« L’art d’éduquer selon Edith Stein », par Eric de Rus

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Rencontre avec l’auteur

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ROME, Jeudi 21 août 2008 (ZENIT.org) – « L’éducation pour Edith Stein est cet art suprême dont l’Esprit Saint est le maître et dont l’homme est l’humble collaborateur », explique Eric de Rus, professeur agrégé de philosophie, qui vient de publier un second volume intitulé « L’art d’éduquer selon Edith Stein. Anthropologie, éducation, vie spirituelle » (Cerf, Ed. du Carmel, Ad-Solem). Il avait publié au Cerf un volume intitulé : « Intériorité de la personne et éducation chez Edith Stein » (2006). Pour les lecteurs de Zenit, il explique l’enjeu de cette recherche, au moment où Benoît XVI a indiqué l’éducation comme une priorité dans son diocèse, à Rome.

Zenit – Eric de Rus, comment vous est venu cet intérêt pour un aspect de la vie et de l’œuvre d’Edith Stein jusqu’ici peu mis en lumière : Edith Stein en tant qu’éducatrice ?

Eric de Rus – Comme la plupart des lecteurs français d’Edith Stein – et même sans doute plus largement – je connaissais surtout cet auteur à travers ses textes spirituels. A un degré moindre, certaines de ses œuvres philosophiques avaient retenu mon attention. Ma formation en philosophie et mon engagement professionnel en tant qu’enseignant m’ont rendu particulièrement sensible à un aspect beaucoup moins connu de la vie d’Edith Stein avant son entrée au Carmel : à savoir sa préoccupation pour les questions éducatives. En faisant mieux connaissance avec sa vie et son œuvre,j’ai progressivement réalisé qu’il y avait là une dimension capitale de son message. N’oublions pas que dès sa formation universitaire à Breslau (1911-1913) Edith Stein s’intéresse aux « grandes questions de l’éducation » sans les séparer de « la pratique de l’enseignement ». Intérêt qui persiste les années suivantes durant ses études à l’université de Göttigen. Après sa conversion, et avant d’entrer au Carmel de Cologne, elle aura un double engagement d’enseignante et de conférencière. Enfin, une fois au Carmel, Edith Stein met en lumière la pédagogie de la sainte réformatrice, Thérèse d’Avila. Ses textes spirituels eux-mêmes témoignent de cet intérêt pour l’éducation dont elle approfondit la signification pour en dévoiler la dimension proprement mystique. Il est donc clair qu’Edith Stein a quelque chose à nous dire en la matière !

Zenit – Récemment vous avez consacré un second ouvrage à cette question : « L’art d’éduquer selon Edith Stein. Anthropologie, éducation, vie spirituelle ». A presque trois années d’intervalle, qu’apporte cette seconde publication ?

Eric de Rus – Comme je le précise dans l’introduction de cet ouvrage, qui ouvre une nouvelle collection consacrée à Edith Stein, je m’étais surtout appliqué dans le premier ouvrage à mettre en évidence l’unité de la démarche existentielle, philosophique et spirituelle de cet auteur, en montrant qu’il existait chez elle une relation vitale entre l’anthropologie, l’éducation et la vie spirituelle. Sur cette base, il m’est apparu nécessaire d’entrer beaucoup plus précisément dans la signification de ce rapport. Pour cela j’ai choisi, dans ce second ouvrage, d’explorer les textes (conférences en particulier, ainsi que la correspondance) de la période de la vie d’Edith Stein consacrée à la réflexion et à la pratique éducatives (1923-1933). Mon souci, comme le fait si justement remarquer Marguerite Léna dans la préface de l’ouvrage, fut de « restituer à ces textes divers leur cohérence intime et leur enracinement dans la pensée philosophique et l’expérience mystique de leur auteur ». Ainsi « la réflexion sur l’éducation » apparaît chez Edith Stein comme « le point focal où viennent s’unifier son anthropologie, sa fréquentation de la tradition spirituelle et mystique, de saint Augustin à Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, et son expérience personnelle des voies de Dieu. »

Zenit – Pourriez-vous préciser l’importance du lien entre « intériorité » et « éducation » ?

Eric de Rus – Ce lien est en effet crucial. Ce qui m’a saisi, dans la fréquentation priante d’Edith Stein, c’est que la respiration de sa pensée et de sa vie – car chez cette dernière les deux sont entièrement unifiées – réside dans un double mouvement : celui d’une intériorisation et d’une élévation. C’est sur cette intuition que j’ai construit mon second ouvrage. Pour répondre de manière à la fois concise et claire à votre question, je dirai ceci : à partir du moment où l’on conçoit l’éducation comme une « formation de l’être humain tout entier avec toutes ses forces et ses capacités en vue de ce qu’il doit être », alors cela suppose une certaine idée de l’homme. Comme l’écrit Edith Stein, « tout travail éducatif qui s’efforce de former des hommes s’accompagne d’une conception précise de l’homme, de sa place dans le monde et de sa mission dans la vie, ainsi que des possibilités pratiques offertes pour le former ». En d’autres termes la tâche éducative se fonde sur une anthropologie. Il m’a donc fallu mettre en lumière les éléments fondamentaux de la vision steinienne de la personne humaine. Edith Stein envisage l’homme comme une unité de corps, d’âme et d’esprit et montre que l’homme possède une intériorité inviolable qui est le fondement de sa dignité, l’espace sacré de la rencontre avec Dieu et, inséparablement, le lieu de la conscience depuis lequel peuvent s’élever de libres décisions et un authentique dialogue avec le monde. Former un homme, c’est avoir l’audace de servir cette intériorité. Edith Stein donne une formulation très lumineuse de ce lien entre intériorité et éducation lorsqu’elle écrit : « c’est la vie intérieure qui est le fondement ultime : la formation se fait de l’intérieur vers l’extérieur. »

Zenit – Benoît XVI a demandé à son diocèse de Rome de se pencher ce domaine urgent de l’éducation, dans une lettre où il insiste sur cette tâche de tout chrétien… vous y voyez aussi une urgence pour notre temps ? Eric de Rus – Oui, j’en suis très intimement convaincu. Edith Stein s’était elle-même mise à l’écoute de l’Eglise dans sa mission éducatrice. Ainsi, elle se réfère, par exemple, dans l’une de ses conférences sur la « Formation de la jeunesse à la lumière de la foi catholique » (1933) à la lettre encyclique de Pie XI du 31 décembre 1929 sur l’éducation chrétienne de la jeunesse (Divini illius magistri). L’insistance de Benoît XVI sur l’éducation, tout comme le récent document de la Congrégation pour l’éducation catholique intitulé « Eduquer ensemble dans l’école catholique. Mission partagée par les personnes consacrées et les laïcs » (sept. 2007) n’est pas un hasard. Le défi actuel est bien un défi anthropologique : qui est l’homme, qu’est-ce que vivre authentiquement dans le sens de son être ? Or cela nous situe précisément au cœur de la mission éducative qui est au service du meilleur de la personne. Car éduquer c’est accompagner le déploiement intégral d’une humanité dans le respect de sa vocation naturelle et surnaturelle. Ce n’est qu’à ce prix que la soif de sens, qui caractérise la personne humaine, se trouve honorée.

Zenit – Quel est, selon Edith Stein, le témoignage que l’éducateur est appelé à donner et en quoi ce témoignage peut rejoindre toute personne ?

Eric de Rus – Le témoignage que l’éducateur est appelé à offrir est essentiellement celui d’un service de la dignité et de la beauté de toute personne humaine. Comme le disait Jean-Paul II, il s’agit d’un authentique service de l’humanité que de « découvrir et faire découvrir la dignité inviolable de toute personne humaine ». Cela « constitue une tâche essentielle et même, en un certain sens, la tâche centrale et unifiante du service que l’Eglise, et en elle les fidèles laïcs, est appelée à r
endre à la famille des hommes » (Les fidèles laïcs, § 37). L’éducation pour Edith Stein est cet art suprême dont l’Esprit Saint est le maître et dont l’homme est l’humble collaborateur. A partir de cela, la tâche spécifique qui incombe à l’éducateur est double : tout d’abord assurer à ce service de solides assises anthropologiques, puis réfléchir à la manière de réaliser concrètement ce geste anthropologique intégral qu’est l’acte éducatif.

A la question de savoir en quoi ce témoignage rejoint toute personne, je dirai que nul ne peut, s’il veut vivre humainement et avec toute la plénitude possible, éviter de s’interroger sur ce qu’Edith Stein appelle « donner forme à sa vie ». J’ajouterai enfin que l’art d’éduquer selon Edith Stein ouvre au chrétien des perspectives intérieures immenses, en le ramenant au cœur de sa grâce baptismale. Edith Stein nous rappelle en effet que l’homme ne devient pleinement humain que s’il court le risque de la seule grande aventure : celle de la sainteté qui est l’œuvre de l’Esprit Saint. Et l’on ne devient pas saint pour soi, mais pour l’humanité. Car celui qui se livre à l’action éducatrice de l’Esprit et qui se laisse configurer au Christ participe mystérieusement à son œuvre de salut en consacrant le monde à Dieu.

Propos recueillis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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