"La vraie foi implique un désir de changer le monde"

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Messe du Saint Nom de Jésus, homélie intégrale

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« Une foi authentique implique toujours un désir profond de changer le monde », souligne le pape François qui invite à se remettre en question « avons-nous, nous aussi, de grandes visions et un grand élan ? Sommes-nous, nous aussi, audacieux ? Avons-nous de grands rêves ? Le zèle nous dévore-t-il ? »

Le pape a célébré une messe d’action de grâce pour la canonisation du premier prêtre jésuite, le français Pierre Favre, en l’église du Gesù à Rome, ce vendredi 3 janvier, fête du Saint Nom de Jésus, titre de la Compagnie de Jésus.

Le pape était notamment entouré de plus de 300 jésuites, du cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints, du cardinal Agostino Vallini, vicaire général du pape pour le diocèse de Rome, de Mgr Yves Boivineau, évêque d’Annecy (diocèse d’origine du père Favre) et son vicaire général le P. Alain Fournier-Bidoz ainsi que du préposé général des jésuites, le P. Adolfo Nicolás.

Homélie du pape François :

Saint Paul nous dit – nous l’avons entendu : « Ayez entre vous les dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus : lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. » (Ph 2,5-7). Nous autres, jésuites, nous voulons être appelés du nom de Jésus, nous battre sous l’étendard de sa Croix, et cela signifie : avoir les mêmes sentiments que le Christ. Cela signifie penser comme lui, aimer comme lui, voir comme lui, marcher comme lui. Cela signifie faire ce qu’il a fait et avec les mêmes sentiments que lui, avec les sentiments de son cœur.

Le cœur du Christ est le cœur d’un Dieu qui, par amour, s’est « anéanti ». Chacun de nous, jésuites qui suivons Jésus, devrait être disposé à s’anéantir. Nous sommes appelés à cet abaissement, à être des « anéantis ». Être des hommes qui ne doivent pas vivre centrés sur eux-mêmes, parce que le centre de la Compagnie est le Christ et son Église. Et Dieu est le « Deus semper maior », le Dieu qui nous surprend toujours. Et si le Dieu des surprises n’est pas au centre, la Compagnie s’égare. C’est pour cela qu’être jésuite signifie être une personne à la pensée incomplète, à la pensée ouverte : parce qu’on pense toujours en regardant l’horizon qui est la gloire de Dieu, toujours plus grande, qui nous surprend sans cesse. Et c’est cela l’inquiétude qui nous dévore. Cette sainte et belle inquiétude

Mais parce que nous sommes pécheurs, nous pouvons nous demander si notre cœur a conservé l’inquiétude de la recherche ou si, au contraire, il s’est atrophié ; si notre cœur est toujours en tension : un cœur qui ne se repose pas, ne se referme pas sur lui-même, mais qui bat au rythme d’un chemin à accomplir avec le peuple fidèle de Dieu. Il faut chercher Dieu pour le trouver, et le trouver pour le chercher encore et sans cesse. Seule cette inquiétude donne la paix au cœur d’un jésuite, une inquiétude qui est aussi apostolique, qui ne doit pas nous lasser d’annoncer le kérygme, d’évangéliser avec courage. C’est l’inquiétude qui nous prépare à recevoir le don de la fécondité apostolique. Sans inquiétude, nous sommes stériles.

C’est cette inquiétude qu’avait Pierre Favre, un homme de grands désirs, un autre Daniel. Favre était un « homme modeste, sensible, qui avait une vie intérieure profonde et le don de lier des rapports d’amitié avec des personnes de tout genre » (Benoît XVI, Discours aux jésuites, 22 avril 2006). Pourtant, c’était aussi un esprit inquiet, indécis, jamais satisfait. Sous la conduite de saint Ignace, il a appris à unir une sensibilité anxieuse mais aussi douce, je dirais exquise, à sa capacité à prendre des décisions. C’était un homme de grands désirs ; il a assumé ses désirs, il les a reconnus. Et même, pour Favre, c’est justement lorsque se présentent des difficultés que se manifeste le véritable désir qui pousse à l’action (cf. Memoriale, 301). Une foi authentique implique toujours un désir profond de changer le monde. Voilà la question que nous devons nous poser : avons-nous, nous aussi, de grandes visions et un grand élan ? Sommes-nous, nous aussi, audacieux ? Avons-nous de grands rêves ? Le zèle nous dévore-t-il (cf. Ps 69,10) ? Ou bien sommes-nous médiocres et nous contentons-nous de nos programmes apostoliques de laboratoire ? Souvenons-nous toujours de cela : la force de l’Église ne se trouve pas en elle-même et dans sa capacité d’organisation, mais elle se cache dans les eaux profondes de Dieu. Des eaux qui agitent nos désirs et les désirs élargissent le cœur. C’est ce que dit saint Augustin : prier pour désirer et désirer pour élargir son cœur. C’est précisément dans ses désirs que Favre pouvait discerner la voix de Dieu. Sans désirs, on ne va nulle part et c’est pour cela qu’il faut offrir ses désirs au Seigneur. Dans les Constitutions, il est dit qu’« on aide son prochain en présentant ses désirs à Dieu notre Seigneur » (Constitutions, 639).

Favre avait un désir véritable et profond d’ « être dilaté en Dieu » : il était complètement centré sur Dieu et c’est pour cela qu’il pouvait, dans un esprit d’obéissance, aller partout en Europe, souvent à pied, pour dialoguer avec tous, dans la douceur, et pour annoncer l’Évangile. Il me vient à l’esprit cette tentation, que nous pouvons peut-être avoir nous aussi et que beaucoup ont, de lier l’annonce de l’Évangile aux coups de bâton inquisiteurs, de condamnation. Non, l’Évangile s’annonce avec douceur, avec fraternité, avec amour. Sa familiarité avec Dieu lui permettait de comprendre que l’expérience intérieure et la vie apostolique vont toujours ensemble. Dans son Memoriale, il écrit que le premier mouvement du cœur doit être de « désirer ce qui est essentiel et originel, c’est-à-dire que la première place soit laissée à la sollicitude parfaite pour trouver Dieu notre Seigneur » (Memoriale, 63). Favre éprouve le désir de « laisser le Christ occuper le centre de son cœur » (Memoriale, 68). C’est seulement si l’on est centré sur Dieu qu’il est possible d’aller vers les périphéries du monde ! Et Favre a voyagé sans cesse jusqu’aux frontières géographiques au point que l’on disait de lui : « il semble qu’il soit né pour ne rester tranquille nulle part » (MI, Epistolae I, 362). Favre était dévoré par un désir intense de communiquer le Seigneur. Si nous n’avons pas le même désir que lui, nous avons besoin de nous arrêter dans la prière et, dans le silence et la ferveur, de demander au Seigneur, par l’intercession de notre frère Pierre, de revenir nous fasciner, cette fascination pour le Seigneur qui poussait Pierre à toutes ces « folies » apostoliques.

Nous sommes des hommes en tension, nous sommes aussi des hommes contradictoires et incohérents, pécheurs, tous. Mais des hommes qui veulent marcher sous le regard de Jésus. Nous sommes petits, nous sommes pécheurs, mais nous voulons nous battre sous l’étendard de la Croix, dans la Compagnie qui porte le nom de Jésus. Nous qui sommes égoïstes, nous voulons cependant vivre une vie mue par de grands désirs. Renouvelons alors notre oblation au Seigneur éternel de l’univers pour que, avec l’aide de sa Mère glorieuse, nous puissions vouloir, désirer et vivre les sentiments du Christ qui s’est anéanti lui-même. Comme l’écrivait saint Pierre Favre, « ne cherchons jamais dans cette vie un nom qui ne nous rattache pas à celui de Jésus » (Memoriale, 205). Et prions la Vierge Marie de nous mettre avec son Fils.

Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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