"La signification de la liberté authentique" (2e partie)

Print Friendly, PDF & Email

1700e anniversaire de l’Edit de Milan

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

« La signification de la liberté authentique »: c’est le thème de cette méditation du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartolomaios Ier, à l’occasion du 1700ème anniversaire de la publication de l’Édit de Milan, à Milan, le 15 mai 2013. Le premier volet a été publié samedi, 18 mai (http://www.zenit.org/fr/articles/la-signification-de-la-liberte-authentique-1ere-partie ).

Discours du patriarche oecuménique (Second volet)

« Cognoscetis veritatem, et veritas liberabit vos » (Jean 8, 32)

6) La liberté, expression de la civilisation et de la vie, et ligne directrice de l’histoire

Avec de tels fondements de la liberté réelle, il n’existe pas de motifs religieux qui justifient un choc violent entre les cultures et les principes du christianisme et de l’islam. La récente et fameuse théorie du choc, inévitable et violent, entre ces civilisations ne peut pas se baser sur de véritables motifs religieux. Si les aspirations des nations ou des facteurs géopolitiques conduisent à des conflits entre des peuples musulmans et chrétiens, si les religions se mettent au service des politiciens pour accentuer l’idée de la diversité, de l’hostilité d’un peuple vis-à-vis d’un autre, cela n’a aucun lien avec la vraie nature de la liberté.

Du reste, les guerres et tous les actes d’inimitié entre les membres d’une même religion et ceux de ses différentes dénominations, comme les orthodoxes serbes et les catholiques-romains croates, ou les sunnites et les chiites musulmans, témoignent que les causes réelles de ces conflits ne se trouvent pas dans leurs divergences sur le concept de liberté, mais dans les revendications liées à d’autres questions pratiques. Ceci est encore plus évident dans les cas de conflits entre des peuples qui appartiennent précisément à la même foi religieuse, phénomène qui se manifeste souvent dans notre histoire, encore aujourd’hui.

Fondamentalement, le moyen d’aplanir toute différence ethnique, économique, idéologique ou de tout autre nature, est de développer des dialogues sérieux et de bonne foi entre les parties, en vivant au quotidien, et en cohérence avec son environnement, le don divin de la liberté. Et ceci est particulièrement valable pour les chefs religieux. Sinon, Dieu permettra les catastrophes, les destructions et les insuccès de nos œuvres en raison du mauvais usage qui est fait du don de la liberté et de l’amour.

La vraie liberté met fin aux préjugés, contribue à la compréhension mutuelle et prépare le terrain pour trouver des solutions pacifiques à tous les problèmes. Mais la première conséquence de la liberté est qu’elle rapproche et révèle la véritable personnalité de celui qui dialogue.

C’est la liberté par laquelle le Christ nous a libérés qui constitue pour nous l’occasion de dépasser nos propres limites, y compris pour comprendre le point de vue de notre interlocuteur. Cette attitude libère l’esprit de l’approche unilatérale. Le danger, dans cette ouverture à la perception de l’autre, est de penser que la confrontation avec l’autre remet en cause les fondements de notre foi. Il n’y a pas de plus grand danger que de croire que notre édifice spirituel est affaibli si nous considérons meilleures que les nôtres la beauté et la perfection de l’édifice de notre interlocuteur.

Il y a beaucoup d’hommes qui sont tellement attachés à leurs propres convictions qu’ils préfèrent sacrifier leur vie plutôt que d’en changer. Ils se demanderont donc si nous ne promouvons pas l’instabilité et la facilité à changer de foi. Ce n’est pas ce que nous proposons. Au contraire, nous proposons un approfondissement, une infiltration continue et de plus en plus profonde dans la vérité. Si l’on approfondit cette affirmation, on constate que souvent les idées qui nous semblaient jusqu’alors contradictoires s’accordent bien entre elles.

L’évangile nous en donne un exemple : « Qui veut sauver sa vie la perdra » (cf. Mt 15, 25). Qui veut sauver sa vie doit accepter de la sacrifier, parce que la vie se gagne quand on la sacrifie et non quand on la protège des périls, par pusillanimité ou par peur de la perdre. La contradiction est évidente et l’acceptation de cette antinomie résiste au raisonnement des esprits rigides. C’est ce dont témoignent les personnes qui ont vécu en camps de concentration : ceux qui aimaient leur vie – ceux qui tentaient de se protéger des dangers – perdaient le combat pour l’existence, alors que survivaient ceux qui acceptaient volontairement le sacrifice.

Au fond du cœur de ce père de famille palestinien, qui, il y a des années, a donné à un hôpital israélien les organes de son jeune fils tué par les Israéliens, afin qu’ils soient transplantés chez un jeune malade, sans distinction, qu’il soit israélien ou palestinien, a brillé un rayon lumineux qui lui a révélé la vérité : tous les hommes sont frères, bien que, aujourd’hui, malheureusement, beaucoup croient être radicalement différents des autres et ne pas pouvoir coexister pacifiquement avec eux. De même que le jour et la nuit sont une seule et même chose, pourquoi le Grec, l’Italien et le juif, l’esclave et l’homme libre, l’homme et la femme, l’homme et l’homme de n’importe quelle tribu, langue et religion, ne sont-ils pas être une seule et même chose ?

7) L’esprit libre dans la Grèce antique

Les Grecs de l’Antiquité se sont distingués par leur capacité à recevoir de leur proche des connaissances et des idées et à les valoriser sans crainte d’être appauvris ou méprisés. Le très grand rayonnement de l’esprit grec dans l’Antiquité, pendant la période classique, est dû entre autres à ce carrefour voulu entre leurs idées et celles des autres peuples et civilisations, où se fondait en une nouvelle synthèse, avec un discernement admirable, tout le bien rencontré à l’extérieur de l’hellénisme.

Cette liberté d’esprit se trouve à la base de tout progrès spirituel. Nous croyons que là où est l’Esprit de Dieu, là est la liberté. Le danger qui menace la liberté spirituelle est de ne pas considérer les biens qu’elle offre. Malheureusement, comme nous l’avons déjà dit, nombreux sont ceux qui se construisent un château spirituel et idéologique  à l’intérieur duquel ils s’enferment pour assurer leur intégrité spirituelle. Malgré cet effort, ils comprendront avec le temps que plus ils protègent leur esprit de l’arrivée d’idées neuves, plus leur vie sera « angoissée » parce que l’infiltration des idées est si forte qu’aucun obstacle ne peut les empêcher d’entrer dans le cœur des hommes.

Il faut dire clairement que l’approfondissement dans la vérité de la liberté n’entraîne pas nécessairement de changer de religion, comme beaucoup le soutiennent. Il est possible que cela arrive dans certains cas et le droit de chacun à changer de foi doit être respecté. Mais en parlant d’approfondir, nous voulons parler de parfaire notre manière de penser et de comprendre et donc de rechercher la plus claire connaissance de la vérité dans la liberté.

Dans la langue ecclésiastique grecque, nous utilisons le mot « metanoia » qui signifie exactement changement d’esprit, de mentalité, opération nécessaire, selon les Pères de l’Église, proche du repentir. « Dans le repentir la sincérité, dans le repentir la liberté » dit saint Jean Chrysostome (Sur le repentir, VIII, P.G. 49, 338).

La connaissance de la vraie liberté et l’aspiration à celle-ci contribuent beaucoup à ce changement de mentalité : nous espérons qu’en fêtant cet anniversaire, nous parviendrons à un meilleur approfondissement au moins de ces vérités qui facilitent la coexistence pacifique des hommes. Parce que les différences entre les ho
mmes sont en tous cas moindres que celle qui existe entre le jour et la nuit.

8) Le vécu de la vraie liberté entre chrétiens et musulmans

Il faut suivre avec une attention particulière le développement des thèmes liés à la situation des chrétiens en pays musulmans et des musulmans en pays chrétiens. La situation des chrétiens dans certains pays musulmans nécessite des améliorations importantes pour consentir des libertés et des possibilités analogues à celles dont jouissent les musulmans dans les pays chrétiens.

Il convient d’avancer dans cette direction en abandonnant les blessures angoissées du passé. L’histoire a enregistré des comportements de peuples et gouvernements chrétiens qui ne sont pas compatibles avec l’évangile, et des comportements de peuples et de gouvernements islamiques qui ne sont pas en accord avec le Coran. Il est temps de faire ce que dit le Seigneur. Que tous convergent vers ce que la volonté de Dieu commande à tous les hommes. Celui qui a la grâce dans son cœur fait l’expérience que Dieu, miséricordieux et compatissant, ne se complait pas dans les massacres mais dans la paix, bien suprême et don divin. Chrétiens et musulmans se réjouissent mutuellement de la parole de paix qui s’identifie à la liberté.

9) Le comportement de l’Église orthodoxe devant la préoccupation pour la liberté et les droits de l’homme

Il est évident que tout ce qui a été dit jusqu’ici ne sous-estime pas les conquêtes et les progrès des sociétés humaines quant à la liberté et aux droits de l’homme. Ces conquêtes ont pour point de départ l’Édit publié il y a 1700 ans dans cette ville historique. Vous avez donc, et nous avons le droit d’exalter cet acte et les conséquences qui en ont découlé. Le souci de soutenir l’homme face à toute oppression et privation injuste de sa liberté – exprimée aussi après la Révolution française dans la « Déclaration des droits de l’homme », n’est pas quelque chose de nouveau pour le christianisme mais il est contenu dans l’enseignement à la fois divin et humain donné par le Christ et ses saints apôtres, il y a 2000 ans (dans les saints évangiles et dans les écrits des Pères Théophores). Et l’Église ne peut qu’approuver cette préoccupation.

Mais, pour l’Église, la démocratie n’est légale que lorsqu’elle exprime la participation du peuple à la nomination des chefs et des gouvernements, en respectant les droits de Dieu et les lois divines. La prétention de la nation à s’autodéterminer comme le fondement suprême des canons qui inspire et institue les lois ne peut être acceptée par l’Église ; elle est rejetée comme une prétention luciférienne qui mène l’homme à son autodestruction.

Pour l’Église, tout effort en vue d’acquérir la liberté doit s’adresser d’abord à l’homme intérieur  pour être ensuite étendu aux autres. Pour l’Église orthodoxe, l’homme a l’entière responsabilité de lutter pour la réalisation de l’aspect positif de la liberté dans sa propre personne, de devenir chaque jour authentiquement libre, se reniant lui-même et rejetant sa tendance au péché.

Tous les mouvements humains qui ont tenté d’atteindre la liberté hors de Dieu, sans le Christ, non seulement ont fini par échouer mais ont eu aussi des conséquences catastrophiques pour l’humanité.

Il ne faut pas oublier que, à la Révolution française de 1789, avec ses déclarations progressistes, ont suivi les massacres des années 1792-1794 et les millions de morts des guerres napoléoniennes. Il ne faut pas oublier que, à la Révolution d’Octobre en Russie, ont suivi les millions de victimes des persécutions staliniennes et des terribles camps de concentration en Sibérie.

Malheureusement, il n’y a pas que le fondamentalisme et la haine religieuse qui privent l’homme de ses droits fondamentaux. Cette soif de liberté ne trouvera pas sa réalisation si l’homme européen ne se relie pas à l’héritage chrétien de Constantin le Grand, personnalité éminente et sainte qui a tracé un signe dans l’histoire du monde, comme seul un saint pouvait le faire. Lorsque les peuples d’Occident ne cherchent un fondement à la morale et au droit que dans l’homme et dans la nation, en oubliant Dieu, alors les droits de l’homme resteront de simples déclarations sur le papier.

C’est ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient. Des révolutions, des renversements de régimes, des guerres pour demander davantage de liberté et l’instauration de la démocratie. Malgré cela, les résultats ne sont pas positifs ; ils sont même parfois très décourageants.

La violence religieuse, la haine, le manque de tolérance envers les chrétiens, continuent à dominer dans des pays qui sont le théâtre de révolutions. Les événements politiques qui ont lieu au Moyen-Orient, dans des lieux traversés par Dieu, les catastrophes naturelles, l’insécurité quant à l’avenir, sont des menaces pour les chrétiens, pour leur vie et celle de leurs familles. En Syrie, les chrétiens de toute confession, clercs et laïcs, malgré tous leurs efforts pour rester neutres dans le conflit civil, bien qu’ils mènent une vie tranquille et pacifique, sont éprouvés et menacés tous les jours d’être séquestrés et tués.

Le patriarche œcuménique condamne sans hésitation ces situations et celles qui leur sont analogues. Loin de toute position politique, nous réprouvons, en tant que chef spirituel et patriarche œcuménique, l’usage de la violence et les persécutions des chrétiens pour le simple fait qu’ils sont chrétiens.

Nous n’avons pas peur de ceux qui usent de la violence contre les chrétiens, parce que la résurrection du Seigneur a aussi vaincu la mort. Comme chrétiens, nous n’avons pas peur des persécutions, parce que les persécutions sont la page écrite en lettres d’or de l’histoire de notre Église ; elles ont exalté des saints, des martyrs et des héros de la foi. Mais nous ne cessons pas pour autant d’adresser nos protestations à la Communauté internationale parce que, 1700 ans après la concession de la liberté religieuse par l’Édit de Milan, les persécutions continuent dans le monde sous de multiples formes.

Nous lançons donc un appel afin que prévalent la paix et la sécurité tant dans le Moyen-Orient –  où le christianisme conserve ses sanctuaires les plus anciens et vénérables et où la tradition chrétienne est tellement profonde et liée à la vie du peuple – que dans le monde entier, là où la liberté de la foi dans le Christ est piétinée par le terrorisme, les guerres, les oppressions économiques et de bien d’autres manières. On ne remédie à de telles situations que par une autocritique personnelle, avec la grâce de l’Esprit-Saint. Nous condamnons tout ceci, et nous proclamons la liberté dans le Christ. La liberté est pour le chrétien un mode de vie. La liberté la plus élevée est la pureté de notre esprit et la liberté parfaite est la pureté du cœur. Voilà la liberté de Dieu qui plonge ses racines, sa plénitude et sa perfection dans la liberté de l’homme. La liberté de l’homme est la liberté de Dieu.

L’Édit de Milan constitue un sommet dans la vie de l’humanité et il représente, pour notre monde tourmenté, l’espérance de lendemains meilleurs. Il est en même temps une suggestion afin que le monde comprenne qu’il ne peut atteindre sa vraie liberté que dans le Christ. Saint Jean Chrysostome en témoigne, lui qui a servi dans la liberté : « Celui qui ne cherche pas la gloire reçoit dès maintenant sa récompense ; il n’est esclave de personne, mais il est libre de la vraie liberté » (À Jean, 73, P.G. 59, 349).

Amen.

Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

Share this Entry

Bartholomaios Ier NULL

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel