L’homme ne s’est jamais habitué à l’injustice, mais Dieu est juste

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Commentaire de l’évangile du dimanche 20 juillet, par le P. Cantalamessa

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ROME, Vendredi 18 juillet 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 20 juillet, proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.

[Ce commentaire a été publié par erreur le vendredi 4 juillet mais il s’agit bien du commentaire de l’Evangile du dimanche 20 juillet]

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 13, 24-43

Jésus proposa cette parabole à la foule : « Le Royaume des cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ; il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla. Quand la tige poussa et produisit l’épi, alors l’ivraie apparut aussi. Les serviteurs du maître vinrent lui dire : ‘Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?’

Il leur dit : ‘C’est un ennemi qui a fait cela.’ Les serviteurs lui disent : ‘Alors, veux-tu que nous allions l’enlever ?’
Il répond : ‘Non, de peur qu’en enlevant l’ivraie, vous n’arrachiez le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, rentrez-le dans mon grenier.’ »
Il leur proposa une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a semée dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel font leurs nids dans ses branches. »
Il leur dit une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à du levain qu’une femme enfouit dans trois grandes mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. »
Tout cela, Jésus le dit à la foule en paraboles, et il ne leur disait rien sans employer de paraboles, accomplissant ainsi la parole du prophète : C’est en paraboles que je parlerai, je proclamerai des choses cachées depuis les origines.
Alors, laissant la foule, il vint à la maison. Ses disciples s’approchèrent et lui dirent : « Explique-nous clairement la parabole de l’ivraie dans le champ. »
Il leur répondit : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume ; l’ivraie, ce sont les fils du Mauvais. L’ennemi qui l’a semée, c’est le démon ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. De même que l’on enlève l’ivraie pour la jeter au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son Royaume tous ceux qui font tomber les autres et ceux qui commettent le mal, et ils les jetteront dans la fournaise : là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Celui qui a des oreilles, qu’il entende !

© Copyright AELF – Paris – 1980 – 2006 Tous droits réservés

Le bon grain et l’ivraie

Au moyen de trois paraboles, Jésus trace dans l’Evangile la situation de l’Eglise dans le monde. La parabole du grain de sénevé qui devient un arbre, indique la croissance du royaume de Dieu sur la terre. La parabole du levain dans la farine signifie elle aussi la croissance du Royaume, mais plutôt en intensité qu’en extension ; elle indique la force transformatrice de l’Evangile qui « lève » la masse et la prépare à devenir du pain.

Ces deux paraboles furent facilement comprises par les disciples, il n’en est pas ainsi de la troisième, le bon grain et l’ivraie, que Jésus fut obligé de leur expliquer à part. Le semeur, dit-il, c’était lui-même, la bonne semence, c’était les fils du royaume, la mauvaise semence, c’était les fils du malin, le champ, le monde et la moisson, la fin du monde.

Dans l’antiquité, la parabole de Jésus fut l’objet d’une discussion mémorable qu’il est très important de garder à l’esprit aujourd’hui aussi. Il y avait des esprits sectaires, les donatistes, qui résolvaient le problème de manière simpliste : d’une part, l’Eglise (leur Eglise !) faite entièrement et seulement de parfaits ; de l’autre, le monde remplis de fils du malin, sans espérance de salut. Saint Augustin s’opposa à eux : le champ, expliquait-il, est bien le monde, mais il est également l’Eglise ; le lieu où vivent côte à côte les saints et les pécheurs et où il y a de la place pour grandir et se convertir. « Les méchants, disait-il, existent dans ce but, ou pour se convertir, ou pour que grâce à eux les bons puissent exercer leur patience ».

Les scandales qui, de temps en temps, ébranlent l’Eglise doivent donc nous attrister mais pas nous surprendre. L’Eglise est faite de personnes humaines, et pas seulement de saints. Il y a de l’ivraie également en chacun de nous, pas seulement dans le monde et dans l’Eglise, et cela devrait nous rendre moins prompts à montrer les autres du doigt. Erasme de Rotterdam répondit un jour à Luther, qui lui reprochait de rester dans l’Eglise catholique malgré sa corruption : « Je supporte cette Eglise dans l’espérance qu’elle devienne meilleure, car elle aussi est obligée de me supporter dans l’attente que je devienne meilleur ».

Cependant, le thème de la parabole n’est peut-être ni le bon grain ni l’ivraie, mais la patience de Dieu. La liturgie le souligne par le choix de la première lecture, qui est un hymne à la force de Dieu qui se manifeste sous forme de patience et d’indulgence. La patience de Dieu n’est pas une simple patience, c’est-à-dire une attente du jour du jugement pour ensuite punir plus sévèrement. Elle est longanimité, miséricorde, volonté de sauver.

La parabole du bon grain et de l’ivraie se prête à une réflexion plus profonde. L’un des plus grands motifs d’embarras pour les croyants et de refus de Dieu pour les non croyants a toujours été le « désordre » qui existe dans le monde. Le livre biblique du Qoelet qui se fait si souvent le porte-parole des raisons de ceux qui doutent et des sceptiques, remarquait : « Ainsi tous ont un même sort, le juste et le méchant… Je regarde sous le soleil : à la place du droit, là se trouve le crime, à la place du juste, se trouve le criminel » (Qo 3, 16 ; 9, 2). A toutes les époques on a vu l’iniquité triompher et l’innocence humiliée. « Mais – remarquait le grand orateur Bossuet – pour que l’on ne croit pas que dans le monde il y a quelque chose de fixe et de sûr, voilà que parfois on voit le contraire, c’est-à-dire l’innocence sur le trône et l’iniquité sur l’échafaud ».

L’auteur du Qoelet avait déjà trouvé la réponse à ce scandale : « Et je me dis en moi-même : le juste et le criminel, Dieu les jugera, car il y a un temps pour toutes choses et pour toute action ici » (Qo 3, 17). C’est ce que Jésus appelle dans la parabole le « temps de la moisson ». Il s’agit, en d’autres termes, de trouver le juste point d’observation face à la réalité, de voir les choses à la lumière de l’éternité. Il se produit alors comme dans certains tableaux modernes qui, vus de près, semblent un regroupement de couleurs sans ordre ni signification, mais observés à la juste distance révèlent un dessin précis et puissant.

Il ne s’agit pas de rester passifs et d’attendre face au mal et à l’injustice, mais de lutter par tous les moyens licites pour promouvoir la justice et réprimer l’injustice et la violence. A cet effort qui est de tous les hommes de bonne volonté, la foi ajoute une aide et un soutien d’une valeur inestimable : la certitude que la victoire finale ne sera pas celle de l’injustice et de la tyrannie mais de l’innocence.
L’homme moderne trouve difficile d’accepter l’idée d’un jugement dernier de Dieu
sur le monde et sur l’histoire, mais en cela il est en contradiction avec lui-même, car c’est lui qui se rebelle à l’idée que l’injustice ait le dernier mot. En tant de millénaires de vie sur la terre, l’homme s’est habitué à tout ; il s’est adapté à chaque climat, immunisé contre de nombreuses maladies. Il ne s’est jamais habitué à une chose : à l’injustice. Il continue à la ressentir comme intolérable. Et c’est à cette soif de justice que répondra le jugement. Il ne sera pas voulu seulement par Dieu, mais aussi par les hommes et, paradoxalement, aussi par les impies : « Le jour du jugement dernier, dit le poète P. Claudel, ce n’est pas seulement le Juge qui descendra du ciel, mais ce sera toute la terre qui se précipitera à sa rencontre ».

Comme les événements humains changent d’aspects vus sous cet angle, même ceux qui ont lieu dans le monde d’aujourd’hui ! Prenons le phénomène, qui humilie et attriste tant d’entre nous qui sommes Italiens, de la criminalité organisée : mafia, ‘ndrangheta, camorra… mais qui, sous d’autres noms, est présent dans de nombreux pays. Récemment le livre « Gomorre » de Saviano et ensuite le film réalisé à partir de celui-ci ont documenté le degré de haine et de mépris des autres atteint par les chefs de ces organisations, mais aussi le sens d’impuissance et presque de résignation de la société face à ce phénomène.

Nous avons vu, par le passé, des personnes de la mafia accusées de crimes horribles, se défendre avec le sourire sur les lèvres, tenir en échec les juges et les tribunaux, se sentir fortes face au manque de preuves. Comme si, en échappant aux juges humains, ils avaient tout résolu. Si je pouvais m’adresser à eux, je leur dirais : ne vous faites pas d’illusion pauvres malheureux ; vous n’avez rien fait ! Le vrai jugement doit encore venir. Même si vous deviez finir vos jours en liberté, craints, honorés, même avec de splendides funérailles religieuses, après avoir laissé de généreux dons pour les œuvres pieuses, vous n’aurez rien fait. Le vrai Juge vous attend derrière la porte, et on ne le trompe pas. Dieu ne se laisse pas corrompre.

Ce que Jésus dit en terminant son explication sur la parabole de l’ivraie devrait donc être un motif de réconfort pour les victimes, et de crainte salutaire pour les violents : « De même que l’on enlève l’ivraie pour la jeter au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son Royaume tous ceux qui commettent le mal, et ils les jetteront dans la fournaise : là il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père ».

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ZENIT Staff

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