Le Zimbabwe attend sa résurrection, par Mgr Dieter Scholz (II)

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ROME, Dimanche 9 mai 2010 (ZENIT.org) – Zimbabwe dans la langue locale signifie « demeure de pierres ». Aujourd’hui, cette demeure s’écroule, déplore l’évêque de Chinhoyi.

Selon Mgr Dieter Scholz, le chômage est estimé à environ 80% dans son pays, et ceux qui perçoivent un salaire ont tout juste de quoi acheter une savonnette, ou peut-être trois quignons de pain.

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure » du Catholic Radio and Television Network (CRTN) en coopération avec l’Aide à l’Eglise en détresse (AED), l’évêque a évoqué la situation actuelle dans son pays, comment elle a évolué, et le rôle qu’il a joué en tant que pasteur de l’Eglise. Nous publions ci-dessous la deuxième partie de l’entretien. Pour la première partie, cf. Zenit du 2 mai.

Q : Comment voyez-vous votre rôle de Pasteur maintenant, et celui de l’Eglise ? Alors que toutes les structures s’écroulent, l’Eglise semble rester l’une des dernières voix de l’opposition dans la situation actuelle. Comment vous voyez-vous, vous-même, dans ce rôle particulièrement difficile de Pasteur et, en même temps, comment donner une voix à ceux qui n’ont pas de voix  ?

Mgr Scholz : Mon rôle principal est de soutenir les prêtres dans leur travail devenu encore plus difficile.

Ils ont traversé une véritable période de persécution depuis la lettre pastorale intitulée « Dieu écoute le cri des opprimés », publiée l’année dernière. A la suite de la lettre de Pâques 2007, nos prêtres ont été persécutés, en particulier dans notre province.

Q : Comment ont-ils été persécutés ?

Mgr Scholz : appels téléphoniques anonymes, appels menaçants, insultes par des catholiques éminents, des femmes catholiques, des femmes catholiques importantes dans notre diocèse appelant au téléphone le président du conseil pastoral pour lui dire que votre prêtre – autrement dit celui qui lui donne la Sainte Communion quand il vient à la messe le dimanche – vos prêtres sont des délinquants, des voleurs et des ivrognes, et s’ils ne cessent pas de parler comme ils le font, ils verront ce que nous leur ferons. Ce genre de menaces.

Et je pense qu’il s’agit d’un défi pastoral que nous aurons encore besoin d’affronter quand les choses se seront calmées ; confronter nos propres fidèles et leurs consciences avec les exigences de la foi : les simples exigences de justice d’une part, et la façon dont ils ont enduré ce qui s’est passé cette année entre mars et juin d’autre part, ainsi que la manière de se comporter et de parler quand ils venaient à la messe et s’habillaient pour aller à l’église.

Nous n’avons pas pu le faire en raison des tensions existant au sein de la communauté chrétienne, mais aussi au sein de la communauté dans son ensemble, et de l’intimidation constante à laquelle nous avons été exposés.

Je dirais donc que ma première tâche, et j’ai essayé de la remplir de mon mieux, a été de soutenir mes prêtres quand ils étaient contraints de fuir leurs paroisses, comme certains d’entre eux ont dû le faire ; nous les avons accueillis dans la maison de l’évêque ou au centre pastoral, en nous assurant qu’ils seraient en sécurité.

J’ai déjà pu envoyer le premier en Angleterre pour un temps de repos et de récupération, de renouvellement spirituel, et deux autres suivront dans les prochaines semaines.

Q : Il y a donc un problème d’épuisement chez vos prêtres ?

Mgr Scholz : Epuisement, oui, épuisement physique, mais aussi émotionnel et psychologique.

Il est difficile d’imaginer la société fermée du Zimbabwe où règne l’illégalité ; où si on vous agresse verbalement ou physiquement et on va à la police pour porter plainte, ou si moi je vais à la police porter plainte, je serai arrêté pour trouble à l’ordre public et pour agression contre autrui.

Je vous dirais donc que les principales tâches de l’évêque sont de soutenir les prêtres et soutenir les fidèles lors de mes visites dans le diocèse, qui couvre toute la partie nord et nord-est du Zimbabwe.

J’ai parlé aux fidèles et tenté de raviver leur foi. Très souvent, ces déplacements sont liés au fait de donner le sacrement de la Confirmation, et c’est une merveilleuse opportunité de leur parler des dons de l’Esprit Saint : l’esprit de consolation, l’esprit de foi, l’esprit d’espérance.

Et j’ai toujours reçu, et senti que je recevais, bien plus que j’aurais pu donner à travers mes paroles, en observant la foi des chrétiens au milieu de leurs souffrances.

Je pense que la persécution fait ressortir peut-être le pire chez les persécuteurs, mais aussi le meilleur parmi les fidèles

Q : Vous avez parlé très franchement avec nous. N’avez-vous pas peur ? Jusqu’à quel point êtes-vous prêt à porter votre croix dans cette situation ? Vous parlez très ouvertement en ce moment, vous vous êtes exprimé publiquement au Zimbabwe, les autres évêques aussi, à travers la publication de la lettre pastorale. Jusqu’où les évêques, vous-même, êtes disposés à aller compte tenu de la situation ?

Mgr Scholz : Ce n’est pas vraiment un problème pour moi, en partie parce que durant la guerre de libération, j’ai participé à la Commission catholique pour la Justice et la Paix avec Mgr Lamont, qui était alors notre président, et trois autres. J’ai été arrêté. J’ai été incarcéré. J’ai été expulsé. Nous avons dit la vérité, et nous devons, je crois, dire la vérité maintenant, et c’est ce que nous avons fait dans notre Lettre pastorale. Une autre confirmation que nous sommes allés au coeur de la question a été la colère sans précédent du gouvernement. Ils étaient vraiment, vraiment enragés.

Aujourd’hui encore, lorsque nous rencontrons des fonctionnaires du gouvernement, il n’y a pas une seule fois où la « Lettre pastorale » n’est pas mentionnée ; nous en avions écrit d’autres auparavant, et après aussi, mais ils ne mentionnent que « la lettre pastorale. »

Je pense que c’était nécessaire. Vous avez demandé plus haut ce que font les évêques. Je crois que notre rôle est, d’une part, de soutenir nos prêtres, de cheminer avec les gens en cette heure très sombre, peut-être la plus sombre de l’histoire récente de notre pays, et en même temps de remplir notre mission prophétique, notre ministère prophétique, de dire tout haut la vérité.

Q : Et cette résurrection se profile-t-elle à l’horizon ?

Mgr Scholz : Oui, et la vérité a été entendue des deux côtés.

Q : Vous avez beaucoup parlé de la situation interne du Zimbabwe. Mais qu’en est-il avec la communauté internationale  ? Vous êtes-vous sentis négligés, abandonnés par rapport à la situation au Zimbabwe ?

Mgr Scholz : Non. Nous avons reçu des paroles de soutien et de l’aide du monde entier : e-mails, lettres, dons petits et grands, et précisément quand nous avons eu cette crise dont j’ai parlé, entre les élections de la fin mars et le second tour de la présidentielle. Nous possédons cinq hôpitaux dans notre diocèse et, avec l’effondrement du secteur de la santé publique, ceux qui étaient traumatisés par les agents de la police d’Etat venaient se faire soigner dans nos hôpitaux. Au début, il leur a été refusé pendant des semaines de recourir à l’aide médicale. Mais quand ils arrivaient ensuite avec d’énormes blessures sur les fesses – vous pouviez mettre votre poing dans la blessure – nous n’avions pas assez de médicaments. C’était la période où le père Halamba est arrivé de l’AED (Aide à l’Eglise en détresse) ; je lui ai exposé la situation et, en quelques jours, il nous a procuré généreusement des médicaments, qui nous ont permis de réapprovisionner nos hôpitaux.

Q :
N’êtes-vous pas indigné de ce qui arrive à votre pays ?

Mgr Scholz : Bien sûr que je suis en colère, et quand je suis en colère, le soir je me retire dans ma chapelle, j’attends que ma colère passe et que la paix revienne et, dans la prière, je trouve cet équilibre. Mais quand peut-on être en paix quand un séminariste de troisième année, qui va être ordonné diacre, à mon retour vient me trouver et me dit : « Mon père a été tué hier, à 62 ans, parce qu’ils le soupçonnaient de faire partie de l’opposition, ce qui était faux » ?

Un voisin qui lui gardait rancune l’avait dénoncé à la milice, et les miliciens sont venus, ont pris des planches en bois et l’ont battu à mort, sous les yeux de sa femme. Comment peut-on ne pas être en colère ? Ils ont voulu téléphoner à la police, et on leur a répondu. « Nous ne pouvons pas ouvrir le registre, nous n’avons pas de photocopieuse. »

C’est ce que je veux dire quand je dis que la vérité doit éclater au grand jour. Les auteurs de ces crimes devront un jour être désignés par leur nom. Ils devront répondre de leurs actes, et c’est alors que nous pourrons entamer le processus de réconciliation, peut-être même d’amnistie.

C’est l’erreur, si je puis me permettre d’ajouter, que nous avons commise à la fin de la guerre civile, la guerre de libération. Dans un geste de grande générosité, mais, selon moi, de naïveté, Robert Mugabe a déclaré : « Nous traçons une ligne ici. Nous ne reviendrons pas sur le passé, et nous inaugurons un nouveau départ. »

Je crois que quand il a fait cette déclaration à la veille de l’indépendance, il était sincère. Ce n’était pas un stratagème. Je connais des Blancs qui avaient décidé d’émigrer en Afrique du sud, de fuir à cause de ce que Ian Smith avait dit que leur ferait Robert Mugabe. Je connais une famille qui s’est réellement arrêtée au bord de la route, a récité une prière et, après discussion, a fait demi-tour pour rentrer chez elle et poursuit son activité agricole dans le pays. C’était peut-être très généreux, mais nous sommes tous des êtres humains et les règlements de comptes de cette guerre continuent au sein des communautés locales.

Q : Il ne peut donc y avoir de paix sans justice ?

Mgr Scholz : Il ne peut y avoir de réconciliation sans vérité. La vérité doit se faire jour. Elle doit être reconnue.

Je pense que le pardon doit être demandé, pour ensuite être accordé. Dans une communauté idéale, nous pourrions peut-être dire que nous tirons un trait et faisons un nouveau départ. Mais, étant ce que nous sommes, qui nous sommes, les blessures du cœur guérissent beaucoup plus lentement que les blessures du corps. Maintenant, je le vois bien.

Q : Quel serait votre appel ? Quel serait votre appel aux catholiques qui observent ce programme pour le Zimbabwe ?

Mgr Scholz : Mon premier appel est de continuer à prier pour le Zimbabwe, de prier pour la paix, de prier pour que les dirigeants qui ont perdu l’élection aient le courage de se résigner, d’accepter dans l’intérêt du peuple et de la nation qu’un autre prenne les commandes.

Les élections ont été un vote pour le changement. Ce n’était pas un vote pour un programme bien défini.

Le peuple a simplement dit : « Nous sommes fatigués, nous avons faim, nous sommes sans travail, sans écoles, sans hôpitaux, nous voulons le changement. »

Si nos dirigeants reconnaissaient cela et se montraient assez généreux pour lâcher prise en dépit de la crainte de ce qui les attend, alors les prières des catholiques qui suivent ce programme seraient exaucées. Ce serait un miracle, mais un miracle qui pourrait se réaliser.

Propos recueillis par Mark Riedemann

Pour la vidéo de cette interview en anglais cf. : www.wheregodweeps.org/a-church-punished-for-ist-opposition

Sur le Net :

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– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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