Le Liban est « un message de coexistence pacifique », par le général Aoun

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L’homme d’Etat libanais explique son engagement de chrétien en politique

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ROME, Mercredi 15 février 2006 (ZENIT.org) – « Il est très clair pour moi que le Liban est un message de coexistence pacifique », explique le général Aoun.

A l’occasion de son passage à Rome, en décembre 2005, où le général Aoun a rencontré la communauté libanaise et où il a eu des entretiens au Vatican, Zenit a recueilli le témoignage de ce soldat qui veut mener son engagement politique actuel en chrétien.

Après quasi 15 ans d’exil en France, où il a fondé le « Courant patriotique libre », multiconfessionnel, le général libanais Michel Aoun est revenu dans sa patrie le 7 mai 2005.

Zenit : A l’occasion de l’audience générale de ce mercredi 14 décembre, vous avez parlé quelques minutes avec Benoît XVI. Connaissiez-vous déjà le pape Ratzinger ?

Général Aoun : Je le connaissais seulement de nom et du fait de sa fonction. Je sais qu’il a beaucoup participé à l’élaboration de la doctrine catholique. Je l’ai rencontré pour la première fois. C’était vraiment bénéfique pour moi de recevoir sa bénédiction. Je sais qu’il aura toujours une pensée pour le Liban, qu’il le défendra, lui qui est la plus grande autorité morale dans le monde, et cela va énormément aider le Liban.

Zenit : Vous aviez également rencontré Jean-Paul II. Quelle impression gardez-vous de lui ?

Général Aoun : Jean-Paul II respirait la sainteté. C’était un homme de justice, de droit et d’une morale très profonde. Sa vie était un combat permanent pour libérer l’humanité. Nous l’avons ressenti lorsqu’il est venu au Liban, à travers ses préoccupations personnelles pour le Liban, un pays qui souffrait et qui continue de souffrir.

Zenit : Jean-Paul II avait voulu qu’un synode des évêques du Liban ait lieu à Rome. Il avait demandé que le Liban soit libéré de l’occupation…

Général Aoun : Oui effectivement. J’avais moi-même adressé un message à ce synode. Je crois que cela a beaucoup homogénéisé les relations entre les chrétiens eux-mêmes, entre chrétiens et musulmans et aussi entre les musulmans. C’était un appel à la modération, la tolérance et le respect de l’autre dans le cadre de la liberté.

Zenit : Comment voyez-vous le rôle des chrétiens dans le pays ? Pensez-vous que les chrétiens engagés en politique peuvent se retrouver et se réconcilier ?

Général Aoun : La majorité des chrétiens est en train de rejoindre le groupe chrétien favorable à une politique de compréhension, dans le but de protéger tout le monde et faire respecter la communauté. Je crois qu’on est en train de réussir.

Zenit : Pensez-vous qu’il y aura un durcissement en face des attentats ? Il y a eu, entre autres, la mort de M. Rafic Hariri, du journaliste Samir Kassir, de M. Gebrane Tuéni. Restez-vous optimiste malgré tout ?

Général Aoun : Le peuple libanais a offert de nombreux martyrs pour sa liberté et pour son indépendance. Un crime de plus ne va pas le détruire. Les Libanais vont s’endurcir contre le crime. Ils sont très jaloux de leur liberté et de leur indépendance. Je pense que cela va entraîner une remise en question générale et que l’on en ressortira avec des idées constructives pour le pays.

Zenit : Dans son message pour la paix du 1er janvier 2006, Benoît XVI s’est adressé aux nations en lançant en appel pour le désarmement et en invitant à réinvestir l’argent consacré à l’armement, dans le développement des peuples. Pensez-vous que le Liban, le Moyen-Orient, le Hezbollah entrent peu à peu dans une logique de désarmement pour le développement ?

Général Aoun : Certainement. C’est une initiative internationale. Je crois que tout le monde pourrait à ce moment-là envisager le désarmement.

Zenit : On dit que le Liban s’appauvrit parce que la diaspora continue d’augmenter. Est-ce exact ?

Général Aoun : Le Liban s’est appauvri ces 15 dernières années. Après la guerre chaude des armes, nous avons subi la guerre économique. Environ cent mille personnes ont quitté le pays chaque année, surtout les forces vives, les jeunes, qui sont allés construire ailleurs. Je pense que la restauration du pouvoir au Liban, dans un climat de confiance, de sécurité, ainsi que des mesures pour lutter contre la corruption, pourraient faire revenir les Libanais dans leur beau pays. Avant tout, il s’agit d’une question de stabilité et de confiance dans le pouvoir.

Zenit : Jean-Paul II avait employé cette expression pour le Liban : « plus qu’un pays, c’est un message ». Comment interprétez-vous cette phrase de Jean Paul II ?

Général Aoun : Il est très clair pour moi que le Liban est un message de coexistence pacifique, de compréhension mutuelle, de respect, de droit à la différence ; un espace où toutes les croyances peuvent s’exprimer librement. C’est cela, le Liban. Si on tente de le détruire, cela aura une influence négative dans le monde entier. J’ai écrit en 1989 qu’il fallait faire attention à l’affrontement entre l’islam et l’occident. Le monde n’a pas cru au développement de ces monocultures qui refusent dans l’autre le droit à la différence. Nous sommes maintenant dans une guerre globale contre le terrorisme, contre la “ monoculture ”. J’espère que cette crise finira et que le monde poursuivra sa route vers le pluralisme. Le pluralisme est l’expression la plus correcte représentant la société.

Zenit : Le Liban accueille cette mosaïque de cultures différentes…

Général Aoun : Si on étudie la démographie du Liban on se rend compte que toutes les communautés qui y sont présentes avaient subi une persécution et se sont réfugiées au Liban pour pouvoir garder leurs habitudes et leur religion. Ils ont en commun l’aspiration à la liberté, à la liberté de la foi.

Zenit : Qu’est-ce que vous attendez des chrétiens au Liban, et plus précisément peut-être, des Maronites ?

Général Aoun : Pour nous l’expression « maronite » n’est pas le terme exact, on parle beaucoup plus des « chrétiens » en général. Nous considérons les rites comme des héritages secondaires, parce que nous sommes tous chrétiens par le Christ, que l’on soit maronite, grec catholique, melkite, etc. L’essentiel c’est le christianisme et je crois que le rôle des chrétiens peut diminuer ou augmenter selon l’époque ou selon la situation. Les chrétiens ont fait l’unité du Liban ; ils étaient les seuls à cohabiter avec les différents groupes musulmans, alors que la convivialité entre les différents groupes musulmans n’existait pas. Ils ont un rôle historique, qui est celui de vivre leur mission, d’être un élément d’entente, un élément fédérateur du peuple du Liban dans ses différentes composantes. En jouant ce rôle, ils peuvent, je crois, récupérer leurs fonctions dans la république et participer à la politique et à la construction socio-économique du pays.

Zenit : Attendez-vous quelque chose de la France ? Existent-ils encore de forts liens culturels ?

Général Aoun : Plus que des liens culturels, ce sont des liens familiaux qui existent entre les Français et les Libanais, en raison même de l’émigration provoquée par la guerre. Les Franco-libanais ont augmenté énormément. Les Libanais considèrent d’ailleurs la France comme leur deuxième pays. Les Français eux-mêmes n’auraient pas tort de considérer le Liban comme leur deuxième pays car ils sont très aimés au Liban. La relation entre le Liban et la France est une relation séculaire.

Zenit : Et pourtant quelquefois on a l’impression que les Français ont laissé passer des évènements dans l’indifférence, ou ne se rendent pas toujours compte de ce
qui passe au Liban…

Général Aoun : Vous savez que les media jouent un rôle très important, on les suit ! Et s’ils négligent un problème, alors les Français ne vont sûrement pas le percevoir. Parfois il y a de la désinformation : on n’a plus de vrai éclairage sur ce qui se passe dans le monde. Souvent les problèmes du Liban ont été mal présentés. Nous avons crié « attention » , le Liban est l’avant-poste de l’Europe, et s’il est « chaud » les conséquences seront très graves ailleurs. On croyait que c’était un appel de secours. C’est vrai, c’était un appel de secours, mais pas seulement pour le Liban.

Zenit : Il y a quelques années, lorsque M. Yasser Arafat est sorti d’un entretien avec M. Jacques Delors à Bruxelles, il a déclaré avoir compris quelque chose de ce qui se construisait en Europe, et il entrevoyait la possibilité, peu à peu, de réaliser aussi une union économique pour la prospérité du Moyen-Orient. Est-ce que vous croyez que cette exportation d’un modèle de réconciliation et d’union économique est possible ? Est-ce que l’union économique de cette région pourrait un jour consolider la paix ? <br>
Général Aoun : Si on pense raisonnablement, ça pourrait arriver. Mais si on perd la raison, souvent pour des raisons mystiques ou fictives, on n’y arrivera jamais. Il faut qu’il y ait une certaine ambiance pour avoir une certaine objectivité et prendre une telle décision. Mais tant qu’on n’est pas objectif et qu’on lutte pour des utopies, on ne peut pas y arriver. On espère développer une méthode de raisonnement pratique et former un jugement critique qui nous permette de discerner entre ce qui est bon, à suivre, et ce qui est mauvais, à rejeter, mais maintenant les gens agissent sous l’influence des peurs classiques, ils n’osent pas prendre des décisions et des initiatives très courageuses. Peut-être avec un certain progrès de la paix, pourra-t-on construire cette unité. D’ailleurs le Pacte des pays arabes, de la Ligue arabe a été fait bien avant l’Union Européenne, dans les années quarante et il était très bien rédigé avec de très bonnes idées, mais malheureusement il n’a pas été respecté : on pouvait devancer l’Europe dans l’union, mais l’Orient est un peu différent de l’Europe, les gens sont moins rationnels, beaucoup plus mystiques. Malheureusement on ne sait pas quand on va pouvoir trouver un équilibre.

Zenit : Qu’est ce que vous aimeriez dire à nos lecteurs pour leur faire comprendre la situation actuelle du Liban et votre vision du Liban à venir ?

Général Aoun : Je crois que le Liban est devenu une société pluraliste avant son temps, et c’est pour cela qu’il a été détruit. Mais il recouvre la vie actuellement et il est le meilleur pays pour vivre le pluralisme, le droit à la différence, la liberté de croyance. C’est la société du 21e siècle, il faut l’aider. C’est un modèle.

Zenit : Comment pouvons-nous aider le Liban et aimer le Liban?

Général Aoun : Il suffit d’y être allé une fois pour voir qu’il est attachant. Le peuple est accueillant, on a l’esprit ouvert parce qu’on est pluraliste par nature. Et malgré tout ce que vous entendez sur le Liban, c’est un pays qui vit la tolérance : c’est un mode de vie chez nous ! Et c’est pourquoi vous pouvez voir le voile et la mini-jupe coexister dans la même famille, et pas seulement dans le même quartier : on ne trouve pas cela dans les autres sociétés !

Zenit : Ce qui frappe beaucoup dans votre vision c’est cette espérance. Pendant ces 15 ans en France vous avez vécu cette espérance ?

Général Aoun : A un certain moment de ma vie, il n’y plus eu de relation entre ce que j’attendais et ce que je vivais. Il y a eu une rupture totale, et l’espérance a été la seule vertu qui m’a sauvé quand je ne pouvais plus rien « voir » autour de moi.

Zenit : L’espérance est une vertu théologale, elle représente aussi une force d’action : c’est elle qui vous donne ce regard positif sur l’avenir du Liban ?

Général Aoun : Bien sûr, on ne peut pas espérer dans certains domaines et dans d’autres domaines ne pas le faire. L’espérance est « globale » dans une vie.

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ZENIT Staff

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