Le pape François, par un de ses anciens professeurs

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Entretien avec le P. Juan Carlos Scannone

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Le P. Juan Carlos Scannone, jésuite âgé de 82 ans, a été l’un des professeurs du pape François au séminaire de Villa Devoto en Argentine. Depuis mi-avril, il vit à Rome, au collège des écrivains de la revue jésuite « Civiltà Cattolica ».

Il évoque les années de séminaire de Jorge Mario Bergoglio, son élection comme pape, et explique aussi sa pensée à la lumière de la « théologie du peuple », une école de pensée religieuse qui a revalorisé les thèmes de l’inculturation et de la piété populaire à l’intérieur de la réflexion théologique.

Zenit – Quel étudiant était Jorge Maria Bergoglio ?

P. Juan Carlos Scannone – C’était un bon étudiant. Je lui ai enseigné le grec et la littérature avant qu’il ne devienne jésuite, quand il était encore séminariste. Il était actif, ce n’était pas le meilleur de la classe, mais il était certainement un des meilleurs ! Il était appliqué, mais je ne me souviens pas de faits précis. Évidemment, à l’époque, je ne savais pas qu’il deviendrait jésuite et pape ! Je me souviens qu’à cette époque il est tombé gravement malade : un simple rhume s’est transformé en pneumonie et il a fallu carrément l’opérer et il a surmonté cette épreuve avec une grande force.

Vous attendiez-vous à l’élection du cardinal Bergoglio sur le siège pontifical ?

Non, sincèrement, je ne m’y attendais pas. Je savais qu’il avait obtenu beaucoup de voix lors de l’élection de Benoît XVI, au conclave de 2005, mais je pensais qu’avec la renonciation de Ratzinger, les cardinaux allaient élire un pape beaucoup plus jeune. Et donc, non, je ne m’y attendais pas, principalement à cause de son âge.

C’est le premier pape d’Amérique latine. Qu’est-ce que cela implique pour l’Église universelle ?

L’Amérique latine, continent en majorité catholique et pauvre, a une sensibilité évangélique particulière envers l’option préférentielle pour les pauvres. Ce qui avait été explicite pendant la Conférence de Medellin est devenu encore plus important pendant celle de Puebla pour culminer ensuite lors de celle d’Aparecida, au Brésil, en 2007. Les derniers papes ont tous suivi cette ligne. Lorsque Jean-Paul II est allé à Puebla, il a fait de l’amour pour les pauvres un des fondements de son pontificat. Il l’a exprimé clairement dans l’encyclique « Sollicitudo rei socialis ». Et quand Benoît XVI est allé à Aparecida, au Brésil, en 2007, pour inaugurer la conférence, il a confirmé que les racines de cette option étaient christologiques, parce que c’est le Christ qui, le premier, a eu une option préférentielle pour les pauvres.

Les paroles du pape François ont parfois été considérées comme proches de la « théologie de la libération ». Pour vous, elles s’inscrivent dans la « théologie du peuple ». Quelles sont les différences ?

En 1982, un père de la Grégorienne, le P. Neufeld, m’avait demandé un article sur la théologie de la libération pour le livre « Problèmes et perspective de l’idéologie dogmatique ». Ma contribution a été d’abord publiée en italien, puis traduite en allemand et ensuite en espagnol. Dans l’article, je faisais la distinction entre quatre courants et l’un d’eux était ce que l’on appelle aujourd’hui la « théologie du peuple ». Deux ans plus tard, la Congrégation pour la doctrine de la foi a présenté le premier document sur quelques aspects de la théologie de la libération, « Libertatis nuntius ». Antonio Quarracino, qui allait devenir plus tard archevêque de Buenos Aires et qui était alors secrétaire du Conseil épiscopal latino-américain (Celam), a réaffirmé l’existence de ces quatre courants à l’intérieur de la théologie de la libération, chacun avec ses caractéristiques propres.

La caractéristique principale de la théologie du peuple est qu’elle n’a jamais utilisé ni la méthode ni les catégories de l’analyse marxiste de la réalité mais, sans nier la racine sociale, elle a fait le choix de l’analyse historico-culturelle. L’aspect historico-culturel prend le dessus, sans supprimer l’importance de l’aspect historico-politique. En outre, la piété populaire y est fortement revalorisée et on en vient même à parler de « spiritualité et mystique populaire ». Le pape François, dans « Evangelii gaudium », donne beaucoup d’importance au thème de la spiritualité populaire et traite même deux fois de ce thème, en raison de l’importance que revêt l’inculturation dans la culture latino-américaine. La culture populaire s’évangélise elle-même et évangélise les prochaines générations.

Selon vous il faudrait valoriser la dévotion populaire ?

Je crois que, quand il y a une vraie dévotion et spiritualité populaire, c’est la foi qui s’incarne et devient opérante à travers la charité. Une caractéristique de la piété populaire est qu’il ne s’agit pas d’une spiritualité individualiste, mais ouverte à ceux qui souffrent, aux pécheurs et, si elle est ainsi, elle est réellement évangélique. En 1975, il y a eu une réunion à Rome, au cours de laquelle un travail a été fait par continent. L’un des thèmes était la valorisation de la sagesse populaire, qui est un élément de la piété populaire. Ce thème a principalement émergé dans trois groupes : le plus fortement dans le groupe latino-américain, puis dans le groupe africain et ensuite dans celui d’Europe du sud (constitué d’Italiens, logiquement, mais aussi d’Espagnols et de Portugais).

En Italie, même si des années se sont écoulées et que je n’ai pas d’expérience directe, je crois qu’a été conservée une véritable spiritualité populaire qu’il faut savoir valoriser pour évangéliser une sécularisation qui ne soit pas séculariste. En Argentine, à Buenos Aires, où le pape était évêque, il existe des dévotions qui viennent d’Italie, même si là-bas elles sont encore plus fortes qu’en Italie. Par exemple, chaque année, le 7 août, on célèbre Saint Gaétan, patron du pain et du travail et des millions de personnes viennent visiter l’église du saint, pour toucher sa statue et « en prendre la grâce » comme je l’ai vu faire avec la statue de la Vierge par le pape lui-même… C’est la même chose avec la Vierge de Pompéi, le sanctuaire marial le plus important de la ville de Buenos Aires.

Quel rapport avez-vous aujourd’hui avec votre ancien élève ?

Un très bon rapport. Je suis venu travailler à « La Civiltà Cattolica », précisément pour collaborer avec la revue dans la compréhension de la pensée, du charisme et de l’action du pape. J’ai écrit, récemment, un article sur le pape François et la théologie du peuple et je suis en train d’en écrire plusieurs autres. Je l’ai rencontré à deux occasions : la première fois à Sainte-Marthe. Ensuite, il m’a invité pour prendre le petit-déjeuner avec lui et nous avons poursuivi notre conversation.

Traduction de Constance Roques

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Nicola Rosetti

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