La « culture du don de soi » pour surmonter la crise (I/II)

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Réflexion de Carmine Tabarro

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Carmine Tabarro, experte en doctrine sociale de l’Église et en économie publique et de marché, donne une réflexion sur la différence entre « donner » et « faire don », le premier assimilé à un « contrat commercial », alors que le deuxième naît « de l’amour et dans la liberté », et qu’il accepte le risque.

« Dans une société fondée sur l’utilitarisme et fortement marquée par l’individualisme, où le narcissisme, l’égoïsme irrationnel, et la culture de l’égo sont largement présents, y a-t-il encore de la place pour une « culture du don de soi » chez le citoyen ?

La réponse est « oui », si nous recommençons à investir dans l’éducation permanente, dans la transmission du savoir accumulé aux nouvelles générations, si nous mettons au centre de la réflexion et des usages le don, en faisons un acte authentique d’humanisation chrétienne.

L’attention à la culture du don, à la lumière du christianisme, génère des rapports réciproques entre les hommes, même s’il faut être conscient que la réponse négative peut entrainer une blessure ou une déception.

De la société moderne à la société postmoderne, il semble que la culture du don de soi ait d’abord été reléguée à la sphère privée pour en être ensuite totalement expulsée. Autrement dit, dans la société postmoderne il semblerait qu’il n’y ait plus de place pour le don selon la culture chrétienne mais uniquement pour l’« échange » utilitaire ou spéculatif. Par exemple, ce « don instrumental » que l’on voit s’affirmer, qui se veut un moyen pour stimuler la gratuité et le désintérêt, est en fait dominé par la logique de l’intérêt, il renvoie à un certain ‘marketing social’.

Dans ce contexte, est en train de se répandre une fausse « culture du don » qui tend à acheter l’autre, pour le neutraliser et le limiter dans sa pleine liberté. Je pense à un certain type d’« aides humanitaires », qui pourraient « profiter » des situations catastrophiques pour favoriser des intérêts économiques particuliers.

Cette perversion de la « culture du don de soi » a des origines lointaines, mais elle revêt de nouvelles formes. Déjà Virgile écrivait dans l’Eneide: « Timeo Danaos et dona ferentes » (« Je crains les Grecs même quand ils apportent des dons »)…

On assiste par ailleurs à des formes de banalisation et d’irresponsabilité du don. Le don par SMS par exemple, prévoit un pourcentage – jusqu’à 70% – qui revient à l’administrateur. Au-delà du peu de transparence de ces formes de collecte et de ce type de compteur financier, on en vient à se demander si cette manière de banaliser et d’exploiter les tragédies humaines, sans avoir d’abord requis auprès des citoyens donneurs un geste de conscience et de responsabilité, est vraiment un don.

Par ailleurs, avec toutes ces vieilles et nouvelles formes de pauvreté qui grandissent autour de nous, pourquoi la plus grande majorité de ces collectes, souvent alimentées par la publicité dans les mass media, est-elle destinée à des pays lointains et des situations difficiles à vérifier ?

Le chrétien connaît les risques, les instrumentalisations possibles, les perversions du don, les blessures que l’on peut recevoir en donnant : le don peut être refusé par des attitudes de violence ou dans l’indifférence distraite; le don peut être reçu sans réciprocité ; le don peut être gaspillé : donner, en un mot, demande l’acceptation d’un risque.

Malheureusement, le don peut aussi être instrumentalisé, il peut devenir un moyen de pression qui influe sur l’autre, peut se transformer en un outil de contrôle, peut enchainer la liberté de l’autre au lieu de la libérer.

Notre situation serait-elle donc aujourd’hui désespérée ? Non !

Donner a toujours été difficile : l’être humain en est capable parce qu’il a été créé ontologiquement et biologiquement pour être en relation avec l’autre.

Jésus a non seulement enseigné à donner ce que l’on a, ce que l’on possède, mais à donner aussi ce que l’on est, il a invité à « donner de soi-même ».

Pour le chrétien, donner signifie remettre un bien dans les mains d’un autre sans rien prétendre en retour.

« Faire don » n’est pas la même chose que « donner ». « Donner » c’est activer un contrat commercial, « donner » c’est vendre un bien en échange d’argent.

Pour le chrétien, au contraire, le don nait de l’amour et dans la liberté : le don est le reflet de l’amour reçu de Dieu, donc indépendant de la réponse de l’autre.

Ce genre de don gratuit attend que le destinataire réponde au donneur et que se déclenche  un rapport réciproque, mais il se peut aussi que le don ne soit pas accueilli, qu’il se retourne même contre le donneur, ou ne suscite pas de réaction de gratitude.

« Faire don » est une action qui nait de l’amour et de la liberté. C’est la grandeur de la dignité de la personne humaine qui sait donner d’elle-même et sait le faire dans la liberté !

L’homo donator sait qu’il va à l’encontre d’un risque s’il donne, mais ce risque est absolument nécessaire pour rejeter l’homme utilitariste, l’homme égoïste.

En se donnant, on donne vie à une relation qui n’est pas le fuit d’un échange, d’un contrat ou de quelque chose d’utile. Le don révolutionne les relations et les rapports, jusqu’à poser la possibilité d’une « bonne dette », c’est-à-dire la « dette de l’amour » que chacun a envers l’autre dans la communitas.

Comme l’écrit saint Paul aux Romains: « Ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel » (Rm 13,8).

La première possibilité du don passe par la confiance: une confiance donnée, donnée à l’autre. La crise systématique qui nous vivons est fondamentalement « une crise de confiance ». Sans la confiance et la foi en l’homme et dans les autres, le développement intégral de l’homme n’existe pas et il n’y a pas de société humaine; l’éloquence de la confiance c’est justement donner de soi-même, elle est alors promesse et génératrice de responsabilité envers l’autre.

Dans les vraies « histoires d’amour » quotidiennes, c’est précisément pour que la rencontre devienne histoire, pour que l’instant devienne temps, qu’il faut vivre le don de soi, lequel s’alimente à travers la foi et la confiance en l’autre, sinon tout se pervertit en bien de consommation. D’ailleurs, ou le don se fait chair ou il devient aliénation. »

[A suivre, demain, mardi 18 février]

Traduction d’Océane Le Gall

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Carmine Tabarro

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