"Le peuple américain est un grand peuple", par Mgr Tauran

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« Ce que nous avons rappelé à tous, ce sont les principes du droit international »

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CITE DU VATICAN, Vendredi 28 mars 2003 (ZENIT.org) – Interrogé sur les accusations « d’anti-américanisme » lancées à propos des positions du Saint-Siège contre la guerre en Iraq, Mgr Jean-Louis Tauran, Ministre des Affaires étrangères de Jean-Paul II, répond clairement, dans un entretien publié par l’hebdomadaire catholique italien « Famiglia Cristiana » (n. 13 du 30 mars 2003): « Cela ne correspond pas à la vérité! »

« Le peuple américain est un grand peuple, déclare Mgr Tauran. La communauté catholique y est très engagée dans la vie sociale, culturelle, dans la charité. Ce sont des valeurs que le pape et le Saint-Siège apprécient beaucoup. Ce que nous avons rappelé à tous, ce sont les principes du droit international ».

Mgr Tauran explique: « Cette guerre génèrera tous les extrémismes possibles, y compris islamique. Il faut tous en être conscients. Elle provoquera le terrorisme ».

Voici notre traduction rapide, de travail, de cet entretien du Secrétaire du Saint-Siège pour les Relations avec les Etats, avec Alberto Bobbio. Avec nos remerciements pour l’aimable autorisation.

FC – L’engagement du Saint-Siège contre la guerre a été inutile?

Mgr JLT – Non, parce que le Saint-Siège est une puissance morale, si l’on peut dire, et doit être la voix de la conscience. Nous avons rappelé le bien suprême de la paix, la défense de la vie, la défense des droits humains, et surtout la nécessité de toujours avoir recours au droit. Les gens ont réfléchi. A un certain moment, la décision appartient aux responsables de la société. Ils doivent établir si le moment de la diplomatie est terminé et si l’on est arrivé à celui de passer à la force. C’est de leur reponsabilité et il en va de leur conscience. Nous avons cherché à éclairer la conscience des responsables.

FC – Maintenant qu’est déclenché « le droit de la force », vous avez encore quelque chose à dire?

Mgr JLT – Il n’est jamais trop tard pour rappeler l’importance de faire prévaloir la force du droit sur le droit de la force. C’est la tâche de la diplomatie. Cela a été et demeure ma tâche. Je l’ai encore rappelé à qui de droit avant la fin de l’ultimatum.

FC – A qui l’avez-vous rappelé?

Mgr JLT – Au Secrétaire d’Etat Colin Powell, deux jours avant la fin de l’ultimatum, dans un dernier entretien téléphonique, au cours duquel j’ai rappelé de respecter les conventions internationales qui prévoient la protection des populations civiles en temps de guerre. Au moins cela. C’est le minimum que l’on puisse demander.

FC – Beaucoup ont demandé au Pape d’aller à Bagdad pour conjurer le conflit…

Mgr JLT – Le Pape ne m’a jamais dit qu’il était disposé à aller à Bagdad.

FC – Mais vous, qui êtes le Ministre des Affaires étrangères du Saint-Siège, vous n’y avez jamais pensé?

Mgr JLT – Non. C’est vrai: beaucoup l’ont demandé. Moi aussi, à Rome, j’ai été arrêté trois fois dans la rue par des gens qui m’avaient reconnu, pour me conjurer de faire tout ce qui était possible pour arrêter la guerre. Ce sont des signes qui révèlent une grande inquiétude pour la paix. Mais le Pape n’est pas un condottiere. Lui, il a rappelé les principes de l’éthique et de l’amour. Puis, tout est dans les mains des responsables politiques.

FC – On vous a accusés d’anti-américanisme. Que répondez-vous?

Mgr JLT – Aucun sentiment anti-américain. Cela ne correspond pas à la vérité. Le peuple américain est un grand peuple. La communauté catholique y est très engagée dans la vie sociale, culturelle, dans la charité. Ce sont des valeurs que le pape et le Saint-Siège apprécient beaucoup. Ce que nous avons rappelé à tous, ce sont les principes du droit international.

FC – Qu’est-ce que vous avez pensé lorsque la guerre a éclaté?

Mgr JLT – Deux choses m’attristent. Avant tout, le mépris du droit international. Nous avons un patrimoine juridique particulièrement complet et raffiné. Nous avons tout ce dont nous avons besoin pour résoudre de façon pacifique les controverses entre les peuples. Je me demande si toutes les ressources du droit international ont été exploitées. La seconde considération est de voir l’incapacité des hommes à tirer les leçons de l’histoire récente. Nous tous, nous savons ce que signifie une guerre. J’ai été conseiller de nonciature à Beyrouth de 1979 à 1983. Ce furent quatre ans d’une guerre très violente. J’ai vu les terribles souffrances des gens et des familles. La guerre appauvrit un pays. Comment donc entrer dans le IIIe millénaire par une autre guerre? Nous avons des pays où les droits humains sont piétinés, où les engagements internationaux ne sont pas respectés. En somme, dans le monde, il faudrait un peu plus de sagesse.

FC – L’ONU a éclaté et l’Europe s’est divisée entre « vieille » et « nouvelle ». Les Américains ont dit que la « nouvelle » était mieux que la « vieille ». Quel est votre point de vue?

Mgr JLT – Cette expression a été très malheureuse. Pour ce qui concerne les Nations Unies, je me souviens que le Pape utilise l’expression « famille des peuples ». Si nous sommes une famille, cela signifie que nous avons des valeurs en commun. Donc, tout ce qui entame cette unité est certainement une défaite et un échec.

FC – Vous êtes très préoccupé?

Mgr JLT – Avoir affaibli les Nations Unies est une chose très grave. C’est le seul instrument que nous ayons pour réguler la vie des Nations. Si nous ne trouvons pas une chose meilleure, nous devons préserver cet instrument. L’ONU est le résultat des expériences tragiques de la seconde guerre mondiale. Qui a approuvé la Charte de l’ONU a assuré au monde que la guerre ne serait plus jamais utilisée pour résoudre les problèmes.

FC – Et l’Europe?

Mgr JLT – Elle n’est pas unie et c’est un problème. Elle devrait avoir une diplomatie et une défense commune. Nous ne sommes pas dans une situation désespérée. Je pense qu’un jour on y arrivera.

FC – Vous êtes déçus des hommes politiques catholiques?

Mgr JLT – Il ne s’agit pas d’une question de foi, mais d’interprétation du droit. C’est certainement une réalité que le Pape n’a pas été écouté. D’autre part, Jean-Paul II parle, mais tous ne le suivent pas toujours. Ce qui est important, c’est que le Pape ait dit ce qu’il fallait au bon moment.

FC – La position italienne vous déçoit?

Mgr JLT – Je ne voudrais pas exprimer de jugement sur la politique italienne. Je vis en Italie. Ce n’est pas élégant.

FC – Que va-t-il se passer avec l’Islam?

Mgr JLT – Cette guerre engendrera tous les extrémismes possibles, y compris islamique. Il faut tous en être conscients. Elle provoquera le terrorisme. Et elle infligera une grande blessure au dialogue entre christianisme et Islam, parce qu’hélas, dans le monde islamique, on a tendance à identifier l’Occident avec le christianisme. Certains commentateurs arabes parlent déjà de dixième croisade. C’est de la propagande, mais il sera très facile d’avancer dans cette voie. Jean-Paul II a parlé de nombreuses fois du respect de l’Islam: nous prions tous l’unique Dieu miséricordieux. Espérons que les déclarations de Sa Sainteté rassurent l’Islam. Mais le risque reste très grand.

FC – Vers qui vont vos pensées aujourd’hui?

Mgr JLT – Vers les pauvres gens qui meurent. La guerre c’est surtout la mort de personnes innocentes. En 1991, le pape avait dit que la guerre était « une aventure sans retour ». Cette fois, il a dit que c’est « une défaite pour l’humanité ». Et dans ce cas-ci, qui plus est, le droit international a été très maltraité.

Propos recueillis par Alberto Bobbio

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ZENIT Staff

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