Le projet éducatif dominicain, pour un développement intégral de la personne

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Entretien avec les responsable de l´Institut Saint-Dominique, à Rome

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ROME, Dimanche 21 février 2010 (ZENIT.org) – Vérité, liberté et responsabilité, prise en charge globale de l’enfant, avec son intelligence, son affectivité, son coeur. Ce sont les mots-clé du projet éducatif dominicain.

Le 3 février dernier, l’Institut Saint-Dominique de Rome a assisté à l’audience générale du mercredi de Benoît XVI. Le « hasard » a voulu que le pape parle justement de saint Dominique. Le directeur de l’Institut, Monsieur Anthony Bardoux et soeur Marie-Joannès, directrice pendant une quarantaine d’années et travaillant actuellement aux côtés du nouveau directeur, ont expliqué à ZENIT, avec beaucoup d’enthousiasme, les caractéristiques du projet éducatif dominicain et comment ils tentent de l’appliquer dans leur Institut de Rome.

Zenit – Pouvez-vous nous expliquer les spécificités du projet éducatif dominicain ?

M. Bardoux – Il s’agit d’abord d’un projet éducatif catholique, donc inspiré par l’Evangile. Les charismes dominicains sont source d’inspiration pour notre institution. Le Saint-Père a souligné la notion de vérité. Vérité, liberté et responsabilité sont les mots clés de notre action sur le terrain. Nous insistons sur le développement de la personne dans son intégralité, sur la prise en charge globale de l’individu avec son affectivité, son intelligence, son coeur.

Zenit – Concrètement, qu’est-ce qui vous différentie d’un établissement public ?

M. Bardoux – La première distinction, c’est notre capacité à afficher des valeurs chrétiennes et à faire en sorte que toutes les personnes qui viennent travailler ici soient en accord avec ces valeurs affichées, ce qui nous donne une ligne de conduite, un cadre. L’autre distinction, c’est l’anthropologie chrétienne. Nous développons un regard sur l’enfant fondé sur une anthropologie chrétienne. La doctrine sociale de l’Eglise est bien sûr une source d’inspiration pour le projet éducatif de l’institution, mais il y a aussi un charisme dominicain que nous vivons particulièrement ici, celui de la fraternité, du savoir vivre ensemble. Nous voulons que ce lieu soit pour les personnes qui y travaillent un lieu de croissance personnelle, qu’il soit donné aux élèves comme un exemple à suivre. Nous voulons qu’ils aient à observer des personnes qui savent vivre ensemble, qui se côtoient chaleureusement. Nous sommes donc particulièrement attachés au « savoir être » des personnes qui encadrent les élèves. Et nous affichons cet attachement. Je crois que c’est une distinction très forte avec ce que l’on peut constater dans un établissement public où il n’y a pas de cadre qui régisse les rapports humains. Et bien sûr, notre cadre est celui de l’Evangile, et il est affiché.

Sr Marie-Joannès – Oui, je crois que la note la plus importante est qu’il soit affiché. Cela ne veut pas dire que dans l’enseignement public il n’y ait pas des personnes qui le vivent, mais nous le vivons ici en tant qu’équipe. Je crois que la note dominicaine, c’est l’incarnation, la passion de Dominique pour Dieu et l’homme. Nous devons avoir sur l’homme un regard évangélique, un regard qui veut conduire nos jeunes à ce développement de leur personnalité pour être ces hommes de demain qui seront des hommes de l’Evangile.

Zenit – Comment vivez-vous cela étant donné la présence importante de musulmans dans l’école ?

M. Bardoux – Il y a une très forte recherche de spiritualité de la part des familles musulmanes, un fort attachement au caractère religieux donc un très grand respect. J’ai travaillé auparavant avec des cas sociaux, des musulmans qui sortaient de banlieue. Il s’agissait de jeunes très difficiles, mais ils avaient un respect immense pour les jeunes catholiques qui allaient prier. Il n’y a pas de doctrine sociale musulmane et je crois que c’est aussi pour cela que les musulmans sont attachés à celle des catholiques. Ils sont assez proches des valeurs défendues par l’enseignement catholique. Ceci est vrai en tout cas pour l’immense majorité des musulmans, qui sont des musulmans modérés.

Sr. Marie-Joannès – Dans certains cas, cette cohabitation est même un stimulant. Les musulmans ont un sens du sacré, un sens de Dieu et du religieux et un respect affiché. Et cela pose d’ailleurs question à nos jeunes qui se disent catholiques mais ne sont pas toujours très convaincus. Ils s’entraînent mutuellement à se poser les vraies questions.

Zenit – Y a-t-il parfois des difficultés ?

M. Bardoux – Il y a effectivement une peur de prosélytisme de la part des familles musulmanes. Nous organisons souvent des célébrations et les musulmans sont bien sûr réticents. Mais lorsque je leur explique que parfois, comme pour l’audience du pape à laquelle nous avons participé, il est important de « faire famille », ils comprennent. A d’autres moments en revanche il faut être délicat, respecter leur religion et ne pas faire d’appel à la conversion. Il y a des célébrations auxquelles nous n’invitons pas les musulmans (comme la messe des Cendres) car il est important aussi que les catholiques puissent se recueillir sans « observateurs » extérieurs. Globalement, cela est bien vécu. Tout se passe dans le dialogue. Pour la société de demain, le fait de vivre ce type d’expérience dans une institution d’éducation, est très positif. Cela leur enseigne la tolérance, leur montre qu’il n’y a pas autant de différences que cela, et que nous pouvons cohabiter autour des mêmes valeurs.

En réalité, quand on parle de catholiques ou de musulmans, on parle ici plutôt de culture. Dieu ne fait pas encore vraiment partie du quotidien des enfants. Ceci est vrai pour les catholiques comme pour les musulmans.

Zenit – Comment vivez-vous la collaboration entre religieuses et laïcs au sein de l’Institut ?

Sr. Marie-Joannès – La collaboration religieuses-laïcs n’a jamais posé de problème pour nous.

M. Bardoux – Il n’y a pratiquement plus de religieux à la tête des établissements scolaires en France. Il y aurait un risque réel si on ne prêtait pas suffisamment attention au profil du chef d’établissement recruté, mais l’enseignement catholique aujourd’hui forme ses chefs d’établissement. Et les institutions religieuses qui ont leur propre charisme assurent une formation continue. C’est ce que l’on appelle la « tutelle ».

La présence des laïcs permet d’éviter que le fait religieux soit exclusivement l’affaire de la congrégation et qu’il y ait deux mondes. Le laïc engagé cherchera à faire en sorte que tous les laïcs se retrouvent dans le projet éducatif. J’ai une lettre de mission avec la demande de m’engager à faire vivre le caractère propre de l’enseignement catholique et de développer cet esprit au sein des équipes. C’est très fort. Je crois qu’il est important que nous ayons une culture commune, entre laïcs et consacrés. Il faut que nous ayons une culture partagée.

Sr. Marie-Joannès – Réciproquement, c’est indispensable pour le monde religieux. Le fait de collaborer avec un directeur laïc qui apporte toute une compétence mais qui en même temps est fort de sa lettre de mission, est très épanouissant. Cela interfère dans toute la complémentarité et permet d’éviter l’enfermement dans les deux mondes.

Zenit – Avez-vous une sorte de « charte » du projet éducatif dominicain ?

M. Bardoux – Nous avons essayé de dégager des idées d’éducation et de les mettre par écrit. Cela constituera un « socle » qui inspirera ensuite nos projets pédagogiques. Voici quelques exemples : vivre notre métier en esprit de service et non comme un pouvoir, accueillir sans conditions et sans possessivité, casser les fausses hiérarchies, vivre des conseils de classe qui refusent d’enferme
r et d’étiqueter, accepter des parcours individuels et atypiques, donner des sanctions qui n’humilient pas et ne blessent pas, développer l’analyse de l’actualité, le questionnement philosophique, valoriser l’expérience et sa relecture, etc. ; la personne étant un être en devenir, ne pas formuler de jugement définitif, ne pas réduire la personne à son passé, à son comportement, à ses résultats. Mettre des appréciations qui partent de ce qui est déjà réussi. La personne étant un être fragile, éviter l’intransigeance et l’insensibilité, briser l’isolement. Considérer la faille, l’erreur et l’échec comme une expérience, un passage. Mettre les relations entre les personnes au centre du projet d’établissement. Promouvoir le sens du bien commun, prendre en compte la mixité, en développant toute la question affective et sexuelle car la dimension intégrale de la personne sous-tend que l’on s’arrête aussi sur ces sujets.

Zenit – Voyez-vous parfois des fruits de votre engagement dans l’enseignement catholique ?

M. Bardoux – Il arrive qu’il y ait des demandes de baptême – surtout parmi les plus petits – mais indépendamment de cela il est clair que les enfants passent dans un lieu d’éducation. Ils n’en ressortent pas seulement avec des connaissances mais avec un certain nombre de principes, avec des valeurs, même s’ils ne les identifient pas toujours tout de suite comme des valeurs chrétiennes. C’est souvent plus tard, dans les moments durs, qu’ils s’en souviennent.

Propos recueillis par Gisèle Plantec

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ZENIT Staff

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