L'expérience de don Giussani (II/II)

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Communiquer au monde la rencontre du Christ

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Voici la seconde partie de l’intervention de Roberto Fontolan, directeur du Centre international de Communion et Libération, au Congrès international sur la mission des mouvements ecclésiaux et des nouvelles communautés dans la formation et la diffusion de la foi, organisé le 16 mai 2013 à l’université pontificale Regina Apostolorum. 

***

4. Elargir la raison.

On comprend ici toute la portée du combat que Benoît XVI a mené pendant toute la durée de son pontificat pour élargir la raison.

Car plus que d’un abandon des principes proposés par l’Eglise, la culture dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui vient d’un usage réduit de la raison en clef exclusivement positiviste, qui fait qu’on exclut tout ce qui ne rentre pas dans le domaine du vérifiable ou du falsifiable.

Mais il est évident qu’une telle conception de la raison a ses limites. On ne saurait oublier à ce propos l’ingénieuse métaphore du bunker, utilisée par Benoît XVI lors de son voyage en Allemagne : « La raison positiviste, qui se présente de façon exclusive et n’est pas en mesure de percevoir quelque chose au-delà de ce qui est fonctionnel, ressemble à des édifices de béton armé sans fenêtres, où nous nous donnons le climat et la lumière tout seuls et nous ne voulons plus recevoir ces deux choses du vaste monde de Dieu » (9). Seule une raison ouverte au langage de l’Etre peut laisser de l’espace à une foi qui n’est pas perçue comme un ajout sans importance. Et c’est seulement en acceptant d’utiliser la raison dans toute son ampleur – et  non réduite à ce qui est mesurable, démontrable ou logique – que nous arriverons à surmonter ce dualisme qui condamne la foi comme privée d’intérêt pour la vie de chaque homme.

Il faut des témoins où brilleraient la beauté, la raison, l’intelligence d’une vie qui défie la culture de la sécularisation : un sujet humain qui vit la réalité de manière différente.

Luigi Giussani, à ce propos, avait été très prophétique. Il disait: « […] une foi sans référence et sans le vécu d’une expérience, confirmée par elle et servant à répondre à ses exigences, n’aurait pas été une foi capable de résister dans un monde où tout, tout, disait le contraire» (10).

5. Saisis par la Vérité.

Mais pourquoi nous les chrétiens ne pouvons-nous pas apporter une nouveauté libératrice et raisonnable? Serait-ce parce que nous sommes les détenteurs de la vérité ? Non, car personne ne détient la vérité, mais c’est la vérité qui nous possède. En exposant ce concept face à ses anciens élèves réunis à Castel Gandolfo, Benoît XVI utilisait un terme que je trouve intéressant. Il disait que nous sommes « saisis » par la vérité. Ce mot – saisis – est le même que celui qu’avait voulu utiliser le président de la Fraternité Communion et Libération, don Julián Carrón, pour commenter la décision du pape de renoncer au ministère de Pierre, parlant de l’ « incroyable liberté d’un homme saisi par le Christ » (11).

La conséquence de celui qui se laisse « saisir » et guider par le Christ, par la vérité faite chair, le pape nous en a apporté le témoignage en utilisant sa propre personne, nous surprenant « par un geste de liberté sans précédents, qui privilégie avant tout le bien de l’Eglise », en montrant au monde entier « d’être totalement abandonné au dessein mystérieux d’un Autre. […]. Le geste du pape est un rappel fort à renoncer à toute sécurité  humaine, en s’en remettant uniquement à la puissance de l’esprit […]» (12).

Et ce rappel a été si puissant qu’il a touché non seulement les catholiques, mais l’humanité entière, qui  s’est arrêtée un moment.

Ceci nous renvoie encore une fois au point énoncé au début : ce n’est pas une stratégie de la communication qui a suscité la stupeur du 11 février dernier, mais la relation décisive et totalisante du pape avec le Seigneur de la vie.

Benoît XVI nous montre sur sa peau qu’elle est l’unique manière de communiquer au monde sa rencontre avec le Christ : se laisser saisir par Lui. Notre reconversion à Lui, un retour constant à sa personne, est donc nécessaire. « A rien, hormis Jésus, le chrétien n’est attaché » (13).

6. La vraie espérance repose sur le Christ.

C’est tout aussi clairement que son successeur, dans le choix même de son nom « François »,  nous indique «  où fixer notre regard. Comme le « Poverello » d’Assise, le pape déclare n’avoir aucune autre richesse que le Christ, et ne connaître aucune autre façon de la communiquer que par le  simple témoignage de sa propre vie »14. François nous montre où peut reposer la vraie Espérance: « Ne vous laissez jamais prendre par le découragement! Notre joie n’est pas une joie qui naît du fait de posséder de nombreuses choses, mais elle naît du fait d’avoir rencontré une Personne : Jésus, qui est parmi nous ; elle naît du fait de savoir qu’avec lui nous ne sommes jamais seuls, même dans les moments difficiles, même quand le chemin de la vie se heurte à des problèmes et à des obstacles qui semblent insurmontables, et il y en a tant ! […] Nous accompagnons, nous suivons Jésus, mais surtout nous savons que lui nous accompagne et nous met sur ses épaules : ici se trouve notre joie, l’espérance que nous devons porter dans notre monde. Et s’il vous plaît ! Ne vous laissez pas voler l’espérance ! Ne vous laissez pas voler l’espérance ! Celle que Jésus nous donne » (15).

Je trouve intéressant que le pape, dès ses premiers gestes après son élection, ait voulu exhorter – tout particulièrement les jeunes – à ne pas perdre l’espérance. Jean-Paul II avait fait la même chose, lors du premier discours de son pontificat, en disant cette phrase devenue célèbre, « N’ayez pas peur, ouvrez grand les portes au Christ » (16). Et Benoît XVI aussi avait voulu reprendre l’invitation de son bien aimé prédécesseur, à l’occasion de sa première célébration en tant qu’évêque de Rome (17).

Pourquoi les trois derniers papes ont-ils voulu commencer de cette manière leurs pontificats ? Mais surtout, dans une réalité comme celle que nous vivons aujourd’hui, avec des côtés quelque peu dramatique, qui d’autre a le courage de faire une affirmation de ce genre, surtout en s’adressant à des jeunes ? 

Ces appels à l’espérance et à ne pas avoir peur, naissent non pas d’une volonté de censurer toute la problématique que notre époque draine avec elle, mais pour affirmer qu’il y a du positif malgré les conditions dans lesquelles nous nous trouvons.

Pourquoi ? Parce que notre espérance ne repose pas sur la confiance en la capacité et la cohérence  des hommes, mais sur le fait que Jésus-Christ a déjà triomphé.

Et ceci créé une certitude qui est si grande qu’elle est capable de faire de nous des « êtres libres » de toute peur, et qu’elle ne peut avoir en retour que le désir de le communiquer à tous. 

Si don Giussani dit que la mission est « pour les chrétiens une manière originale de dialoguer» (18), ce n’est pas un hasard. Ce dialogue naît de la certitude d’être tous liés à un même destin. Cette certitude qui est en effet une autre grande découverte de la rencontre du Christ : Unis à Lui,  plus rien n’est étranger à nos yeux. Notre relation à Lui nous ouvre à tout et à tous, et c’est pourquoi la mission a une tension universelle et n’est pas authentique si elle n’est pas ouverte à tous.

7. Une conversion continue dans un rapport constant avec Lui.

Mais pour être porteurs de cette nouveauté, il nous faut être nous-mêmes, à chaque fois,  en quelque sorte, les premiers destinataires de notre annonce. Le chem
in de la conversion, en effet, n’arrive jamais à un point d’arrivée définitif. Pour quelle raison ? Parce que le parcours du chrétien est la « course en avant permanente » de celui qui « a déjà été saisi » et doit « saisir ». C’est précisément parce ce que ce à quoi nous sommes confrontés ne relève pas passé, et qu’avec Jésus je vis aujourd’hui dans son Eglise, il nous faut être en relation avec Lui, revenir continuellement à Lui. A partir du moment où c’est la méthode choisie par Jésus pour entrer en communication avec l’homme, il nous faut cohabiter avec Lui.

Au fond, que racontent les quatre évangiles si ce n’est comment était la vie avec Lui ? On y rapporte aussi des faits sensationnels, certes, mais la stupeur pour le miracle est destinée à diminuer si l’on s’arrête à l’émerveillement et refuse de s’engager dans une relation avec Lui.

Ce n’est que dans la cohabitation que nous approfondirons ce charme dont nous avons entendu le contrecoup initial, mais qui finira par passer et se transformer en un beau souvenir du passé si nous refusons d’entreprendre le chemin que ce contrecoup implique et que Lui nous propose.

Comme dit Romano Guardini, «  Cette révélation de la divinité qui pèse sur l’existence vivante de Jésus, non pas par des manifestations impétueuses ou par de grandes actions, mais en transcendant continuellement, silencieusement, les limites des possibilités humaines, dans une grandeur et dans une ampleur  que l’on perçoit d’abord comme un bénéfice naturel, comme une liberté qui paraît naturelle, comme une humanité simplement sensible – exprimées dans le merveilleux nom de « Fils de l’homme », que lui-même s’attribuait si volontiers – finit par se révéler tout simplement comme un miracle […] un pas silencieux qui transcende les limites imposées par les possibilités humaines mais bien plus prodigieux que l’immobilité du soleil et le tremblement de la terre » (19).

Pour annoncer l’expérience de la rencontre du Christ on ne doit pas rapporter de faits exceptionnels et sensationnels: ceux-ci peuvent avoir une forte résonance immédiate, mais sont destinés à être oubliés, car ce n’est pas de ça dont le monde a besoin. Ce dont il a vraiment besoin – et qui est réellement convaincant dans le message évangélique – c’est d’une quotidienneté qui devient exceptionnelle, mais pas parce qu’il arrive des choses extraordinaires, paranormales. Celle-ci devient exceptionnelle parce que tous les jours le Christ est présent et nouveau.

Qui reconnaît la présence du Christ dans la vie, qui accepte sa présence dans la vie d’aujourd’hui porte en lui une force communicative qui parle d’elle-même. Et on le voit bien,  car chacun de nous est attiré par ces hommes et ces femmes qui se rendent transparents au Christ. Nous tournons notre regard vers eux, les cherchons, voyons en eux une vie humaine pleine, une capacité d’amour, une vérité d’âme qui nous fait dire : « moi aussi je veux être comme ça ». Mais ce qu’il y a de beau dans le christianisme c’est que chacun peut être comme ça. Et non pas en devenant tout ò coup cohérent, il n’y a pas d’examens à passer pour arriver à une telle plénitude et luminosité. On n’arrive pas au Christ parce que l’on a changé, on arrive à Lui parce que l’on est dans le besoin. Alors, face à cette invitation, nul ne peut se sentir exclu.

(La première partie de la réflexion a été publiée lundi dernier, 20 mai)

NOTES 

(9) Benoît XVI, Discours durant la visite au parlement fédéral allemand dans le Reichstag de Berlin, 22 septembre 2011

(10) L. Giussani, Il rischio educativo, Rizzoli, Milano 2005, p. 20

(11) Communiqué presse – Carron (CL):«L’incredibile libertà di un uomo afferrato da Cristo»

(12) Ibidem

(13) L. Giussani, Quella grande forza del Papa in ginocchio, Repubblica 15 mars 2000

(14) J. Carron, Francesco ci indica dove occorre fissare lo sguardo, Avvenire 16 mars 2013

(15) Pape François, Homélie pour la célébration du dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur, Rome, 24 mars 2013

(16) Jean-Paul II, Homélie début pontificat, Rome, 22 octobre 1978

(17) Benoît XVI, Homélie début pontificat, Rome, 24 avril 2005

(18) L. Giussani, Il cammino al vero è un’esperienza, Rizzoli, Milan 2006, p. 188

(19) R. Guardini, La figura di Gesù Cristo nel nuovo testamento, Morcelliana, Brescia 1964, p. 98

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Roberto Fontolan

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