L’engagement de Jean-Paul II pour le Liban, par Fady Noun

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« Saint-Père, sauvez le Liban ! »

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 ROME, Lundi 2 mai 2011 (ZENIT.org) – « Saint-Père, sauvez le Liban », ou la petite histoire de l’engagement de Jean-Paul II pour le Liban : Fady Noun, journaliste libanais connu propose aux lecteurs de Zenit cette anticipation sur son livre « Dévastation et rédemption, récits d’apparitions de la Vierge au Liban », à paraître dans une collection spéciale de la faculté des sciences religieuses de l’USJ.

« Saint-Père, sauvez le Liban ! », par Fady Noun

« La disparition du Liban serait sans aucun doute l’un des plus grands remords du monde. Sa sauvegarde est l’une des tâches les plus urgentes et les plus nobles que le monde d’aujourd’hui se doive d’assumer (…). L’Église désire manifester au monde que le Liban est plus qu’un pays, c’est un message de liberté et un exemple de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident ».

La lettre adressée par Jean-Paul II, en octobre 1989, à tous les évêques de l’Église catholique contient la célèbre formule qui, réduite à sa plus simple expression, résumera aux yeux des Libanais ce qu’ils savent certes, mais obscurément : leur pays est « un message ». Il a son identité propre, sa vocation historique.

La formule a fait fortune. Il n’y a pas une semaine où elle n’est pas citée par l’un ou l’autre de nos leaders politiques ou religieux pour exprimer leur idéal de ce que devrait être notre pays, enfin débarrassé des allégeances politiques et idéologiques conflictuelles qui le déchirent.

C’est un fait : dès son élection en 1978, Jean-Paul II a été étroitement mêlé à l’histoire de la guerre du Liban. L’attention extraordinaire qu’il a manifestée à notre égard et qui l’a conduit à consacrer au Liban, en 1997, une assemblée spéciale du synode des évêques pour notre pays, a une explication. L’évocation de cette histoire nous permet de percevoir comment une trame providentielle se tisse dans l’épaisseur de nos actions quotidiennes, comme à notre insu.

Des historiens l’ont affirmé : le Liban, né en 1943 d’un pacte conclu entre chrétiens et musulmans, aurait pu se désintégrer sous l’action conjuguée des pressions externes et internes, notamment en raison du caractère hétérogène de sa société. Le fait que cet éclatement ne se soit pas produit est dû à un ensemble de causes. Le rôle préventif éminent joué sur ce plan par Jean-Paul II et la diplomatie vaticane mérite évidemment plus qu’un article. Il a été déterminant. Nous en évoquons ici les grands traits.

Une vocation

Nul n’a souligné plus fortement que le grand pape la vocation à l’unité des Libanais. Il l’a fait de façon répétée, insistante, adressant aux Libanais message après message, et faisant prier pour le Liban les évêques du monde entier, à l’encontre même des aspirations de certaines forces politiques chrétiennes au Liban, tentées par la partition.

À tous ceux qui s’interrogent sur ce qui a concrètement encouragé Jean-Paul II à se pencher avec tant de constance sur le dossier Liban, voici un récit surprenant. Il touche à ce qu’on appelle la « petite histoire », mais n’en est pas moins révélateur. On le doit à Gilberte Doummar, une mère de famille membre du mouvement des Focolari, qui a représenté le Liban de longues années durant au Conseil pontifical pour l’apostolat des laïcs. À ce titre, elle s’est souvent rendue au Vatican et a rencontré, à diverses reprises, le pape et ses proches collaborateurs.

Voici son témoignage : « C’était en 1984, pour la première assemblée du Conseil pontifical pour l’apostolat des laïcs, raconte-t-elle. Nous étions réunis dans la salle Clémentine. Le cardinal Pironio, alors président de ce Conseil, me présente au pape. Je le remercie pour tout ce qu’il fait pour le Liban, et il me dit : ‘Oui, le Liban est au centre de mes préoccupations, de mes prières’ ».

En fin d’après midi, je rencontre un ami de longue date du pape, l’écrivain Stephane Vilkanovitch, auquel je dis : « Le Saint-Père a un amour spécial pour le Liban. Comment, d’où cela lui vient-il ? » Il me répond : « J’ai rendez-vous avec lui ce soir. Je lui poserai la question. »

Le lendemain, il me dit : « J’ai la réponse. La voici. Quand, en octobre 1978, après son élection, il est sorti saluer la foule sur la place Saint-Pierre – et bien sûr, à l’époque, les calicots et banderoles étaient défendus -, un calicot est apparu subitement, sur lequel était écrit : ‘Saint-Père, sauvez le Liban !’ avant d’être prestement escamoté. Et, a dit le Saint-Père, cela lui est entré au cœur « comme un dard ». À la fin des festivités, après avoir salué tout le monde, il est rentré s’agenouiller devant le Saint-Sacrement et a demandé à Jésus, présent dans l’Eucharistie, ‘assez de vie pour pouvoir sauver le Liban’ ».

Et voilà comment un simple geste peut imperceptiblement infléchir le cours de l’histoire ! Dès 1978, Jean-Paul II avait déjà fixé pour objectif à la diplomatie vaticane d’empêcher l’éclatement du Liban. Et Dieu a non seulement donné assez de vie à Jean-Paul II pour « sauver le Liban », qu’il a sauvé lors de l’attentat du 13 mai 1981, pour lui permettre d’achever la mission particulière qu’il s’était assignée et qui, naturellement, s’insère dans une trame globale aux dimensions du monde.

Jean-Paul II ne l’a jamais caché. Il croit fermement que le 13 mai, date anniversaire des apparitions de Fatima en 1917, il doit la vie sauve à une intervention miraculeuse de la Vierge. « Une main a tiré, une autre a détourné la balle », a-t-il confié à André Frossard.

« Ce qui importait surtout au pape, assure Gilberte Doummar, c’est son unité. Il voulait que les chrétiens œuvrent pour l’unité du Liban. En mars 1986, le Saint-Siège, sous son impulsion, avait lancé un plan de sortie de la guerre que le cardinal Achille Silvestrini, principal figure diplomatique du Vatican sous son pontificat, fut chargé de mettre en œuvre. Il tentera en particulier de réunir un sommet national islamo-chrétien. Mais le cardinal Silvestrini échouera à opérer une brèche dans le mur que la Syrie avait dressé entre les Libanais, comme l’affirme Antoine Saad dans l’ouvrage de souvenirs autobiographiques qu’il a consacré au patriarche Nasrallah Sfeir.

Auparavant, le Vatican s’était employé, en vain, à empêcher l’armement des milices chrétiennes, estimant que les voies de la paix étaient préférables à celles de la violence. Le Saint-Siège avait même reproché à certains responsables d’ordre monastique d’avoir « oublié leur vocation en fournissant des armes aux chrétiens ».

Faites prier pour le Liban

« En 1987, reprend Gilberte Doummar, après l’échec de la mission Silvestrini, très triste et avec un geste las de la main, il m’avait dit : « Priez, faites prier pour le Liban ». Quand il a déclaré le « Liban pays message », il voyait d’un regard prophétique ce que pouvait donner le Liban, le rayonnement, la mission très grande qu’il pouvait avoir. Le Liban est fait pour l’unité. Le pape avait le don de voir ce que nous ne voyons pas. »

Le pape finira par atteindre, en partie, son objectif, du moins sur le plan spirituel. Il convoqua une assemblée spéciale du synode des évêques sur le Liban. Celle-ci se tint à Rome en 1995. Deux ans plus tard, Jean-Paul II se rendra au Liban (10-11 mai 1997) pour y remettre solennellement l’Exhortation apostolique postsynodale : « Une espérance pour le Liban », aux différents représentants des Églises catholiques et à la jeunesse de notre pays. Le document consacra, contre vents et marées, sa vision pour notre pays.

Beaucoup de chrétiens et de musulmans se sentirent interpellés par cette charte spirituelle, attirés à ce banquet de l’histoire. « Pour les chrétiens, estime le chercheur Fadi Daou, c’était passer d’une phase où ils s’étaient conduits comme si le
Liban leur appartenait à une phase où le Liban, partie de leur identité, devenait un message à transmettre, un projet à faire advenir, un modèle à servir. »

© Fady Noun, mai 2011

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ZENIT Staff

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