"L'Église d'Haïti, les prémices d'une crise", par un Jésuite belge sur place (1)

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Comprendre l’Église d’Haïti, c’est d’abord en connaître l’histoire

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CITE DU VATICAN, Vendredi 19 mars 2004 (ZENIT.org) – Après des mois d’escalade de la violence et la démission, le 29 février 2004, du président Aristide, Haïti s’est dotée ce mercredi 17 mars d’un nouveau gouvernement dit ‘de transition’. Actuellement en Haïti, le belge Éric Vollen, sj, a vécu la crise au milieu de la population haïtienne. Pour le Jésuite, comprendre l’Église d’Haïti, sa situation dans la crise et son évolution, c’est d’abord en connaître l’histoire. Après avoir retracé un ‘historique’ et rencontré nombres de personnes engagées dans l’Église, il livre, avec la réserve impartie aux étrangers se trouvant sur place, son point de vue sur une situation plus que complexe. Les trois dépêches nous sont aimablement communiquées par l’agence catholique belge CathoBel (www.cathobel.be).

Éric Vollen, sj, se trouve en Haïti « pour vivre avec les Haïtiens », notamment dans le plateau central avec les paysans. « Ceux-ci sont les plus pauvres de Haïti et cette région a toujours été considérée comme très pauvre et défavorisée depuis toujours. Les gens sont a 90 % illettrés », explique-t-il. « Je suis allé là-bas pour travailler et vivre avec les petites soeurs et frères de l’Incarnation, fondés par le Frère Francklin Armand, ainsi qu’avec les paysans dans les campagnes reculées ».

Témoin privilégié de la crise qui a débuté le 5 décembre 2003 et n’a cessé de s’aggraver jusqu’à la démission du président haïtien Jean-Bertrand Aristide, Éric Vollen n’a cependant pu décrire ses impressions « à chaud ». Et ce, pour sa propre sécurité et celle des personnes qu’il côtoie sur place. Aujourd’hui, tout en restant très discret sur l’identité des personnes engagées dans l’Église, Haïtiens ou étrangers résidant en Haïti, qu’il a consultées et sur leurs propos, il dessine pour CathoBel un portrait de l’Église en Haïti, sa situation dans la crise et son évolution. « La situation est très complexe et ceci un point de vue », précise le jésuite belge.

Une Église inféodée au pouvoir

Pour comprendre aujourd’hui la position de l’Église face à la crise et son attitude, il apparaît nécessaire de jeter un bref regard sur le vécu de l’Église haïtienne à la fin des années septante, durant le régime de la dynastie des Duvalier. L’Église est alors inféodée au pouvoir. Le 28 mars 1960, un Concordat lie l’Église à l’État. Sous Duvalier, entre 1959 et 1964, le clergé étranger est expulsé. Des prêtres haïtiens prennent leur place. Duvalier nomme des évêques en majorité issus des familles fidèles au régime.

Après le Concile Vatican II, sous l’influence de la théologie de la libération et de la Conférence des Évêques d’Amérique Latine (CELAM), on assiste à une remise en question des rapports de l’Église et de l’État. À partir des années 80, les Évêques, poussés par la Conférence Haïtienne des Religieux (CHR) et du nouveau clergé, ont adopté une attitude plus critique, mais sans remise en cause des structures de la société

Aristide, espoir, Église et coup d’État

En 1984, apparaît Jean-Bertrand Aristide, jeune prêtre salésien originaire du monde populaire. Pour les jeunes prêtres de sa génération, il incarne l’idéal de justice sociale et de libération des masses populaires, un véritable renouveau qui va à l’encontre des intérêts politiques de la hiérarchie catholique de l’époque et des prêtres plus âgés. Un malaise va se créer dans l’Église, dont on retrouve encore aujourd’hui les traces.

En 1988, Aristide se voit contraint de quitter l’Ordre des Salésiens – sa manière de vivre et ses options personnelles devenant inconciliables avec son engagement dans la vie religieuse. Le 16 décembre 1990, il est élu Président de la République et le 7 février 1991, il entre au Palais.

Le 30 septembre 1991, un coup d’état le contraint à l’exil et consacre ainsi la victoire de la droite haïtienne et des États-Unis d’Amérique sur le mouvement démocratique. Le rêve est brisé une première fois.

Une part importante de la Conférence des Évêques appuie activement le coup d’état et se fait l’allié du régime militaire. Le clergé est alors divisé. La majorité est gagnée aux idées du Concile Vatican II et de la théologie de la libération, sous la poussée des religieux engagés dans les communautés ecclésiales de base, le développement communautaire, l’alphabétisation, etc. Lors du coup d’état en 1991, plus de 3000 personnes sont assassinées devant le palais national lors d’une manifestation. Des groupes paramilitaires dont le Front pour l’avancement et le progrès (le FRAP) rasent les quartiers populaires, causant des milliers de morts. Des prêtres sont assassinés et d’autres connaissent l’exil.

Aristide devient alors le porte-parole de tout un courant de lutte pour changer la société. Il est aussi le compagnon de souffrance de l’Église, des masses populaires et des paysans. Pour les gens, il est toujours le prêtre de Jésus-Christ qui donne sa vie pour la défense des petits et des opprimés. Il saura d’ailleurs entretenir de bonnes relations avec cette Église-là.

« Treize années plus tard, je suis frappé lors de mes rencontres avec les paysans et les personnes issues des masses populaires ou qui oeuvrent dans les quartiers populaires de découvrir que Aristide est toujours celui qui symbolise l’aspiration et le rêve d’une partie du peuple haïtien. Mais ses actes et ceux de son gouvernement actuel seront hélas bien opposés à son discours. Aussi, il perdra toute crédibilité pour beaucoup d’entre eux », précise Éric Vollen.

Changement du climat dans les relations entre l’Église et l’État

Le 16 octobre 1994, Aristide revient d’exil; le pays est devenu ingouvernable. Près de 80 % de la population est avec lui et on se rend compte qu’on ne peut gouverner sans lui. La joie est mitigée car il revient avec les Américains (!) en vue de sauvegarder le plus possible les intérêts de la bourgeoisie duvaliériste et ceux des étrangers. L’administration est remise en ordre. Mais les bourgeois ont peur. Il achève son mandat. Aux élections de 1996, il ne peut briguer un nouveau mandat selon la Constitution. Le parti qu’il fonde, la Famille Lavalas, remporte les élections et place à la Présidence René Préval, un fidèle d’Aristide, qui fait bonne impression. Il est décrit comme un homme simple, honnête, qui a réalisé de bonnes choses avec peu de moyens : des routes, le téléphone dans le pays, le développement de l’éducation en créant 300 nouveaux lycées, … .

R. Préval entretient de bonnes relations avec le clergé : il finance la construction et les réparations des églises et il se rapproche des prêtres engagés dans le mouvement Lavalas. Au cours de la cérémonie religieuse lors de l’investiture du Président Aristide en 2001, le Président de la Conférence Épiscopale d’Haïti rend hommage à René Préval pour son action en faveur de l’Église. En sept années, le climat des relations entre la hiérarchie de l’Église et l’État a changé…

© CathoBel 2004

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ZENIT Staff

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