La démocratie menacée au Venezuela

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Entretien avec Mgr Baltazar Porras, vice-président du CELAM

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ROME, Mercredi 14 novembre 2007 (ZENIT.org) – Dans un entretien accordé à ZENIT, Mgr Baltazar Porras, ancien président de la Conférence épiscopale du Venezuela et actuel vice-président du CELAM (Conseil épiscopal latino-américain), lance une mise en garde contre toute prétention idéologique basée sur le socialisme bolivarien qui, a-t-il dit, constitue une menace pour la démocratie dans le pays.

Mgr Porras, archevêque de Merida, capitale de l’Etat du même nom, au nord-ouest du Venezuela, se trouve actuellement en Italie.

L’entretien a été réalisé par Giorgio Salina, président de l’association pour la Fondation européenne.

Q – Le président du Venezuela a proposé une réforme constitutionnelle, soit un total de 30 articles auxquels s’ajoutent 30 autres articles décidés par l’assemblée nationale ; tout ceci fera l’objet d’un referendum qui suscite de fortes réactions. De quoi s’agit-il et pourquoi tant d’inquiétude ?

Mgr Porras – Nous pouvons dire que ce qui sera soumis à référendum n’est pas une révision de la constitution, mais une nouvelle constitution qui, de fait, confère pratiquement les pleins pouvoirs au président et au gouvernement, ôtant ainsi au peuple, malgré les apparences, tout espace de participation.

D’autre part, les propositions ne peuvent être acceptées ou repoussées qu’en bloc et non sélectivement, empêchant ainsi tout discernement opportun entre les divers articles.

Q – Dans un récent document, la CEV (Conférence épiscopale du Venezuela) se montre particulièrement sévère et inquiète vis-à-vis de cette proposition de réforme. Elle va jusqu’à la qualifiée de ‘moralement inacceptable”. Expliquez-nous

Mgr Porras – Les récentes prises de position de l’Eglise, qu’elles viennent de la hiérarchie, des communautés religieuses ou des laïcs, sont bien accueillies et appréciées par le peuple qui y voit une manifestation de la défense de leurs droits à tous, et pas seulement de ceux qui ont le pouvoir et agissent par la force.

Les évêques en particulier ont qualifié cette réforme de « moralement inacceptable » pour quatre raisons :
– cette réforme est, comme je le disais auparavant, bien plus qu’une réforme ;
– elle affaiblit la protection des droits humains, tout en augmentant le pouvoir du gouvernement à agir sans contraintes ;
– voter 60 articles regroupés en deux blocs empêche toute possibilité de choix sélectif, limitant ainsi de fait la liberté d’expression de la volonté populaire.
– la campagne électorale est fortement manipulée et prévoit des possibilités trop différentes d’information entre la propagande gouvernementale, l’opposition, et la société civile.

Q – L’AFP (Agence France-Presse) a fait état il y a quelques jours d’une manifestation de masse en faveur du gouvernement. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Mgr Porras – Il faut savoir que la participation aux manifestations organisées par le gouvernement est obligatoire pour tous les employés de la fonction publique, auxquels on garantit des moyens de transport, et pour lesquels sont également prévus des panier-repas, et une indemnisation financière ! Tout cela parce que le gouvernement tient à l’effet médiatique, qu’il cultive à travers les grands réseaux d’information.

Pour l’opposition, les conditions sont très différentes ; elle doit affronter des difficultés en tout genre, et ses possibilités d’information sont beaucoup plus limitées. D’autre part, tout le monde a vu à la télévision que les gens, au bout de quelques heures, avaient déserté en masse, et on voyait qu’un certain malaise, un climat de mécontentement s’était installé.

Q – L’AP (Associated Press) a rapporté qu’une manifestation pacifique avait eu lieu pour demander au Tribunal suprême de proroger les temps visant à s’informer sur le contenu du texte et émettre des jugements pouvant être motifs d’opposition. Cette manifestation s’est déroulée pacifiquement, mais sur le campus, des étudiants et d’autres personnes ont subi de graves attaques de la part de personnes, armées et soutenues par des éléments proches du gouvernement. Quels sont vos sentiments à ce propos ?

Mgr Porras – C’est vrai, et c’est exactement ce qui s’est passé à San Cristóbal, à Maracaibo et encore à Caracas. Aujourd’hui, au Venezuela, beaucoup de gens portent des armes et la police leur garantit l’immunité, ce qui ne fait qu’accentuer le climat d’insécurité et de peur. La violence, provoquée par des infiltrés sur le campus universitaire, justifie l’intervention du gouvernement contre l’autonomie de l’université.

Q – Deux dépêches de l’agence AP présentent des affirmations inquiétantes : la première soutient que l’issue positive du référendum affaiblirait les libertés civiles ; la seconde parle du risque d’entraîner le Venezuela dans une aventure que personne ne souhaite. Aidez-nous a déchiffrez cela…

Mgr Porras – Elle affaiblirait les droits civils, car elle renforcerait le pouvoir discrétionnaire du gouvernement : qui n’est pas socialiste bolivarien n’est pas un bon Vénézuélien, et peut donc être poursuivi. En outre, l’expérience communiste castriste est étrangère à notre culture, c’est pourquoi personne ne souhaite se lancer dans des aventures de ce genre ; les positions proches de celles de Che Guevara sont perçues comme violentes et injustes.

Si le réferendum devait aboutir à un ‘oui’ cela voudrait dire que la majorité du peuple est avec Chavez et partage ses propositions, et qu’il s’agirait de toute façon d’accepter un choix démocratique. Vous êtes d’accord avec cela ?

Mgr Porras – Non, ça ne serait de toute façon pas un choix démocratique. Il suffit de regarder les chiffres : 80% du temps d’antenne, à la radio et à la télévision, est aux mains du pouvoir actuel, les 20% restants du temps, et bien entendu à des horaires où le taux d’écoute est bien inférieur, sont laissés à l’opposition. Un autre grave problème concerne le monitorage sérieux et indépendant du rendez-vous électoral, une fonction irremplaçable de contrôle pour garantir la démocratie qui, au Venezuela, il faut le reconnaître, n’existe pas.

Certes, il faut reconnaître aussi que l’opposition est divisée et incapable de faire une proposition unitaire ; les alternatives proposées vont de l’abstention à la participation au vote en votant contre, mais ceci crée une incertitude.

Je dois dire que je vois, hélas, un avenir plutôt sombre pour notre pays, un avenir de luttes et non un avenir de paix. Le communisme castriste ne fait pas partie du panorama que souhaite le peuple vénézuélien.

Q – La situation que vous venez de décrire a-t-elle une influence sur la vie de l’Eglise et sur celles des communautés chrétiennes dans le pays ?

Mgr Porras – Le résultat imprévisible de cette situation est un fort sentiment d’unité à l’intérieur de l’Eglise, et entre l’Eglise catholique et les autres confessions. Ils espéraient créer une division au sein de l’Eglise, alors qu’au contraire, mis à part quelques prêtres qui font beaucoup de bruit à la radio et à la télévision, évêques, prêtres et laïcs sont très unis et solidaires.

Et cela même s’ils font usage et abusent de symboles chrétiens, et si tout le gouvernement se déclare catholique. C’est une tactique qui a jusqu’à présent échoué. Alors qu’une toute petite minorité de chrétiens prend position pour le gouvernement, en matière de défense dans des domaines comme la liberté, les droits de l’homme, ou la pa
ix dans le pays et en dehors du pays, nous sommes vraiment soudés, et les vocations et conversions augmentent. Tout ceci, alors que 200 personnes ont été assassinées, sans compter les prises d’otages, les actes d’intimidation etc., sous l’œil indifférent et complice du pouvoir.

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ZENIT Staff

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