Charles et Pierre, DR

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La vie quand l'enfant meurt, par Véronique et Loïc

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La Miséricorde de Dieu sera-t-elle victorieuse ? (Parole et Silence)

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« Ecoutez-moi : maintenant, soit nous sommes chrétiens, vraiment, et nous croyons qu’ils sont vivants avec le Seigneur, alors nous pourrons vivre, soit nous nous effondrons et nous devenons fous, alors nous mourrons… » : Véronique et Loïc répondent ici de façon poignante à la question : « Etes-vous sûr(e) que la Miséricorde de Dieu sera victorieuse ? » Nous vous proposons leur témoignage.
Il a été recueilli dans un livre préfacé et présenté par le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon (France), et intitulé : La Miséricorde de Dieu sera-t-elle victorieuse ? (Ed. Parole et Silence, 2016).
Une invitation pour chaque baptisé à s’interroger, au cœur du jubilé, et à revigorer ses convictions au contact d’expériences décapantes d’hier et d’aujourd’hui : Pauline Jaricot, Jeanne Garnier, Tibhirine, Bataclan, Rwanda…
Nous publions, avec leur aimable autorisation, ce témoignage de Loïc et Véronique, les parents de Pierre et Charles, leurs fils jumeaux (22 ans) emportés dans une avalanche, la veille de Noël 2014.
Pierre était étudiant dans une école d’ingénieur à Grenoble, et Charles, élève-officier à l’Ecole de l’air de Salon-de-Provence. Tous deux étaient passionnés de montagne.
A.B.
Pierre et Charles                                                                                                                                            

Vers une heure du matin, le téléphone sonne. Les chercheurs sont passés au refuge, ont repéré les traces de leur passage, reconstitué leur itinéraire probable. J’entends le gendarme m’expliquer que sur le chemin de retour, l’hélicoptère a aperçu les traces d’une énorme avalanche de plaque s’étendant sur toute la largeur du glacier. Qu’ils ont repéré le corps sans vie d’un des garçons en surface. Qu’il était trop dangereux de l’identifier et de récupérer son corps dans la nuit. Que vu la violence de la chute et le froid, le second, invisible, n’a aucune chance d’être encore en vie. Que les recherches reprendront au matin…
J’entends, j’écoute, je réponds, je raccroche, calmement… le calme d’un mort. Je suis mort moi aussi. J’annonce à Véronique : « Morts ; tous les deux ». Véronique : « Mes petits garçons chéris, non, non, non »… La folle nuit commence… le tourbillon de douleur, les enfants qui se réveillent et se précipitent dans notre chambre, les cris, les appels pour prévenir nos filles aînées et leur maris qui ne sont pas avec nous, prévenir nos parents… Et puis soudain, Véronique qui se dresse. Véronique qui pendant les trois mois qui suivront sera comme « Rachel qui pleure ses fils et qui ne veut pas être consolée ». Elle obtient de nous le silence, nous parle avec force : « Ecoutez-moi : maintenant, soit nous sommes chrétiens, vraiment, et nous croyons qu’ils sont vivants avec le Seigneur, alors nous pourrons vivre, soit nous nous effondrons et nous devenons fous, alors nous mourrons… » C’est la mère, celle qui donne la vie et la Vie, qui nous parle. Nous parvenons à prier ensemble avec les enfants. A nous recoucher.
Le matin, je sors de mon lit. Un mort vivant. Une énorme partie de moi-même et de mon corps m’ont été arrachés, sans anesthésie, et toute énergie, tout désir de vivre est englouti dans ce trou béant. Je m’effondre au sol. Je ne peux pas, je ne veux pas, vivre sans mes garçons. Je ne peux pas me relever. Je rampe comme une bête abattue. Véronique me demande – c’est un ordre – de dire un Notre Père avec elle. Je commence à l’accompagner à mi-voix… mais rien ne sort de ma bouche à l’instant du « Que Ta volonté soit faite ». Comme un cri silencieux. C’est un « non » qui sort, Véronique me reprend, un autre « non », deux autres « non ». Véronique me saisit avec force, comme on expulse les démons, et je finis dans un souffle « Que Ta volonté soit faite », dans la pure obéissance à mon épouse. Force et grâce inouïes du sacrement de mariage… Nous le comprendrons progressivement. A cet instant, je prends la décision la plus dure de ma vie : luttant contre tout mon être je me relève, m’habille et descends prendre un petit déjeuner. Tout est mort en moi, une nausée profonde m’envahit et me tiendra au ventre jusqu’au jour de l’enterrement – mais par ces premiers gestes dérisoires et surhumains, je choisis la vie.
Au matin, la gendarmerie nous informe que le corps découvert dans la nuit est celui de Pierre. La recherche du corps de Charles est lancée, une dizaine de sauveteurs courageux s’y emploient mais la tâche semble presque impossible : immensité de la surface balayée par l’avalanche, crevasses… toute la journée les recherches sont vaines. Je perçois le découragement dans la voix du gendarme qui m’informe de l’arrêt des recherches à la tombée de la nuit, il me prépare à l’éventualité que le corps ne soit pas retrouvé… « C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin » et la météo annonce d’énormes chutes de neige pour le lendemain soir…
Mon frère, moine cistercien à l’Abbaye d’Hauterive tient ses frères moines informés de l’avancée des recherches, leur confie notre angoisse à l’idée de ne pas retrouver le corps de Charles – surtout celle de Véronique. Dom Mauro, ancien abbé, a l’intuition de faire prier la communauté devant l’icône de Saint Charbel dont des reliques reposent au monastère. Saint Charbel, mort un 24 décembre dans son ermitage. Son corps redescendu par ses frères moines sous la neige…
Le 26 décembre au matin vers 10 h, je reçois un appel d’un gendarme : « On a retrouvé le corps de Charles ! » Une couche nuageuse couvrait le bas de la montagne depuis deux jours et les recherches se déroulaient plus haut sur le glacier. Et soudain une éclaircie providentielle laisse apparaître Charles, bien plus bas, au pied de l’avalanche… il avait fait une chute sur 1 300 mètres de dénivelé…
Extrait de : Philippe Barbarin, La miséricorde sera-t-elle victorieuse ? (Parole et Silence, 2016)

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Rédaction

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