La musique : un langage qui ouvre à l’expérience de Dieu

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Entretien avec le bénédictin Jordi-Agustí Piqué Collado

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ROME, vendredi 13 octobre 2006 (ZENIT.org) – La musique est bien plus qu’un simple ornement pour la liturgie. C’est la conclusion de la thèse de doctorat que vient de défendre l’Espagnol Jordi-Agustí Piqué Collado, o.s.b., moine de l’abbaye de Montserrat.

J.A. Piqué a obtenu un doctorat de théologie à l’Université grégorienne de Rome en 2005. Il a publié divers articles de recherche théologique et des compositions musicales.

Dans cet entretien accordé à Zenit il explique comment le langage de la musique peut ouvrir les hommes et les femmes de notre temps à l’expérience de Dieu.

Zenit : La théologie et la musique ont-elles toujours dialogué ou ces deux disciplines se sont-elles unies à un moment concret de l’histoire ?

J.A. Piqué : La musique a toujours été présente dans la célébration du culte chrétien. Le chant, comme l’un des éléments fondamentaux, comme base de toute prière liturgique, confère bien plus qu’un simple ornement ou un caractère solennel à la célébration, comme le souligna Pie X dans son Motu Proprio « Parmi les sollicitudes » (1903) sur la musique sacrée.

Voici une explication possible de ce dialogue : si la théologie prétend dire une parole, une chose compréhensible sur le Mystère ineffable de Dieu et la musique aide à comprendre, à célébrer, à participer à ce Mystère, spécialement lorsqu’elle s’unit à la Parole, il ne me semble pas exagéré d’affirmer que l’on peut noter un dialogue profond, visant à la compréhension de l’expérience du Mystère de Dieu.

Toutes les époques de la pensée sont liées à un type concret de musique. Je crois qu’aussi bien la théologie que la musique peuvent être des langages de la Transcendance.

Zenit : Vous faites allusion au « drame de l’incommunicabilité de l’expérience de Dieu ». Pourquoi cette difficulté de « dire Dieu » est-elle un drame ?

J.A. Piqué Car je crois, comme le signalent certains phénoménologues, que le problème de notre époque est essentiellement un problème de langage.

Je crois sincèrement que la question sur l’existence de Dieu est aujourd’hui dépassée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas le centre de la réflexion de nombreux hommes et femmes qui au fond continuent de chercher Dieu, mais qui cherchent à en faire l’expérience. Ils n’ont pas besoin d’une formule ou d’une définition.

Le langage de la théologie aujourd’hui, ne favorise pas cette recherche. Il est dramatique de voir que de nombreuses personnes abandonnent leur relation à Dieu et la pratique religieuse car elles ne trouvent pas de langage pour transmettre leur expérience ; de même pour les langages pour comprendre ou vivre la foi, les langages avec lesquels ont leur parle de Dieu ne sont pas, au moins pour elles, adaptés. Je crois qu’à notre époque, en tant que chrétiens, et moi en tant que théologien, j’ai l’obligation de « dire Dieu », de transmettre mon expérience, de permettre aux autres de s’identifier à cette expérience, d’y participer, de la rendre compréhensive.

C’est le drame de Moïse dans l’opéra de Schönberg, que j’analyse dans ma thèse : il fait une expérience de Dieu avec qui il parle, mais il ne trouve pas le mot juste, beau, émouvant, pour transmettre à son peuple la grandeur de cette expérience. Son peuple préfère adorer un dieu de métal, le veau d’or, car au moins il peut le voir et le percevoir.

Je crois que c’est là que réside le drame de notre temps. C’est le paradigme de la conversion de saint Augustin, l’un des théologiens que j’analyse, qui, à travers le chant de l’Eglise, réunie, ressent une émotion qui lui fait verser des larmes ; des larmes qui, dit-il, lui faisaient du bien.

Zenit : Vous proposez une « parole de Dieu qui émeut ». Cette parole est-elle la musique ?

J.A. Piqué La musique est un langage qui peut conduire à percevoir, à comprendre un peu du Mystère de Dieu et en ce sens elle est aussi, théologie.

L’Eglise l’a toujours adoptée comme élément fondamental de sa liturgie. Mais aujourd’hui, je crois que même en dehors de la liturgie, elle peut être une clé d’ouverture à la transcendance.

On pourrait citer les exemples de Taizé, ou le phénomène du chant grégorien : ce sont deux expériences esthétiques qui ouvrent à une expérience de la transcendance.

Cependant, comme je l’explique dans ma thèse, l’expérience qui passe par la perception sensible n’est pas toujours univoque : la musique déformée d’une discothèque peut conduire à l’aliénation ; la musique d’une publicité peut conduire à une consommation impulsive.

Je crois cependant qu’une expérience esthétique peut ouvrir des chemins dans la compréhension de la transcendance et du Mystère de Dieu.

L’expérience esthétique peut, aujourd’hui peut-être, alors que les discours et les mots ont perdu leur valeur, être la clé pour ouvrir l’expérience de Dieu aux hommes et femmes de notre époque.

Cette expérience devra bien sûr être suivie d’une catéchèse et d’une formation, mais ce serait au moins le moyen de surmonter l’indifférence qui semble endormir le monde occidental.

Zenit : Vous citez à plusieurs reprises le théologien Joseph Ratzinger. Quelle est sa contribution au domaine de la musique et de la liturgie ?

J.A. Piqué Dans ma thèse j’analyse des théologiens qui, à différentes époques, ont traité la musique comme une question théologique. Saint Augustin, Hans Urs von Balthasar, Pierangelo Sequeri, sont les principaux. Mais dans les écrits du théologien Ratzinger, un bon musicien, comme nous le savons, apparaît un thème clé à mon sens : le fondement biblique de la raison théologique de la musique dans la liturgie.

Le pape a su baser cette compréhension sur une lecture des psaumes, le livre biblique de la musique par excellence, et par une lecture de saint Thomas. A partir de là, il explique comment le chant et la musique, dans la liturgie, sont des éléments qui conduisent à une compréhension de Dieu.

Dans mon travail j’ai élargi cette vision avec l’analyse de quelques musiciens compositeurs qui dans leurs œuvres ont affronté quelques questions théologiques : Tomás Luis de Victoria, Arnold Schönberg et Olivier Messiaen.

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ZENIT Staff

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