Le "défi" du président Lincoln, prédication du P. Cantalamessa pour le Vendredi Saint

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Le Christ « notre Paix »

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CITE DU VATICAN, Vendredi 18 avril 2003 (ZENIT.org) – « C’est lui notre Paix »: tel est le titre de l’homélie du P. Raniero Cantalamessa, Capucin, prédicateur de la Maison pontificale, lors de la célébration de l’office de la Passion, présidé par Jean-Paul II, en fin d’après midi, ce Vendredi Saint, en la basilique Saint-Pierre. Le P. Cantalamessa part de ce verset de l’Epître aux Ephésiens. Il cite l’exemple du président Lincoln de transformer ses ennemis en amis. Le prédicateur affirme: « La paix ne se fait pas comme la guerre ».

Il explique en substance: « Elle se fait en commençant tout de suite, même en serrant une main. Comment défiler pour la paix et fracasser des vitrines? Pendre au balcon le drapeau de la paix et à la maison élever la voix et imposer son point de vue? Il ne s’agit pas de détruire l’ennemi mais de détruire la haine. En soi. De jeter dans la fournaise ardente du Coeur du Crucifié tout désir de se faire justice soi-même ».

Il cite la prière de Jean-Paul II à Sarajevo en 1997: « Libère-nous du fléau de la guerre… Ta volonté est paix ».

Voici notre traduction, rapide, de travail.

– « C’est lui notre Paix » –

« Imagine qu’il n’y ait pas de paradis, / c’est facile, si tu essaies./ Aucun enfer sous nos pieds, / et au-dessus de nous, seulement le ciel ».
(Imagine there’s non Heaven / it’s easy if you try./ No Hell below us / above us only sky).
« Imagine tous ceux qui vivent pour l’aujourd’hui. / Imagine qu’il n’y ait pas de patrie./ Ce n’est pas difficile, tu verras. /Aucune raison de tuer ou de mourir/ et plus de religion non plus ».
(Imagine all the people / living for today./ Imagine there’s no countries / it isn’t hard to do./ Nothing to kill or die for /and no religion too).
« Imagine que tous vivent leur vie en paix./ Tu me prends pour un rêveur? / Je ne suis pas le seul. / J’espère qu’un jour tu nous rejoindras / et le monde vivra comme un seul homme ».
(Imagine all the people / living life in peace. / You may say I’m a dreamer / But I’m not the only one./ I hope someday you’ll join us / and the world will live as one)”[1] .

Il me semble que cette maxime: « Aux personnes âgés, les philosophes servent de maîtres, et aux jeunes, les poètes », est de Platon. Aujourd’hui, à vrai dire, les maîtres des jeunes ne sont pas non plus les poètes, mais les chanteurs; non la poésie, mais la musique. Il y a des millions de jeunes dont la vision de la vie est calquée sur celle du chanteur préféré (quand ce n’est pas sur la chanson).
Au cours des semaines agitées que nous venons de vivre, cette chanson, écrite par une des grandes idoles de la musique légère moderne, sur une mélodie séduisante, a résonné fréquemment dans les manifestations et dans les programmes radiophonique comme une sorte de manifeste pacifiste.

Nous ne pouvons pas la laisser sans réponse. Un jour, Jésus a pris pour point de départ de son enseignement ce que chantaient les enfants de son temps sur les places: « Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé, nous avons chanté une lamentation et vous n’avez pas pleuré » (Mt 11,16-17). Nous devons suivre son exemple.
* * *
La première question que nous nous posons est la suivante: Pourquoi s’efforcer « d’imaginer » quelque chose que nous avons eu sous les yeux jusqu’à hier? Un monde sans paradis ni enfer, sans religion, sans patrie, with no possessions, sans propriété privée, où l’on enseignait aux gens à vivre uniquement « pour ici-bas »: n’est-ce pas exactement la société que les régimes totalitaires se proposaient de réaliser? Le rêve par conséquent n’est pas nouveau, mais le réveil n’a pas été joyeux…

« Plus de paradis, plus d’enfer »: ces paroles non plus ne résonnent pas pour la première fois dans le monde. « Si Dieu existe, l’homme n’est rien. Dieu n’existe pas! Bonheur, larmes de joie! « Plus de ciel. Plus d’enfer! Rien d’autre que la terre ». Ce sont des paroles qu’un philosophe bien connu mettait sur les lèvres de l’un de ses personnages dans les années rugissantes de l’existentialisme athée [2] .

Mais le même auteur a écrit aussi un autre drame, intitulé « Huis-clos ». Il y parle de trois personnes – un homme et deux femmes – introduites dans une pièce, à des brefs intervalles. Pas de fenêtres, la lumière est maximum et il n’est pas possible de l’éteindre, la chaleur est suffocante et il n’y a rien d’autre qu’un canapé. la porte est close, il y a une cloche mais d’où ne sort aucun son. De qui s’agit-il? Ce sont trois personnes qui viennent de mourir et le lieu où elles se trouvent est l’enfer.

A force de fouiller dans les vies les uns des autres, leurs âmes sont mises à nu devant tous et les fautes dont ils ont le plus honte sont révélées et exploitées sans pitié par les autres (l’un est déserteur, l’autre infanticide…). L’un des personnages dit aux deux autres: « Souvenez-vous: le soufre, les flammes, le gril: ce sont des bêtises. Il n’y a pas besoin de gril: l’enfer, c’est les autres » [3] . De cette manière, l’enfer n’est donc pas aboli: il est seulement transféré sur terre.
* * *
Mais la chanson que j’ai rappelée, à part les suggestions erronées pour la réaliser, contient une aspiration juste et saine que l’on ne peut laisser tomber dans le vide. Ecoutons un autre « chant » sur la paix et l’unité, écrit longtemps auparavant:

“Car c’est lui qui est notre paix,
lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un,
détruisant la barrière qui les séparait,
supprimant en sa chair
la haine,
cette Loi des préceptes avec ses ordonnances,
pour créer en sa personne les deux
en un seul Homme Nouveau,
faire la paix,
et les réconcilier avec Dieu,
tous deux en un seul Corps, par la Croix :
en sa personne il a tué la Haine.
Alors il est venu proclamer la paix,
paix pour vous qui étiez loin
et paix pour ceux qui étaient proches :
par lui nous avons en effet,
tous deux en un seul Esprit,
libre accès auprès du Père” (Ep 2, 14-18).

On présente ici aussi un monde où l’on vit « en paix », comme « une seule chose »; mais la voie pour y arriver est très différente. « Il a fait la paix en tuant en lui la Haine ». En tuant l’inimitié, pas l’ennemi. En la détruisant en lui-même, non dans les autres!

A la même époque, un autre grand homme proclamait au monde que la paix était advenue. En Asie mineure, on a retrouvé entre les pierres d’une mosquée une copie du fameux « Index des entreprises » de l’empereur Auguste. Il y célèbre la « Pax romana » qu’il a établie dans le monde, et la définit comme « parta victoris pax », une paix obtenue par des victoires militaires [4].

Jésus n’aborde pas la question de cette paix-là, mais il révèle l’existence d’une autre, d’un type différent. Il dit: « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je vous la donne non comme le monde la donne » (Jn 14, 27). C’est aussi « une paix fruit de victoires ». Mais des victoires sur soi-même, non sur les autres, de victoires spirituelles, non militaires. « Il a vaincu le lion de la tribu de Juda », vicit leo de tribu Juda, s’exclame l’Apocalypse (5, 5), mais saint Augustin explique: “Victor quia victima”, vainqueur parce que victime [5]. Jésus nous a enseigné qu’il n’existe aucun motif de tuer, mais une chose pour laquelle mourir.
* * *
Le chemin de la paix de l’Evangile n’a pas de sens seulement dans le domaine de la paix; elle est valable aussi dans le domaine politique, pour la société. C’est la situation actuelle du monde qui exige que l’on échange la méthode d’Auguste pour celle du Christ. La conscience moderne n’accepte plus la vocation que Virgile indiquait à ses concitoyens: “Tu regere imperio populos, Romane, memento” [6] : « Souviens-toi, Rome, (de ton rôle) d’exercer la domination sur les peuples ». Chaque peuple revendique son droit à s’autogouverner.

Nous voyons clairement aujourd’hui que
le seul chemin vers la paix est de détruire la haine, non l’ennemi (nous détruirions la moitié de la population du monde, qui est mécontente de la situation actuelle? Et comment identifier l’ennemi dans le terrorisme?). Un jour quelqu’un fit à Abraham Lincoln le reproche de se montrer trop courtois avec ses ennemis, lui rappelant que son devoir de président était plutôt de les détruire. Et lui répondit: « Est-ce que je ne détruis pas mes ennemis en m’en faisant des amis? »

[A l’adage de Tertullien: « Le sang des martyrs est semence de chrétiens », on peut ajouter ce corollaire: « Le sang des ennemis, semence d’ennemis » (ajout improvisé, en substance)]

Trouvera-t-il, ce grand président des Etats-Unis quelqu’un pour recueillir ce formidable défi? Les ennemis se détruisent pas les armes, la haine par le dialogue. Avant de l’indiquer aux Nations, l’Eglise, guidée par le pape, s’efforce de réaliser ce programme dans ses relations avec les différentes religions.
* * *
Nous n’avons recueilli que la moitié du message chrétien sur la paix. Un slogan très à la mode aujourd’hui dit: “Think globally, act locally”: pense globalement, agis localment. Cela vaut surtout pour la paix. La paix ne se fait pas comme la guerre. Pour faire la guerre, il faut de longs préparatifs: former de grosses armées, prévoir des stratégies, sceller des allainces, et ensuite lancer l’attaque en rangs serrés. Malheur à qui voudrait commencer le premier, seul et en petits groupes: il serait voué à une défaite certaine.

La paix se fait exactement à l’inverse: par petits groupes, en commençant immédiatement, les premiers, et même tout seul, même tout simplement en serrant une main. Des milliards de gouttes d’eau sale ne feront jamais un océan pur. Des milliards d’hommes sans la paix du coeur – et de familles sans paix – ne feront jamais une humanité en paix. Un des messages de Jean-Paul II pour la journée de la paix, en 1984, avait pour titre: « La paix naît d’un coeur nouveau ».

Quel sens cela a-t-il de défiler dans les rues en criant « Paix! », si l’on lève un poing menaçant et si l’on défonce les vitrines? Peut-on être des « pacifistes à main armée »? Et mettre le drapeau de la paix à sa fenêtre, quel sens cela a-t-il si, à la maison, on élève la voix, si l’on impose tyranniquement sa propre volonté, et si l’on érige des murs d’hostilité ou de silence? Ne vaudrait-il pas mieux dans ce cas décrocher le drapeau et le placer à l’intérieur de la maison?
Mais nous aussi ici réunis, nous devons faire quelque chose pour être dignes de parler de paix. Jésus est venu annoncer « paix à qui est au loin et paix qui est proche ». La paix avec les « voisins » est souvent plus difficile que la paix avec ceux qui sont « au loin »… Jésus a dit: Si tu présentes ton offrande à l’autel et que tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande et va d’abord te réconcilier avec ton frère et ensuite reviens présenter ton offrande ». (Mt 5, 23-24).

Bientôt nous allons nous approcher et embrasser le Crucifix. Si nous ne voulons pas que du haut de sa Croix Jésus nous redise: « Va d’abord te réconcilier avec ton frère! », notre baiser ne doit pas seulement être donné à lui, qui est la tête, mais aussi aux membres de son corps, spécialement ceux que nous avons tendance à refuser.

Autrefois, au terme du carême, ou de missions populaires, on jetait au feu les « vanités ». Un bûcher était allumé au centre de la grand place du ville et chacun y jetait les instruments du vice ou des objets de superstition qu’il avait chez lui. Eux, faisaient un feu de joie des vanités, nous, faisons un feu de joie des hostilités! Jetons dans les bras du Crucifix et dans la fournaise ardente de son Coeur toute haine, toute rancoeur, ressentiment, envie, rivalité, tout désir de se faire justice soi-même.
* * *
« Par lui nous avons en effet, tous en un seul Esprit, libre accès auprès du Père ». « Tous »: plus seulement juifs et païens, mais aussi chrétiens et musulmans, latins et grecs, catholiques et protestants, clerc et laïcs, hommes et femmes, blancs et noirs.

Voilà la réponse de l’Evangile au rêve de la chanson: « Et le monde sera une seule chose », and the world will live as one. Nous connaissons l’objection: « Deux mil ans sont passés et depuis, qu’est-ce qui a changé? » Mais ne nous trompons pas. Le monde réconcilié, devenu un dans le Christ, existe déjà. C’est ce que Dieu voit lorsqu’il regarde notre planète tourmentée, lui qui embrasse dans son regard le passé, le présent et l’avenir ensemble.

Ce que saint François d’Assise dit de tout homme vaut aussi pour le monde: « Ce que l’homme est devant Dieu, il est cela et pas autre chose » [7]. Ce que le monde est devant Dieu, il est cela, et rien d’autre. Et aux yeux de Dieu, déjà maintenant, « il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, parce que tous nous sommes un dans le Christ Jésus » (cf. Gal 3, 28).

Le 13 avril 1997, au stade de Sarajevo, le Saint Père Jean-Paul II a élevé vers Dieu une prière pour la paix. Nous nous unissons à son cri plein de tristesse, qui n’est pas moins actuel aujourd’hui qu’hier, après la guerre à peine consumée, et alors que d’autres continuent, oubliées.

« Moi, évêque de Rome, je m’agenouille devant toi, Seigneur, pour crier: Libère-nous du fléau de la guerre. Que ton règne vienne; règne de justice, de paix, de pardon et d’amour. Tu n’aimes pas la violence ni la haine, tu as horreur de l’injustice et de l’égoïsme. Tu veux que les hommes soient frères et te reconnaissent comme leur père. Ta volonté, c’est la paix ». Que ta volonté soit faite!

(c) P. Raniero Cantalamessa, OFM Cap., Prédicateur de la Maison pontificale

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[1] John Lennon, Imagine.
[2] J.-P. Sartre, Le diable et le Bon Dieu, X, 4 (Gallimard, Paris 1951, p. 267 s.)
[3] J.-P. Sartre, Huis-clos, sc. 5 (Gallimard, Paris 1947, p. 93).
[4] Monumentum Ancyranum, ed. Th. Mommsen, 1883.
[5] S. Augustin, Les Confessions, X, 43.
[6] Virgile, L’Eneide, 6,851.
[7] S. François d’Assise, Admonitions, XIX (Sources Franciscaines, n. 169).

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ZENIT Staff

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