« Le mystère d'un grain de sénevé »

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Par le cardinal Kurt Koch

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Traduction d’Hélène Ginabat

Rome, mardi 17 avril 2012 (ZENIT.org) – « Le comportement chrétien ne peut être que d’amour et de patience, qui est la respiration profonde de l’amour » déclare le cardinal Kurt Koch en commentant la parabole évangélique du grain de sénevé. Pour le président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, cette métaphore de l’amour est au cœur de la pensée théologique de Benoît XVI.

A l’occasion du quatre-vingt-cinquième anniversaire du pape, et du septième anniversaire de son élection au Siège de Pierre, l’archevêque suisse désire contribuer à offrir une « lecture objective du magistère de Benoît XVI dans sa véritable physionomie ».

Il a présenté à Rome, hier, 16 avril, son livre publié en italien : « Le mystère du grain de sénevé. Fondements de la pensée théologique de Benoît XVI » (Il mistero del granello di senape. Fondamenti del pensiero teologico di Benedetto XVI, Turin-Lindau, 2012, 393 pp., 32 euro), dont voici une partie de la préface publiée le 15 avril dans L’Osservatore Romano en italien.

« Le mystère d’un grain de sénevé »

 « Les grandes choses commencent toujours dans un grain de sénevé et les mouvements de masse sont toujours de brève durée » : cette phrase écrite pour décrire les exigences d’une nouvelle évangélisation, par le pape Benoît XVI, lorsqu’il était encore préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, éclaire ce qui tient à cœur au théologien, évêque et pape, Joseph Ratzinger. Ce n’est donc pas étonnant qu’il cite et médite continuellement la parabole du grain de sénevé (Marc 4, 30-32) : le grain de sénevé est la plus petite de toutes les graines, mais il devient la plus grande de toutes les plantes au point que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid sous son ombre.

La comparaison avec le grain de sénevé ne montre pas seulement que les grandes réalités commencent dans ce qui est petit, selon le principe élémentaire que Pierre Teilhard de Chardin, dans sa pensée sur l’évolution, a appelé la loi des origines invisibles ; cette comparaison met plutôt en évidence le principe de base à l’œuvre dans toute l’histoire de Dieu avec l’humanité qui lui appartient, et que le pape Benoît XVI a défini comme « prédilection pour ce qui est petit ». Dans l’immensité sans mesure du cosmos et parmi l’infinie quantité des planètes et des galaxies, Dieu a choisi la terre, ce petit grain de poussière, pour réaliser son œuvre de salut. Sur cette petite terre, parmi tous les peuples puissants, Dieu a choisi Israël, un peuple pratiquement impuissant sur le plan politique, pour être la colonne porteuse de son histoire avec nous, les hommes. En Israël, Dieu a choisi le lieu modeste de Bethléem pour, comme homme, s’approcher de nous, les hommes. A Bethléem, Dieu a choisi Marie, une femme inconnue et sans importance, pour pouvoir entrer dans notre monde. Dans le cours de l’histoire, Dieu a toujours appelé des hommes simples qui, en s’immergeant personnellement dans l’évangile, pouvaient renouveler l’Eglise de l’intérieur.

Le grain de sénevé n’est pas seulement une métaphore de l’espérance chrétienne, mais il souligne aussi que ce qui est grand naît de ce qui est petit, non point par des bouleversements révolutionnaires, ni même pour que nous, les hommes, nous en assurions la mise en scène, mais parce que cela se produit de manière lente et graduelle, selon une dynamique propre. Face à cela, le comportement chrétien ne peut être que d’amour et de patience, respiration profonde de l’amour. La comparaison avec le grain de sénevé nous conduit aussi au cœur de la pensée théologique du pape Benoît XVI, c’est-à-dire l’amour : l’amour de Dieu pour nous, les hommes – inimaginable et qui, pourtant, correspond au logos – et la réponse humaine en retour à cet amour divin, qui ne peut se réaliser que dans l’amour envers Dieu et envers les hommes.

A la lumière de l’amour, dans la comparaison que fait Jésus du grain de sénevé, l’accent n’est pas mis uniquement sur la plante qui devient grande, mais sur la graine et donc sur l’espérance patiente en une croissance tranquille, justement parce que Dieu juge et apprécie la patience, qui est la sœur particulièrement sensible de l’amour, et c’est pour cela qu’il fait continuellement jaillir ce qui est grand de ce qui est petit. Cette comparaison est donc destinée à réveiller en nous, les hommes, la joie de ce qui est beau, qui est intimement liée à l’espérance et qui nous conduit dans le mystère de Dieu et de son histoire salvifique, comme Benoît XVI l’a souligné lors de sa rencontre avec les artistes : « La voie de la beauté nous conduit donc à cueillir le Tout dans le fragment, l’Infini dans le fini, Dieu dans l’histoire de l’humanité ».

A l’inverse, nous, les hommes, nous sommes toujours tentés de prendre le particulier pour le tout, d’échanger le fini pour l’infini et, en conséquence, de mettre l’accent, dans la parabole de Jésus, sur la croissance ; nous voudrions, avec une impatience nerveuse, avoir très rapidement un grand arbre robuste et, si nécessaire, y contribuer de nos mains, dans notre effort pour percevoir immédiatement un résultat remarquable ; en pastorale, nous risquons alors de confondre le souci des âmes et la préoccupation du nombre. Cette tentation dérive peut-être essentiellement du fait que la pensée théologique et la pastorale du pape Benoît XVI sont continuellement exposées à de graves malentendus, dont nous pouvons brièvement rappeler les plus fréquemment exprimés.

Une critique très diffuse considère que le pape n’a pas à cœur la grande église du peuple, les « masses » ; il s’adresserait surtout au petit troupeau et s’en contenterait. Le seul point qui soit vrai dans cette critique, c’est qu’en réalité, le pape est convaincu que le véritable renouveau de l’Eglise ne peut pas partir des masses, mais seulement de petits mouvements, comme en témoigne de manière variée l’histoire de l’Eglise et comme cela est visible aujourd’hui, par exemple, dans les nouveaux mouvements ecclésiaux qui n’ont pas été projetés par les instances officielles de l’Eglise et qui, justement, peuvent être considérés comme un don de l’Esprit-Saint dans la situation de l’Eglise post-conciliaire. Mais, aux yeux du pape, ceux-ci n’accomplissent leur mission ecclésiale que s’ils agissent comme levain dans l’Eglise, en manifestant de manière visible qu’ « il y a une unique Eglise pour tous, qu’il n’y a pas d’Eglises d’élites ni d’Eglises d’élection » ; « L’Eglise n’est pas un marché dans lequel chacun se cherche son groupuscule, mais une famille dans laquelle je ne me cherche pas des frères, mais je les reçois comme un don de Dieu ». Par la comparaison du grain de sénevé, le pape souligne que l’action dans l’Eglise devrait avoir comme point de référence son mystère et non pas exiger d’en tirer tout de suite un grand arbre. L’Eglise est à la fois le grain de sénevé et l’arbre et le pape le souligne en précisant que : « Peut-être devrions- nous, l’Eglise devrait-elle se retrouver face à de grandes épreuves (I Thessaloniciens 1, 6) pour apprendre à nouveau de quoi elle vit aujourd’hui : elle vit de l’espérance du grain de sénevé et non pas de la force de ses projets et de ses structures ».

Une autre critique plus profonde et souvent répétée, soutient que le pape Benoît XVI aurait engagé une marche en arrière et voudrait retourner avant le concile Vatican II. Si l’on ne se fie pas aveuglément à quelques moyens de communication qui n’offrent pas d’informations sérieuses mais se contentent de divertissements, mais que l’on accorde son atte
ntion de manière autonome à ce que fait et dit le pape, on peut facilement s’assurer que le pape ne veut absolument pas retourner « en arrière ». C’est ce qu’on lui reproche publiquement aujourd’hui de différents côtés, soit par ignorance soit pour suivre ces théologiens qui, bien qu’ayant les connaissances nécessaires, tiennent souvent des discours populistes et soutiennent intentionnellement le contraire au niveau public, prenant pour de l’honnêteté scientifique l’agitation dans la politique ecclésiale. Le pape Benoît ne veut absolument pas retourner en arrière, mais aller en profondeur comme le grain de sénevé qui ne grandit que dans la profondeur de la terre. Pour le pape, donc, les réformes particulières ne sont pas importantes, ce qui lui importe c’est de faire resplendir à nouveau les fondements et le cœur de la foi chrétienne. Il aspire à une simplification de la foi chrétienne, comme il l’a annoncé jusqu’ici de manière exemplaire dans ses trois encycliques.

Il est urgent aujourd’hui d’élaborer des réponses à ces critiques et préjugés, et à d’autres encore, en présentant la véritable physionomie de la pensée théologique et du magistère du pape Benoît XVI. Au cours de ces cinq dernières années, j’ai cherché à m’appliquer à cette tâche du mieux que j’ai pu et dans la mesure où mon travail d’évêque, quotidien et minutieux, m’en ont laissé le temps, persuadé que cela fait aussi partie de la responsabilité d’un évêque local d’aider les fidèles à s’orienter dans la confusion des points de vue actuels et dans le vacarme médiatique, dans la désinformation volontaire et dans les manipulations caricaturales. Par la publication de cet ouvrage, j’espère pouvoir fournir à un cercle plus large une aide pour s’orienter et pour discerner les esprits. Je me suis engagé dans cette tâche avec, surtout, la conviction qu’il y a des situations dans la vie de l’Eglise où le devoir que Jésus a confié à Pierre au cours de la dernière Cène, et qui vaut aussi pour son successeur – « Affermis tes frères » (Luc 22, 32) -, doit aussi être appliqué en sens inverse et, plus précisément, avec la conviction qu’un évêque local doit considérer comme son devoir de soutenir le Successeur de Pierre dans sa charge si importante. Ce qui me lie à lui, c’est surtout l’inébranlable espérance qu’il n’y a pas de Pâques sans Vendredi saint, mais qu’à chaque Vendredi saint succède Pâques et que c’est en cela que consiste le fondement le plus solide de la joie chrétienne. Dans cette joyeuse espérance, nous sommes bien inspirés, en ce Vendredi saint que vit l’Eglise, si nous portons notre attention non seulement aux coups sonores de ce qui détruit, mais surtout à la venue silencieuse de la vie nouvelle dans la nuit de Pâques, qui porte en elle le développement organique caché dans le secret du grain de sénevé.

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ZENIT Staff

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