La feuille de route du pape pour les évêques italiens (1/2)

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66e Assemblée de la Conférence épiscopale

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« Discussions et expressions libres et amples » : c’est ce que le pape souhaite d’une assemblée ecclésiale : « Chacun dit ce qu’il éprouve, en face, à ses frères; cela édifie l’Église, cela aide. Sans honte, le dire, comme ça vient. »

Le pape François a ouvert la 66e Assemblée générale de la Conférence épiscopale italienne (CEI), en la salle du synode au Vatican, lundi dernier, 19 mai 2014. 

Après un temps de prière, il s’est longuement adressé aux évêques, leur donnant une véritable « feuille de route », les encourageant à « suivre Jésus : voilà ce qui importe ! ». 

S’exprimant à la fois comme l’un d’eux – en tant qu’évêque de Rome – et comme le Successeur de Pierre, il leur a aussi demandé de réfléchir sur leur relation avec l’Eglise : « Jusqu’à quel point suis-je disposé à souffrir pour elle ? ». 

« Le peuple des fidèles nous regarde », a-t-il ajouté en soulignant la « double exigence » des pasteurs : « connaître le Seigneur, au point de demeurer en Lui » mais aussi « habiter la vie de leurs Églises particulières, jusqu’à en connaître tous les visages, les besoins et leur potentiel ».

« Écoutez le troupeau. Fiez-vous à son sens de la foi et de l’Église, qui se manifeste aussi sous tant de formes de piété populaire », a poursuivi le pape. Voici notre traduction de la première partie de son intervention.

A.K.

Allocution du pape François

J’ai toujours été frappé par la façon dont finit ce dialogue entre Jésus et Pierre : « Suis-moi ! » (Jn 21,19). Le dernier mot. Pierre était passé par tant d’états d’âme, à ce moment-là : de la honte parce qu’il se souvenait des trois fois où il avait renié Jésus, et puis un peu d’embarras, il ne savait pas comment répondre, et puis la paix, il s’est tranquillisé, avec ce « Suis-moi ! ». Mais le tentateur est arrivé une autre fois, la tentation de la curiosité : « Dis-moi Seigneur, et de lui [l’apôtre Jean] que me dis-tu ? Que lui arrivera-t-il ? ». « Que t’importe, toi, suis-moi ». Je voudrais m’en aller avec ce message, uniquement… C’est que j’ai ressenti en écoutant « Que t’importe. Toi, suis-moi ». Suivre Jésus : voilà ce qui importe ! Et c’est le plus important pour nous. J’ai toujours été frappé par cela…

Je vous remercie de m’avoir invité, je remercie le président pour ses paroles. Je remercie les membres de la présidence… En parlant des membres de la présidence, un journal disait « celui-ci est un homme du pape, celui-ci n’est pas un homme du pape, cet autre est un homme du pape… ». Mais la présidence, de cinq – six membres, c’est tous des hommes du pape ! Pour le dire en langage « politique »… Or nous, nous devons utiliser le langage de la communion. Mais la presse, parfois, invente tant de choses, n’est-ce pas ?

En me préparant à ce rendez-vous de grâce, je suis revenu plusieurs fois sur les paroles de l’apôtre, qui expriment tout ce que j’ai – tout ce que nous avons – au fond du cœur : « J’ai en effet un très vif désir de vous voir, pour vous communiquer l’un ou l’autre don de l’Esprit, afin que vous en soyez fortifiés, je veux dire, afin que nous soyons réconfortés ensemble chez vous, par la foi que nous avons en commun, vous et moi. » (Rm 1, 11-12).

J’ai vécu cette année en essayant de me mettre dans les pas de chacun de vous : au cours de rencontres personnelles, durant les audiences et les visites sur le territoire, j’ai écouté et partagé le récit d’espérances, de lassitudes et de préoccupations pastorales; à la même table, nous nous sommes donné du courage en retrouvant dans le pain rompu le parfum d’une rencontre, raison ultime de notre marche vers la cité des hommes, le visage heureux et disposés à être « présence » et « évangile » de vie.

En ce moment, je tiens à vous dire ma reconnaissance pour votre généreux service, mais aussi offrir quelques éléments de réflexion pour aider à revisiter notre ministère, et faire en sorte que celui-ci réponde de plus en plus à la volonté de Celui qui nous a placés à la tête de son Église.

Le peuple des fidèles nous regarde. Le peuple nous regarde ! Je me souviens d’un film : « les enfants nous regardent », un beau film ! Le peuple nous regarde. Il nous regarde pour être aidé à saisir la particularité de son quotidien dans le contexte du dessein providentiel de Dieu. Notre mission est exigeante: elle nous demande de connaître le Seigneur, au point de demeurer en Lui; mais elle demande aussi d’habiter la vie de nos Églises particulières, jusqu’à en connaître tous les visages, les besoins et leur potentiel. Si la synthèse de cette double exigence est confiée à la responsabilité de chacun, certains traits sont néanmoins communs; et aujourd’hui je voudrais en indiquer trois, qui aideront à tracer les contours de notre profil de Pasteurs dans une Église qui est avant tout la communauté du Ressuscité, donc son corps et, enfin, anticipation et promesse du Royaume.

De cette façon je souhaite aussi aller au-devant – au moins indirectement – de tous ceux qui se demandent quelles sont les attentes de l’évêque de Rome sur l’épiscopat italien.

1. Pasteurs d’une Église qui est communauté du Ressuscité

Donc, interrogeons-nous : Qui est Jésus-Christ pour moi ? Comment a-t-il marqué la vérité de mon histoire ? Que dit ma vie de Lui ?

La foi, mes frères, est le souvenir vivant d’une rencontre, nourrie par le feu de la Parole qui façonne le ministère et oint tout notre peuple; la foi est un sceau placé sur le cœur : sans cet écrin, sans prière assidue, le Pasteur est exposé au danger d’avoir honte de l’Évangile, qui finira par délayer le scandale de la croix dans la sagesse mondaine.

Les tentations, qui essaient de voiler le primat de Dieu et de son Christ, sont « légions » dans la vie du Pasteur : elles vont de la tiédeur, qui finit par tomber dans la médiocrité, à la recherche d’une vie tranquille, qui évite les renonciations et le sacrifice. La précipitation pastorale est une tentation, de même envergure que sa demi-sœur, la paresse, qui porte à l’intolérance, comme si tout n’était qu’un poids. La présomption est une tentation : celle qui porte à croire que l’on ne peut compter que sur ses propres forces, sur l’abondance des ressources et structures, sur les stratégies d’organisation que nous sommes capables de mettre en œuvre. Se laisser aller à la tristesse est une tentation, cette tristesse qui éteint toute attente et créativité, laisse insatisfaits et donc incapables d’entrer dans le vécu de nos gens et de le comprendre à la lumière du matin de Pâques.

Frères, si nous nous écartons de Jésus Christ, si notre rencontre avec Lui perd de sa fraîcheur, nous finissons par ne plus toucher du doigt que la stérilité de nos paroles et de nos initiatives. Car les plans pastoraux sont utiles, mais notre confiance trouve sa réponse ailleurs : dans l’Esprit du Seigneur, qui – à la hauteur de notre docilité – nous ouvre toujours en grand les horizons de la mission.

Pour éviter d’échouer sur les rochers, notre vie spirituelle ne saurait se réduire à quelques moments religieux. Au fil des jours et des saisons, au fil de l’âge et des événements, entraînons-nous à nous considérer en regardant Celui qui ne passe pas : la spiritualité est un retour à l’essentiel, à ce bien que personne ne saurait nous enlever, la seule chose vraiment nécessaire. Dans les moments d’aridité aussi, quand les situations pastorales se compliquent et qu’on a l’impression d’être laissés seuls, celle-ci constitue un manteau de consolation plus grand que toute amertume; c’est un indicateur de liberté face au jugement du soi-disant « sens commun » ; une source
de joie, qui nous fait accueillir tout ce qui vient de la main de Dieu, jusqu’à contempler sa présence dans tout et en tous.

Ne nous lassons donc pas de chercher le Seigneur – de nous laisser chercher par Lui –, de soigner dans le silence et l’écoute orante nos relations avec Lui. Fixons notre regard sur Lui, centre du temps et de l’histoire ; faisons de la place à sa présence en nous: Il est le début et le fondement qui enveloppe de miséricorde nos faiblesses, qui transfigure et renouvelle; Il est tout ce que nous sommes appelés à offrir de plus précieux à notre peuple, sous peine de le laisser à la merci d’une société de l’indifférence, pour ne pas dire du désespoir. Chaque homme – même sans le savoir – vit de Lui. En Lui, Homme des béatitudes – page évangélique qui revient quotidiennement dans ma méditation – passe la haute mesure de la sainteté: si nous comptons le suivre, nous n’avons d’autre chemin que celui-ci. En le parcourant avec Lui, nous nous découvrons « peuple », jusqu’à reconnaître avec stupeur et gratitude que tout est grâce, même les peines et contradictions de la vie humaine, si celles-ci sont vécues d’un cœur ouvert au Seigneur, avec la patience d’un artisan et le cœur du pécheur repenti.

La mémoire de la foi est aussi compagnie, appartenance ecclésiale : voilà le second trait de notre profil.

2. Pasteurs d’une Église qui est corps du Seigneur

Essayons, encore, de nous demander : quelle image ai-je de l’Église, de ma communauté ecclésiale? Est-ce qu’en elle je me sens fils, et pas seulement Pasteur ? Sais-je remercier Dieu, ou est-ce que je saisis surtout les retards, les défauts et les manques ? Jusqu’à quel point suis-je disposé à souffrir pour elle ?

Frères, l’Église – dans le trésor de la Tradition vivante, qui dernièrement brille dans le saint témoignage de Jean XXIII et Jean Paul II – est l’autre grâce dont on doit se sentir profondément débiteur. Du reste, si nous sommes entrés dans le Mystère du Crucifié, si nous avons rencontré le Ressuscité, c’est en vertu de son corps qui, en tant que tel, ne peut être qu’un. L’unité est un don et une responsabilité : en être le sacrement configure notre mission. Cela demande un cœur dépouillé de tout intérêt mondain, loin de la vanité et de la discorde ; un cœur accueillant, capable de sentir avec les autres mais aussi de les considérer plus dignes que soi-même. C’est le conseil que nous donne l’apôtre.

Dans cette perspective, résonnent les paroles, plus actuelles que jamais, prononcées, il y a exactement 50 ans, par le Vénérable pape Paul VI – que nous aurons la joie de proclamer bienheureux le 19 octobre, à la clôture du synode des évêques pour la famille – en s’adressant aux membres de la Conférence épiscopale italienne, faisant de ce service de l’unité une « question vitale pour l’Église »: « le moment est venu (et devrions-nous en souffrir ?) de donner à nous-mêmes et d’imprimer à la vie ecclésiastique italienne un fort et nouvel esprit d’unité ». On vous donnera aujourd’hui ce discours. C’est un bijou. Comme s’il avait été prononcé hier.

Nous en sommes convaincus : le manque ou même la pauvreté de communion est le plus grand des scandales, l’hérésie qui défigure le visage du Seigneur et déchire son Église. Rien ne justifie la division : il vaut mieux céder, il vaut mieux renoncer – voire être disposés parfois à prendre sur soi l’épreuve d’une injustice – plutôt que de déchirer la tunique et scandaliser le saint peuple de Dieu.

C’est pourquoi, en tant que Pasteurs, nous devons échapper aux tentations qui, autrement, nous déchireraient : la gestion trop personnelle du temps, comme si notre bien-être pouvait être indépendant de celui de nos communautés; les bavardages, les demi-vérités qui deviennent des mensonges, la litanie des plaintes qui trahit d’intimes déceptions; la dureté de celui qui juge sans s’impliquer et le laxisme de tous ceux qui s’accommodent sans prendre en charge l’autre. Mais encore : se laisser ronger par la jalousie, l’aveuglement parce qu’on est envieux, l’ambition qui génère courants, factions, sectarisme: que le ciel est vide quand la personne est obsédée par elle-même… Et puis, le repliement qui va rechercher dans les formes du passé les sécurités perdues; et la prétention de tous ceux qui voudraient défendre l’unité en rejetant les diversités, humiliant ainsi les dons que Dieu nous faits et dont il se sert pour rendre jeune et belle son Église…

A suivre, demain, 22 mai…

Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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