"La Promesse", nouveau livre du card. Lustiger, lu par Claude Vigée

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« L’espérance indestructible de vouloir vivre »

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CITE DU VATICAN, Vendredi 15 novembre 2002 (ZENIT.org) – « La promesse », le nouveau livre du cardinal archevêque de Paris, Jean-Marie Lustiger, est sorti en librairie en France aujourd’hui, vendredi 15 novembre (éd. Parole & Silence, 222 pages, 18 E).

C’est un événement. Une interview paraît dans « Le Nouvel Observateur » de ce jeudi. Le quotidien français « Le Monde » lui consacrait un papier hier soir.

Dans « France Catholique » (www.france-catholique.fr) qui paraîtra le 22 novembre on lira, à propos de la démarche du cardinal, une interview du philosophe juif Claude Vigée par Samuel Pruvot, qui constitue également à sa manière un événement considérable.

« Jean-Marie Lustiger remet les montres à l’heure. Il a fallu 2000 ans pour qu’un cardinal en parle ouvertement, sans langue de bois », estime Claude Vigée.

« La question des relations entre juifs et chrétiens est une bouteille à l’encre qui déverse ses sombres effluves depuis près de 2000 ans, explique FC. Rompant avec cette longue litanie de méfiance et d’anathèmes réciproques, le cardinal Jean-Marie Lustiger publie aujourd’hui un essai qui fera date, non seulement dans l’édition mais sans doute dans l’histoire de l’Eglise contemporaine. « La Promesse » est un essai audacieux sur le mystère de l’élection d’Israël qui, loin de disparaître avec la venue du Christ, va trouver une nouvelle acuité en parallèle avec l’Eglise. Claude Vigée, grand témoin du judaïsme et poète de renom, a voulu saluer dans France Catholique le courage du Cardinal et sa fidélité paradoxale à ses origines ».

Voici la primeur de cet entretien de Claude Vigée avec Samuel Pruvot pour les lecteurs de Zenit, avec nos remerciements à France Catholique.

 Claude Vigée, quel est le sens de « l’élection d’Israël » dans l’essai du cardinal Lustiger ?

Ce livre parle de l’élection initiale d’Israël dans ses rapports avec l’Eglise et la doctrine du salut. C’est cela qui est étonnant. Au lieu d’une coupure entre les deux mondes – d’une occultation – il éclaire les rapports entre Israël et l’Eglise. Les deux sont inséparables, insécables. Qui essaye de les désunir anéantit en même temps l’espoir d’Israël et l’espoir des chrétiens. Voilà le principal message – le constat pourrait-on dire – de ce livre fondé sur la lecture minutieuse, honnête et sans parti pris, des textes des deux testaments.

 Comment percevez-vous le parcours atypique de l’auteur ?

Je connais à peu près les détails de sa vie, j’ai lu certains de ses livres, notamment Le choix de Dieu. (1) Bien entendu, les éléments biographiques m’ont énormément touché. Quand il était enfant, dans les années 40, il était caché à Toulouse, à l’époque où j’y étais moi-même comme étudiant en médecine. Le jeune Lustiger a trouvé refuge, si je me souviens bien, derrière les rayons de la bibliothèque de l’Institut catholique – rue de la fonderie. Quand j’ai appris plus tard que Mgr de Solages, le recteur de l’Institut et Mgr Saliège, l’archevêque de Toulouse, avaient « trempé » dans ce complot, j’ai été très ému ! J’étais là quand, en 1942, Mgr Saliège a lancé sa fameuse lettre pastorale (2) rappelant au clergé et aux chrétiens que les juifs étaient des hommes, que Jésus était juif, ainsi que sa mère et tous les apôtres ! Cette déclaration a produit un véritable choc.(3) Avec quelques étudiants un peu fous, nous sommes partis – c’était une folie absolue pour un jeune juif Alsacien réfugié à Toulouse – distribuer au coin des rues des copies du texte faites à la main ! Pendant ce temps-là, il y avait aussi à Toulouse un gosse du nom d’Aaron (Lustiger) – le nom du frère de Moïse, le premier grand prêtre, un Cohen.

 Comment avez-vous connu l’archevêque de Paris ?

Nous nous sommes rencontrés il y a une dizaine d’années, grâce à Robert Masson. Nous avons passé ensemble un moment lumineux en parlant des textes bibliques, de l’importance extraordinaire de leur écoute, de leur jaillissement commun… Il y avait une authentique gratitude à pouvoir parler ensemble. J’avais devant moi un être très vif, très drôle, et en même temps tout à fait maître de ce qu’il avait à faire. C’était un homme entier. On m’a dit plus tard qu’il n’était pas toujours très commode… Mais cela vaut mieux ! Il ne faut pas être trop commode. Celui qui trouve toujours des accommodements est tenté, un jour ou l’autre, d’emprunter la voie de la compromission et de la prostitution.

 Ses origines juives sont sublimées dans la foi ?

Sa conversion n’a pas été facilement pardonnée dans le monde juif, c’est évident. Cela se comprend après la shoah. Sa mère a été assassinée à Auschwitz, ainsi que plusieurs membres de sa famille… Cette histoire est douloureuse, contradictoire et difficile à porter. Ce sont des déchirements à travers lesquels il ne s’est jamais renié. La conversion, chez nous, est souvent le prétexte au reniement. Le résultat – pas seulement au temps de Torquemada – c’est que les renégats en profitent généralement pour accabler leur communauté d’origine. Ils enfoncent leurs frères, les condamnent et les font monter sur le bûcher pour gagner le ciel sur la terre. Cette conduite est ignoble, fréquente, « trop humaine » pour reprendre le mot de Nietzsche. Avec Jean-Marie Lustiger, c’est exactement le contraire qui arrive. Il n’y a pas de reniement du judaïsme, mais plutôt un éloignement, un changement. Il a fait le grand écart pour des raisons liées sans doute à son expérience traumatique de la guerre mais aussi à son milieu familial extrêmement déjudaïsé. Je crois que le jeune Aaron a été privé d’appuis intérieurs au milieu de l’horreur.

 Quelle est la portée de cet essai pour les juifs ?

Ce que je constate aujourd’hui, c’est que Jean-Marie Lustiger a su émerger de ses tourbillons intérieurs avec une quête émouvante d’unité. Il a voulu faire le lien entre ses origines et cet « ailleurs » chrétien pour que cet « ailleurs » ne soit pas synonyme de dénonciation, de désertion et d’exécration. Il a entendu cette parole biblique que tant d’autres ont étouffée avant lui : « Tu ne haïras pas ta propre chair ». Jean-Marie Lustiger n’a pas esquivé le problème. Cela aurait pourtant été facile pour lui… Une belle carrière ecclésiastique au-delà même de ce qu’on peut imaginer (à part être pape ou le Messie lui-même…).
Chez lui, je vois la tradition vivante d’Israël qu’il a essayé de nourrir en lui-même. C’est paradoxal, je le sais bien. Il a refusé d’être un bon juif converti et antisémite ! Jean-Marie Lustiger n’a pas suivi la voie du grand inquisiteur mais celle d’un homme qui reste un, ouvert, et, en un certain sens, fidèle… Il a été fidèle au judaïsme à sa façon, à travers l’errance et l’exil. Il a trouvé dans la doctrine des Evangiles et dans l’intense écoute de la parole de ses Pères – de nos Pères – la substance de son dernier livre : « Israël peut faire mémoire de toute l’histoire du monde dans l’élection qu’il reçoit car là où il n’y a pas d’élection, il n’y a pas d’histoire, notre vie se perd dans l’insignifiance, le néant, elle est privée de sens tant que nous ne la recevons pas dans l’amour de Dieu qui nous choisit et nous donne part à l’élection. »

 Ce livre de Jean-Marie Lustiger est-il un jalon important en vue la réconciliation des juifs et des chrétiens ?

Lui seul pouvait faire cela. Les autres pouvaient imaginer un rapprochement avec le judaïsme. Lui propose des retrouvailles avec Israël ! Il n’a pas pris le chemin du divorce qui aurait été plus pratique. La haine est plus facile que l’amour. Ce livre n’est pas seul
ement une œuvre de réconciliation mais l’affirmation d’une double promesse… Pour nous les juifs, l’élection est un fardeau. Loin d’être un cadeau, c’est une responsabilité écrasante devant laquelle nous reculons sans cesse. J’ai préparé récemment, pour un colloque organisé par l’Institut de vie consacrée Notre-Dame de Vie à Venasque, une conférence sur le prophète Jonas. S’il y a un grand expert dans l’art de fuir, c’est bien lui ! Qui d’entre nous n’est pas en fuite permanente devant les exigences de l’élection ? Ce qui, pour les juifs, est déjà un fardeau énorme, doit l’être encore plus pour Jean-Marie Lustiger, qui doit porter une promesse double. Ce livre est donc un livre de vérité ; pour lui, pour ses lecteurs, et, en un sens, pour les lecteurs juifs qui y trouveront une consonance, une vibration commune.

 Un retour au judéo-christianisme ?

Qu’est-ce qui a détruit l’Eglise de Jérusalem, l’Eglise de Jacques, le frère de Jésus ? C’est l’empire Byzantin au VIe siècle, et non les Arabes, qui a étouffé la première Eglise pour des raisons politiques. Le « pagano-christianisme », comme le désigne Jean-Marie Lustiger, est à l’œuvre ici. La trahison et la haine commencent là : « Il y a des païens qui peuvent porter le nom de chrétien mais qui, s’étant emparé du christianisme pour en faire leur religion, l’ont défiguré. Le paganisme demeure jusqu’au bout une tentation à laquelle les disciples du Christ sont constamment affrontés. L’Eglise, là où s’est-elle pratiquement identifiée à un pagano-christianisme voit celui-ci s’effondrer sous ses propres critiques et perdre de vue sa propre identité chrétienne, elle s’est coupée de sa racine juive en faisant du Christ la forme de son propre paganisme, un dieu des païens. L’Eglise ne peut recevoir le Christ que si elle reconnaît Israël. » L’Eglise de Jean-Marie Lustiger, c’est celle de Jacques !

 Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans cet essai ?

Du sein même de l’interprétation de saint Matthieu et d’autres textes évangéliques, Jean-Marie Lustiger montre qu’on ne peut pas – sous peine de détruire le noyau même du christianisme – rejeter l’élection d’Israël. C’est la clé de son livre. Pour écrire ces lignes – de la situation sociale et spirituelle où il se trouve – il fallait un très grand courage. Des chrétiens ne lui pardonneront pas facilement de rappeler que, sans l’élection d’Israël, il n’y a pas d’élection chrétienne possible. Le cardinal Lustiger affirme en effet : « Le mystère d’Israël c’est indissolublement le mystère des chrétiens, c’est cela même que nous sommes tentés de refuser, que nous refusons sans cesse et qui nous fait considérer le mystère d’Israël comme étranger à la foi chrétienne. »

 Quel est son objectif en jetant un tel pavé dans la mare ?

Vous vous rendez compte s’il avait écrit la même chose du temps de l’Inquisition… Il serait sans doute sur le bûcher ! Les temps ont changé. Mais la haine des juifs est telle que les bourreaux en puissance ne manquent pas. Il ne s’agit pas, pour les chrétiens, de devenir juifs mais d’être des héritiers loyaux. Pour vous faire comprendre le mérite de Jean-Marie Lustiger, je voudrais vous raconter une histoire biblique, celle du roi Achab dans le livre des Rois (I Rois, 21) dont Racine se sert avec la figure d’Athalie.
Achab était une crapule, un roi d’Israël criminel. Il avait un voisin du nom de Naboth dont il convoitait la vigne. Achab, conseillé par la reine païenne Jézabel, se croyait au-dessus de la Torah. Naboth refusait de vendre la vigne de ses Pères. Là-dessus, Jézabel expliqua qu’il suffisait d’éliminer Naboth. C’était le rejet total de l’élection d’Israël. Achab fit dont égorger Naboth et saisit sa vigne, privilège royal ! Le prophète Elie vint le trouver et lui dit avec force : « Tu as assassiné et en plus tu as hérité ! » Il lui annonce la fin de sa royauté, sa charogne jetée aux corbeaux, etc. La conduite d’Achab a été celle des Eglises pendant des siècles vis-à-vis du judaïsme… Les juifs aux ghettos et sur les bûchers et tout l’héritage pour nous les chrétiens ! Jean-Marie Lustiger joue dans ce livre le rôle du prophète Elie. Il remet les montres à l’heure. Il a fallu 2000 ans pour qu’un cardinal en parle ouvertement, sans langue de bois.

 Comment voyez-vous l’avenir des relations judéo-chrétiennes ?

Il faut arrêter les calculs. Je crois qu’un ressourcement mutuel est possible. Contre la pulsion homicide et mensongère, Jean-Marie Lustiger propose un seul antidote : « l’espérance indestructible de vouloir vivre ». C’est cela qui nous unit, chrétiens et juifs, aujourd’hui et demain, avec le sentiment d’être soutenus par la Parole de la Révélation. Cette espérance suffit par-delà toutes les persécutions, les confiscations d’héritage, etc. qui jalonnent notre terrible trajectoire. Cette espérance est notre viatique, la clé de notre avenir. Contre cela, satan ne va pas prévaloir. Ceux qui aiment la mort se détruiront dans leurs choix et nous, nous vivrons !
Dans ce monde où la mort est proclamée comme un bien, c’est notre doctrine qui est la seule bonne à savoir cette espérance de vouloir vivre. L’enseignement du Christ rejoint celui de Moïse, à la fin du Deutéronome (Deut 30, 19-20), auquel Dieu dit : « Je place devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction, mais tu choisiras la vie, pour que tu vives, toi et ta semence ! » Voilà notre espérance indestructible.

Propos recueillis par
Samuel PRUVOT

(1) Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, entretiens avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton, LGF, 6,40 euros.
(2) Mgr Saliège, lettre pastorale du 23 août 1942
(3) Claude Vigée, La lune d’hiver, éditions Honoré Champion, 2002, nouvelle édition, 65 e.

© France Catholique

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ZENIT Staff

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