"La face cachée d'Halloween" par D. Le Guay

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Halloween: un danger pour la démocratie?

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CITE DU VATICAN, Mardi 29 octobre 2002 (ZENIT.org) – Dans son livre « La face cachée d’Halloween » (Le Cerf, 163 pages, 13 euros), Damien Le Guay, analyse en profondeur le « phénomène Halloween », comme il l’explique dans cet entretien accordé à Samuel Pruvot pour l’hebdomadaire français « France catholique » (n°2853 du 25 octobre 2002, 60, rue de Fontenay – 92350 Le Plessis-Robinson).

Le phénomène en arrive même à faire des entorses au principe de la laïcité dans l’Education Nationale et l’auteur va jusqu’à affirmer: « Un mode religieux chimiquement instable constitue un danger pour la démocratie ».

Pour discuter d' »Halloween », France catholique donne également rendez-vous sur son site Internet (www.France-catholique.fr)

– « Pour ou contre « Halloween » ? » –

« Halloween », avec son cortège de sorcières, de citrouilles et de morts-vivants, a désormais pignon sur rue dans notre calendrier festif. Cette invasion indolore du territoire de la Toussaint, soutenue par les commerçants et les maîtresses d’école, semble faire l’unanimité. Quelques irréductibles résistent cependant à la séduction au nom du bon sens – comme notre collaborateur Damien Le Guay – et de la foi. Sont-ils des mauvais-coucheurs ces chrétiens qui voient d’un mauvais œil cette floraison automnale de celto-paganisme?

– Damien Le Guay, est-il opportun de partir en croisade contre le phénomène « Halloween » ?

– Le triomphe d' »Halloween » peut sembler de peu d’importance. Et il l’est, d’une certaine façon. De quoi s’agit-il ? D’une fête, venue d’ailleurs, et qui vient s’ajouter à d’autres fêtes pour la plus grande joie de nos enfants… Cependant, il faut y regarder de plus près et ne pas se laisser tromper par de fausses apparences. Dans ce livre, soucieux de regarder le concret et l’épaisseur des choses, j’entends mettre en évidence les enjeux de cette fête, partir de ce que nous voyons pour donner à penser. De toute évidence, la fête d' »Halloween » dissimule ses emprunts. L’agitation festive cache ce qui est promu en sous-main. Je ne défends pas, dans ce livre, la Toussaint, comme si nous étions sur un marché aux religions. J’essaye de réfléchir à ce qui nous est arrivé et aux raisons pour lesquelles « Halloween » s’est ainsi vautrée dans notre calendrier en si peu de temps.

– Quel est le danger de ces sorcières qui peuplent nos vitrines ?

– Il ne s’agit pas, pour moi, de douter du rôle formateur des fées, des magiciens et des sorcières qui peuplent l’imaginaire des enfants et leur permettent, comme l’a montré Bruno Bettelheim, de canaliser leurs peurs et de domestiquer leur sentiment de toute puissance. Tous les enfants, ceux d’hier et d’aujourd’hui, ont eu besoin d’en passer par la fée Carabosse et le grand méchant loup. Cependant, aujourd’hui, cet univers des sorciers est d’un autre ordre. Des feuilletons américains comme « Charmed », « Buffy », « Dark Angel », les feuilletons regardés par nos enfants, agissent sur les consciences enfantines de manière à les persuader que des forces occultes gouvernent le monde, que des puissances « maléfiques » agissent ici et maintenant et que les hommes ne sont que « des jouets » aux mains des sorciers. « Halloween » est un élément, un élément parmi d’autres, de ces croyances-là. De leur côté, les adultes ne croient-ils pas, avec les horoscopes, qu’ils sont « gouvernés » par les étoiles et la conjonction des unes avec les autres ?

– Trop de religieux chasse le religieux ?

– Nous assistons à un éclatement du religieux. Il se fragmente, n’est souvent plus tenu, s’éparpille, prend des formes variées. Le père Verlinde, lors des conférences de Carême, a montré les ravages du « nouvel âge » et des croyances en des forces impersonnelles. J’essaie, de mon côté, de repérer, avec « Halloween » et l’univers dont il est l’emblème, le retour de croyances religieuses primitives. « Halloween », de ce point de vue-là, est un OGM religieux. Un religieux (le christianisme) complexe, subtil, fin, faisant appel à la raison et en résonance avec l’humanisme est remplacé, pour partie, par un religieux pauvre symboliquement et dangereux spirituellement. J’essaie de penser ce déclin d’une structure religieuse avec le déclin du politique décrit, entre autres, par Pierre Manent et Alain Finkielkraut. Tocqueville voyait dans la religion un contre-poids indispensable à l’égalitarisme démocratique. Cette montée en puissance d’une religiosité anarchique est inquiétante. Je crois qu’un mode religieux chimiquement instable constitue un danger pour la démocratie.

– Peut-on comparer le vieux paganisme celte avec le bricolage de nos contemporains ?

– Vous avez raison de penser que la fête d' »Halloween » prend sa source dans la vieille fête de « Samhain », fête celte durant laquelle les esprits sortaient de terre et menaçaient les humains. Les druides, de maison en maison, demandaient, en échange d’une protection, un don. Un don pour une protection ; « un bonbon ou un sort ». Vous voyez bien que la structure est commune. Quant au bricolage religieux de nos contemporains il est, me semble-t-il, en affinité de pensée avec ce néo-paganisme dont nous parlons. Relevons différentes similitudes. Le refus de l’unité d’abord. Le paganisme suppose plusieurs dieux ; nous assistons, aujourd’hui, à une atomisation du social, la multiplication des groupes de pression et le communautarisme. Le refus de la transcendance est un autre point de rapprochement. Le paganisme promeut des divinités qui agissent ici, autour de nous. Ce divin-là n’ouvre pas sur un au-delà. Il reste attaché à la terre. Dans l’ordre du politique, on assiste à un refus du collectif au profit d’un individualisme de plus en plus arrogant. Il y a enfin (troisième similitude) l’idolâtrie. De nos jours, il y a une idolâtrie de la marchandise relayée par la tyrannie des marques et de la publicité: ce n’est pas pour rien qu' »Halloween » est promue par des « marques ». Nous en revenons toujours à cette opposition aux veaux d’or et cette défense du Dieu des hauteurs de la montagne qui en appelle à la gratuité.

– Le calendrier chrétien est-il le vestige d’un âge révolu ?

– On peut le craindre. Ce calendrier est en passe de devenir un simple décor et les références chrétiennes un langage étranger. Et cette situation nouvelle rend la culture (celle de Bach, Rembrandt ou Dostoïevski) incompréhensible à la plupart de nos contemporains. Si le sous-jacent fait défaut, comment comprendre la tragédie ou la joie de cette culture des anciens pétrie de christianisme ? Ajoutons à cela un certain désir de nos contemporains d’échapper aux rigueurs du christianisme. Ils préfèrent une religiosité plus servile, plus malléable, avec laquelle il est plus facile de faire des arrangements. Pour ceux-là, la norme et la loi du monothéisme passent pour insupportables. Quels compromis faire avec un seul Dieu qui sollicite la conscience de chacun ?

-La symbolique véhiculée par « Halloween » est-elle incompatible avec la culture chrétienne?

– En profondeur, il y a antinomie. Le néo-paganisme, avec ses rites, ses sorcières et ses cultes, implique une certaine « métaphysique » de la fatalité. « Nous n’y pouvons rien. C’est ainsi. » Le christianisme, lui, qui vient évangéliser le vieux fond de paganisme de tout un chacun, en appelle toujours à la liberté des individus. L’enjeu implicite est de taille : sommes-nous soumis à des forces anonymes ou libres d’aimer un Dieu personnel ? Kafka déjà, opposait les masses « modernes » en débandade qui marchent sans se voir, sans se parler, qui marchent pour marcher et s’agiter et vont vers l’abîme au « peuple de la Bible » qui lui, rassemblé, relié par une loi, s’avance vers l’avenir.

– La mort, omniprésente dans cette fête, n’est-elle pas le signe d’une angoisse existentielle ?

– Avec
« Halloween », la mort est prise au second degré. Elle n’est pas réelle. Elle entre dans l’imaginaire des jeunes comme objet de fête. Or, c’est à l’éducation qu’il revient normalement d’intégrer la mort comme un élément de limitation. Mgr Simon raconte à ce propos une anecdote symptomatique de ce décalage entre la réalité et l’imaginaire « Halloweenesque ». Des enfants déguisés en cadavres et en sorcières déambulent dans la rue et croisent un corbillard, un vrai, suivi d’un cortège. Les enfants alors, tout à leur fête, se mettent à suivre le cortège en chahutant. Comment imaginer qu’un enterrement puisse échapper à cette fête entraînante ? Vous voyez bien que le risque est grand, à trop flatter un certain imaginaire, de ne plus intégrer la mort, de la laisser en lisière de nos vies et de ne diminuer en rien l’angoisse existentielle de tout un chacun. Freud évoquait, à juste titre, cette « inquiétante étrangeté » qui gomme les frontières entre la réalité et l’imaginaire et nous fait perdre nos points de repère habituels. Cette « inquiétante étrangeté » ne s’est-elle pas généralisée avec le retour de ce néo-paganisme ?

– En critiquant l’imaginaire d' »Halloween », n’avez-vous pas l’impression de jouer au père fouettard ?

– Il est de notre devoir, au risque de passer pour un « père fouettard », de faire réfléchir aux enjeux de nos fêtes, quand celles-ci pervertissent une certaine idée de la liberté humaine. Pourquoi faudrait-il accepter qu' »Halloween » fasse de la mort une dérision et des forces occultes des puissances qui conditionnent notre présent ? Pourquoi ? Et ce d’autant plus que nous sommes à proximité de la Toussaint. D’un côté, avec « Halloween », vous avez une mort anonyme ; de l’autre, avec la Toussaint, vous avez le visage d’hommes éminents qui nous aident à mieux nous inscrire dans une histoire de sainteté. L’imaginaire d' »Halloween » flatte le sentiment de toute puissance des enfants : la Toussaint, elle, nous met en communion avec tous les hommes (vivants et morts) soucieux d’être meilleurs les uns avec les autres, les uns pour les autres.

– Que pensez-vous de l’attitude complice de l’Education nationale vis-à-vis d' »Halloween »?

– Indéniablement les maîtresses d’école ont tout fait pour promouvoir cette fête. Et si nous considérons que cette fête est d’une manière ou d’une autre religieuse, d’une religion certes dégradée, abâtardie, mais d’une religion quand même, nous ne pouvons que constater une flagrante entorse au principe de la laïcité. L’Education Nationale, incapable de déceler la nature religieuse d’une fête, refuse la religion à l’école par la porte mais laisse entrer des sorcières par les fenêtres. On en arrive à cette situation pour le moins paradoxale : la République Française fait un timbre en l’honneur d' »Halloween » mais ne donne pas aux enfants les moyens de comprendre un tableau religieux de Poussin. France Télécom organise une grande fête aux citrouilles et lance, ainsi, « Halloween » ; plus personne, à l’école, n’explique le sens des fêtes de Noël ou de Pâques.

– La fête, dans son aspect folklorique et commercial, est-elle condamnable ?

– Rien n’est condamnable mais rien, non plus, n’est innocent. Depuis une quinzaine d’années, beaucoup de fêtes artificielles se sont glissées dans notre calendrier. Philippe Murray attribue cette nouveauté au « partifestif » qui tendrait à imposer un certain amusement forcé. Déjà Bernanos, en son temps, s’insurgeait à l’idée de « gaver d’optimisme un monde désespéré ». Toutes ces fêtes tendent à nous gaver d’un optimisme de convenance, vide de sens et plein de réjouissances creuses. Alors, quand la confiance diminue et le désarroi augmente, la fête, sorte de sédatif social, prend de plus en plus d’importance. Il faut combler le vide, le remplir ! Aujourd’hui, par une sorte de dérive, les fêtes se célèbrent elles-mêmes. Que fêtons-nous ? Rien. Tout est prétexte, tout est occasion pourvu que l’ennui disparaisse. Cette festivité tyrannique est, d’une certaine manière, une conspiration contre la vie intérieure. Faut-il avoir, ainsi, peur de se retrouver seul avec soi-même ou, au contraire, oser prendre le risque de la belle solitude?

Propos recueillis par
Samuel PRUVOT

© France-Catholique

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ZENIT Staff

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