Pope Francis in the Clementina room in the Palazzo Apostolico

PHOTO.VA - OSSERVATORE ROMANO

Le pape François brosse un portrait robot de l’évêque

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Le pape François a reçu en audience les évêques nommés au cours de l’année, ce jeudi 10 septembre, dans la salle Clémentine du Palais apostolique. Traduction intégrale.

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Voici notre traduction intégrale de ce texte important.

Allocution du pape François

Très chers frères dans l’épiscopat,

Paix à vous !

Dans le cadre de ces journées d’approfondissement et de partage, organisées par la Congrégation pour les évêques et par la Congrégation pour les Églises orientales, je suis heureux de pouvoir vous saluer avec la salutation que le Christ ressuscité a adressée à ses disciples réunis au Cénacle, le soir du « jour après le sabbat » (cf. Jn 20,19-23).

Une fois passée définitivement la nuit de la croix, et aussi le temps du silence de Dieu, le Ressuscité vint, passant par les portes des peurs de ses disciples, s’arrêtant au milieu d’eux, montrant les signes de son sacrifice d’amour, leur remettant la mission que lui-même avait reçue du Père, soufflant sur eux l’Esprit Saint pour qu’ils dispensent dans le monde le pardon et la miséricorde du Père, premier fruit de sa passion. Alors, ses disciples se retrouvèrent. Pendant un court mais obscur intervalle, ils s’étaient laissé disperser par le scandale de la croix : perdus, honteux de leur faiblesse, oublieux de leur identité de disciples du Seigneur. Maintenant, voir le visage du Ressuscité rassemble les fragments de leurs vies. Reconnaître sa voix fait retrouver cette paix qui manquait dans leur cœur depuis qu’ils l’avaient abandonné. Secoués par le souffle de ses lèvres, ils comprennent maintenant que la mission qu’ils reçoivent ne pourra pas les écraser.

Vous êtes évêques de l’Église, récemment appelés et consacrés. Vous êtes venus d’une rencontre unique avec le Ressuscité. À travers les murs de votre impuissance, il vous a rejoints par sa présence. Bien qu’il connaisse vos reniements et vos abandons, vos fuites et vos trahisons. Malgré cela, il est arrivé dans le sacrement de l’Église et a soufflé sur vous. C’est un souffle à garder, un souffle qui bouleverse la vie (qui ne sera jamais plus comme avant), même s’il rassérène et console comme une brise légère dont on ne peut pas prendre possession. Je vous prie de ne pas domestiquer cette puissance, mais de la laisser continuellement bouleverser votre vie. 

Les évêques, témoins du Ressuscité

Vous êtes donc des témoins du Ressuscité. C’est votre devoir premier et irremplaçable. Ce n’est pas le discours mièvre des faibles et des perdants, mais la seule richesse que l’Église transmette, même si c’est à travers des mains fragiles. Il vous est confié la prédication de la réalité qui soutient tout l’édifice de l’Église : Jésus est ressuscité ! Celui qui a subordonné sa vie à l’amour ne pouvait rester dans la mort. Dieu le Père a ressuscité Jésus ! Nous aussi, nous ressusciterons avec le Christ !

Il ne s’agit pas d’une proclamation évidente ni facile. Le monde est si content de son présent, au moins en apparence, de ce qui peut assurer ce qui lui semble utile pour étouffer la question de ce qui est définitif. Les hommes sont si oublieux de l’éternité tandis que, distraits et absorbés, ils administrent l’existant, reportant ce qui viendra. Beaucoup se sont tacitement résignés à l’habitude de naviguer à vue, au point d’effacer la réalité même du port qui les attend. Beaucoup sont tellement pris par le calcul cynique de leur propre survie qu’ils se sont rendus désormais indifférents et, souvent, imperméables à la possibilité même de la vie qui ne meurt pas.

Et pourtant, nous sommes assaillis de questions dont les réponses ne peuvent venir que d’un avenir définitif. En effet, elles sont si exigeantes que nous ne saurions pas comment y répondre en excluant ce « jour après le sabbat », en faisant abstraction de l’horizon d’éternité que celui-ci nous ouvre, en nous limitant à la logique amputée d’un présent fermé dans lequel nous restons emprisonnés sans la lumière de ce jour-là. Comment pourrions-nous affronter l’ennui du présent si se ternissait en nous le sentiment d’appartenance à la communauté du Ressuscité ? Comment pourrions-nous donner au monde ce que nous avons de plus précieux ? Serions-nous capables de rappeler la grandeur de la destinée humaine, si s’affaiblissait en nous le courage de subordonner notre vie à l’amour qui ne meurt pas ?

Je pense aux défis dramatiques comme la mondialisation, qui rapproche ce qui est loin et d’autre part sépare ce qui est proche ; je pense au phénomène historique des migrations qui bouleverse notre époque ; je pense à l’environnement naturel, jardin que Dieu a donné comme habitation à l’être humain et aux autres créatures et qui est menacé par une exploitation myope et souvent prédatrice ; je pense à la dignité et à l’avenir du travail humain, dont sont privées des générations entières, réduites à des statistiques ; je pense à la désertification des relations, à la déresponsabilisation diffuse, au désintérêt pour le lendemain, à la fermeture croissante et apeurée ; au désarroi de tant de jeunes et à la solitude d’un bon nombre de personnes âgées. Je suis certain que chacun de vous pourrait compléter ce catalogue de problématiques.
Je ne voudrais pas me concentrer sur cet agenda de devoirs parce que je ne voudrais pas vous effrayer. Vous êtes encore en lune de miel ! En tant qu’évêque de Rome qui, après un difficile discernement, a prêté sa faible voix pour que le Ressuscité vous agrège au collège épiscopal, il me tient à cœur seulement de vous remettre, encore une fois, à la joie de l’Évangile.

Les disciples se réjouirent en retrouvant vivant le « pasteur qui accepta de mourir pour son troupeau ». Réjouissez-vous aussi tandis que vous vous consumez pour vos Églises particulières. Ne vous laissez pas dévaliser un tel trésor. Souvenez-vous toujours que c’est l’Evangile qui vous garde, c’est pourquoi n’ayez pas peur de vous rendre partout et de vous entretenir avec ceux que le Seigneur vous a confiés.

Comme j’ai eu l’occasion de l’approfondir dans Evangelii Gaudium, aucun cadre de vie des hommes ne doit être exclu de l’intérêt du cœur du pasteur (cf. 14-15 ; Redemptoris Missio, 33). Gardez-vous du risque de négliger les réalités multiples et singulières de votre troupeau ; ne renoncez pas aux rencontres ; n’économisez pas la prédication de la Parole vivante du Seigneur ; invitez tout le monde à la mission.

Des évêques pédagogues, des guides spirituels et des catéchistes

Pour ceux qui sont chez eux, qui fréquentent vos communautés et s’approchent de l’Eucharistie, je vous invite à vous faire évêques pédagogues, guides spirituels et catéchistes, capables de les prendre par la main et de les faire monter sur le Thabor (cf. Lc 9,28-36), en les guidant vers la connaissance du mystère qu’ils confessent, la splendeur du visage divin caché dans la Parole que, peut-être par paresse, ils se sont habitués à écouter sans en percevoir la puissance. Pour ceux qui cheminent déjà avec vous, procurez des lieux et installez des tentes dans lesquelles le Ressuscité pourra révéler sa splendeur. Ne ménagez pas vos énergies pour les accompagner dans cette montée. Ne permettez pas qu’ils se résignent à la plaine. Enlevez avec délicatesse et attention la cire qui s’est lentement déposée dans leurs oreilles, les empêchant d’écouter Dieu qui atteste : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis toute ma joie » (cf. Mt 17,5).

C’est la joie qui entraîne, qui fascine, qui ravit. Sans joie, le christianisme dépérit dans la lassitude, dans une pure lassitude. Prenez soin de vos prêtres afin qu’ils réveillent dans les fidèles cette fascination pour Dieu, de sorte qu’ils aient toujours envie de demeurer en sa présence, qu’ils éprouvent la nostalgie
de sa compagnie, qu’ils ne désirent rien d’autre que de retourner près de lui.

On entend trop de paroles vides qui éloignent les hommes d’eux-mêmes, relégués dans l’éphémère et limités au provisoire. Assurez-vous que ce soit Jésus, l’aimé de Dieu, l’aliment solide continuellement ruminé et assimilé.

Des évêques mystagogues

En second lieu, j’ai pensé aux « personnes baptisées mais qui ne vivent pas les exigences du baptême ». Peut-être a-t-on longtemps présumé que la terre dans laquelle est tombée la graine de l’Evangile n’avait pas besoin de soins. Certains se sont éloignés parce qu’ils étaient déçus des promesses de la foi ou parce que le chemin pour les atteindre leur a semblé trop exigeant. Un bon nombre sont sortis en claquant la porte, nous reprochant nos faiblesses et cherchant, sans y réussir du tout, à se convaincre qu’ils avaient été trompés par des espérances qui avaient finalement été démenties.

Soyez des évêques capables d’intercepter leur chemin ; faites-vous, vous aussi, voyageurs apparemment perdus (Lc 24,13-35), en leur demandant ce qui s’est passé dans la Jérusalem de leur vie et en les laissant discrètement épancher leur cœur transi. Ne vous scandalisez pas de leurs douleurs ou de leurs désillusions. Illuminez-les de la flamme humble, préservée en tremblant, mais toujours capable d’éclairer celui qui est atteint par sa limpidité, mais sans jamais éblouir.

Passez du temps à les rencontrer sur la route de leur Emmaüs. Dispensez des paroles qui leur révèlent ce qu’ils sont encore incapables de voir : les potentialités cachées dans leurs désillusions mêmes. Guidez-les dans le mystère qu’ils ont sur les lèvres sans pourtant reconnaître sa force. Plus que par les paroles, réchauffez leur cœur par une écoute humble et qui s’intéresse à leur vrai bien, jusqu’à ce que leurs yeux s’ouvrent et qu’ils puissent faire demi-tour et revenir à Celui de qui ils s’étaient éloignés.

Souvenez-vous, je vous en prie, qu’ils connaissaient déjà le Seigneur. Mais ils doivent pourtant le redécouvrir parce qu’entre-temps leurs yeux se sont obscurcis. Aidez-les à reconnaître leur Seigneur, afin qu’ils aient la force de retourner à Jérusalem. Et la foi de la communauté sera enrichie et confirmée par le témoignage de leur retour. Veillez à ce que ne s’insinue pas dangereusement dans vos communautés cet orgueil des « fils aînés » qui les rend incapables de se réjouir avec celui qui « était perdu et qui est retrouvé » (Lc 15,24).

Des évêques missionnaires

En tant que pasteurs missionnaires du salut gratuit de Dieu, cherchez aussi ceux qui ne connaissent pas Jésus et l’ont toujours refusé. Allez dans leur direction, arrêtez-vous devant eux et regardez, sans peur ni suggestions, dans quels arbres ils ont grimpé (cf. Lc 19,1-10). N’ayez pas peur de les inviter à descendre aussitôt, parce que le Seigneur veut entrer, justement aujourd’hui, chez eux. Faites-leur comprendre que le salut passe encore sous l’arbre de leur vie et dépêchez-vous de prendre le chemin de leur habitation, parfois pleine de choses vides de sens.

Il n’est pas vrai que nous pouvons faire abstraction de ces frères qui sont loin. Il ne nous est pas permis d’effacer toute inquiétude pour leur destinée. En outre, s’occuper de leur bien authentique et définitif pourrait ouvrir une brèche dans le périmètre muré avec lequel ils protègent jalousement leur autarcie. En voyant en nous le Seigneur qui les interpelle, peut-être auront-ils le courage de répondre à l’invitation divine. Si cela se produisait, nos communautés seront enrichies de ce qu’ils ont à partager et notre cœur de pasteur se réjouira de pouvoir redire encore : « Aujourd’hui, le salut est entré dans cette maison. » Que cet horizon prévale dans votre regard de pasteur, à la veille de l’Année jubilaire de la miséricorde que nous nous apprêtons à célébrer.

En vous accordant, à vous et à vos Églises, la bénédiction apostolique, je bénis avec beaucoup d’affection et de gratitude Messieurs les cardinaux Marc Ouellet et Leonardo Sandri, les Congrégations qu’ils président et le corps tout entier de leurs collaborateurs.

@Traduction de Zenit, Constance Roques

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