là où se trouvent des croyants, sous quelque latitude que ce soit, là se trouve pour eux le meilleur endroit pour vivre: c’est là que Dieu les a plantés pour qu’ils portent du fruit ! Croyants et société. Dialogue entre croyants. Voilà des thèmes d’actualité !

C’est un fait: la Religion intéresse ! Je suis toujours agréablement surpris de constater le grand nombre de magazines et de livres traitant de sujets religieux offerts par les kiosques des aéroports. Il y a seulement dix ans, il n’en était pas ainsi, du moins en Europe. Certes Dieu n’avait pas disparu. Mais il n’était pas convenable de montrer que l’on croyait en Lui. Etre croyant relevait de la sphère privée.

LE RETOUR DU RELIGIEUX

Pourquoi les choses ont-elles changé?

= Parce que notre monde est devenu de plus en plus précaire à cause de vieux et de nouveaux conflits armés qui affectent tant de peuples et il faut bien trouver des raisons d’espérer.

= Parce que le matérialisme et la course à l’argent posent le problème du sens de la vie et de la mort. Avoir toujours plus, oui, mais dans quel but ?

= Parce que les progrès des sciences et de la technique posent de plus en plus une question grave: va-t-on pouvoir maîtriser leurs innovations ?

= Parce que, dans beaucoup de pays où tous les comportements sont permis, de plus en plus de jeunes sont à la recherche de repères moraux.

= Parce que certains croyants dévoyés ont utilisé leur religion pour justifier des actions terroristes: la religion ainsi comprise fait peur !

= Ou tout simplement, parce que la personne humaine possède par nature une dimension religieuse. Nous connaissons les paroles inspirées d’Augustin d’Hippone qui louait Dieu parce que, écrivait-il, « tu nous as créés pour toi, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi » (S. Augustin, Les Confessions, chap. 1).

La permanence du sentiment religieux dans l’histoire de l’humanité est un fait. Arnold Toynbee l’a bien démontré: la religion n’est pas un moment particulier de l’histoire; elle est une des composantes de la nature humaine, une dimension constitutive de son être. Depuis que l’homme est sur terre, il n’a cessé d’interroger le ciel.

Les impressionnants vestiges de la vallée du Nil en témoignent éloquemment ! Il n’y a pas de civilisation sans religion !

L’INTERRELIGIEUX

Mais, une autre « nouveauté » est à signaler: c’est la réalité universelle de l’« inter-religieux ». A de rares exceptions près, toutes les sociétés accueillent des croyants de toutes convictions.

Pratiquement toutes les sociétés sont devenues pluri-religieuses. Ce qui me fait dire que nous sommes tous « condamnés» au dialogue !

Où que nous vivons, nous sommes toujours des croyants parmi d’autres croyants !

Depuis le Concile Vatican II (1962-1965), les papes qui se sont succédés ont encouragé le dialogue entre le christianisme et les autres religions, invitant au respect des convictions mutuelles et au respect de ce que Dieu ne cesse de réaliser dans le cœur de chacun. Cela, non pas pour dire: « toutes les religions se valent ». Non ! Mais pour dire : « tous les chercheurs de Dieu ont la même dignité ». En outre, parce que les êtres humains ont été créés libres de chercher Dieu et d’adhérer à lui, ils doivent être libres de faire ou ne de pas faire le choix de Dieu.

Ainsi les croyants sont passés petit à petit de la rencontre au dialogue:

le dialogue de la vie qui consiste à partager nos joies et nos peines avec les adeptes d’autres religions; le dialogue des œuvres qui nous fait collaborer au bien-être des uns et des autres, surtout de ceux qui vivent la pauvreté ou la maladie; le dialogue des échanges théologiques qui permet de mieux comprendre nos héritages religieux; le dialogue des spiritualités qui met à la disposition des uns et des autres la richesse de leur vie de prière ou de contemplation.

Vous en conviendrez avec moi, je me demande si nous avons pris la mesure de la fécondité de tous ces efforts ? Nous avons devant nous un vaste chantier. Mais, je crois que les Chefs religieux chrétiens et ceux des autres religions ont compris que le dialogue interreligieux (auquel nous sommes « condamnés » comme je disais tout à l’heure), consiste à se regarder, à s’écouter, à se connaître pour pouvoir échanger sur des questions sur lesquelles nous avons des avis différents, dans le but d’apprendre un peu plus des uns et des autres.

Le préfixe « dia » signifie « à travers »; ce qui veut dire que le dialogue est une parole qui se laisse traverser par une autre !

Il est clair que des croyants qui pratiquent ce genre de relations ne peuvent pas passer inaperçus dans la société, quels que soient les systèmes politique ou culturel qui l’orientent. D’autant plus que tous les croyants vivent leur foi et la pratiquent en communauté : on parle de « communautés de croyants » ou de « confessions ».

LES CROYANTS DANS LA SOCIETE

J’en viens donc aux rapports entre les croyants et la société.

Ils sont inévitables. Parce que l’homme est un « animal religieux », il est toujours à la fois citoyen et croyant. Ce qui entraîne la société et ses responsables à s’entendre avec eux sans se confondre, et à se fréquenter sans s’opposer. Les citoyens qui adhèrent à une religion sont la m
ajorité. Il y a donc un fait religieux qui s’impose: par le nombre des croyants, par la durée de leurs traditions, par la visibilité de leurs institutions et de leurs rites. Les responsables des sociétés doivent en prendre acte et veiller à ce que la liberté de conscience et de culte ne nuise pas à la liberté des autres croyants et des non-croyants et ne perturbe pas l’ordre et la santé publiques.

Mais, plus positivement, les responsables des sociétés peuvent bénéficier du patrimoine moral des religions et de l’engagement de leurs adeptes, en vue du bien commun. Toutes les religions, bien que par des moyens divers, ont en commun l’ambition de collaborer avec tous ceux qui s’efforcent:

– d’assurer le respect effectif de la personne humaine et de ses droits;

– de développer le sens de la fraternité et de l’entraide ;

– de s’inspirer du « savoir-faire » des communautés de croyants qui rassemblent, au moins chaque semaine, des millions d’adeptes de toute condition sociale et formation intellectuelle, tout en respectant les différences et en vivant une authentique communion spirituelle;

– d’aider les hommes et les femmes de ce temps à ne pas être esclaves de la consommation et du seul profit.

Pensant à vous, chers Amis, qui êtes appelés à pratiquer le dialogue interreligieux chaque jour, je voudrais indiquer certains domaines où, chrétiens et musulmans ensemble, peuvent contribuer efficacement au bien commun de la société égyptienne.

* D’abord, par le témoignage de leur vie de prière, individuelle et communautaire, chrétiens et musulmans rappellent que « l’homme ne vit pas seulement de pain ». Dans le monde d’aujourd’hui, il est primordial de rappeler – et de montrer- la nécessité d’une vie intérieure.

* Ensuite, des chrétiens et des musulmans fidèles à leurs engagements peuvent faire mieux comprendre que la liberté de religion est beaucoup plus que d’avoir une église ou une mosquée à leur disposition (cela est évident), mais que c’est aussi avoir la possibilité de participer au dialogue public par la culture (écoles, universités) ainsi que par l’engagement politique et social (où les croyants doivent être exemplaires).

* ensemble, comme ils l’ont fait à l’occasion de réunions internationales récentes, ils ne doivent jamais hésiter à défendre la sacralité de la vie humaine ainsi que la dignité de la famille.

* Ils n’hésiteront pas non plus à unir leurs efforts dans la lutte contre l’analphabétisme et les maladies.

* Ils ont en commun la grande responsabilité de pourvoir à la formation morale de la jeunesse.

* Enfin, ils ne peuvent se soustraire à l’impérieux devoir d’être des artisans de paix, de développer une pédagogie de la paix qui s’enseigne en famille, à l’église, à la mosquée, à l’école, à l’université. Les religions ne font pas la guerre: ce sont les hommes qui la font! Quand des hommes et des femmes tuent au nom de leur religion, ils ne montrent pas leur force, mais leur faiblesse. A court d’arguments, il ne leur reste que leurs poings!

Ils ne rendent certainement pas gloire à Dieu. Je ne connais pas de condamnation plus forte de cette perversion du sentiment religieux que celle prononcée par le pape Benoît XVI, au début de l’année 2006, quand, condamnant le terrorisme, il affirmait: «aucune circonstance ne peut justifier cette activité criminelle qui couvre d’infamie celui qui l’accomplit et qui est d’autant plus blâmable qu’elle se pare du bouclier d’une religion, rabaissant ainsi au niveau de son aveuglement et de sa perversion morale la pure vérité de Dieu » (Discours au Corps diplomatique, 9 janvier 2006).

Dans la Lettre ouverte que 138 personnalités musulmanes ont adressée aux Chefs religieux chrétiens, il est souligné opportunément que chrétiens et musulmans représentent 55% de la population mondiale et que, par conséquent, ensemble, s’ils sont fidèles à leur religion, ils peuvent faire beaucoup de bien. Il me semble, en effet, que les croyants à l’écoute des attentes de leurs contemporains peuvent faire beaucoup pour la stabilité et la paix dans les sociétés dont ils sont membres.

Pour conclure, je dirai que les croyants – chrétiens et musulmans – sont porteurs d’un double message:

1) Dieu seul est digne d’adoration: toutes les idoles fabriquées par les hommes (richesse, pouvoir, apparences, hédonisme) constituent une menace pour la dignité de la personne, créature de Dieu ;

2) Sous le regard de Dieu, tous les hommes sont de la même race, de la même famille humaine, tous appelés à la liberté et à la rencontre avec Dieu.

Dans le fond, les croyants sont les ‘prophètes’ de l’espérance ! Ils ne croient pas en la fatalité de l’histoire. Ils sont conscients que, dotés par Dieu d’une intelligence et d’un cœur, ils peuvent, avec l’aide de Dieu, changer la trajectoire des événements du monde pour les orienter selon le projet du créateur: faire de l’humanité une véritable famille ! Chacun de nous est appelé à être artisan de ce projet ! Pour nous chrétiens, en tous cas, n’oublions jamais l’exhortation de Paul, dans sa Lettre aux Romains: « Recherchez donc ce qui contribue à la paix, et ce qui nous associe les uns aux autres, en vue de la même construction » (14, 19). C’est une belle feuille de route !

Jean-Louis Card. Tauran

Président

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ZENIT Staff

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